Cette affirmation de la Bible venant de la première épître de Jean est connue de tous. Mais comment la comprendre ? Qu’est-ce que cela veut dire ? Le Dieu que nous a révélé Jésus semble n’avoir pas de limite dans l’amour. Les paraboles de l’enfant prodigue ou de la brebis perdue en sont un merveilleux témoignage. D’autres affirmations du Christ sur l’amour des ennemis ou le pardon illimité frappent notre esprit, mais il faut reconnaître qu’il est difficile de le comprendre et de l’accepter.

Nous vivons dans un monde de prédateurs où chaque espèce lutte pour sa survie depuis la nuit des temps. L’espèce humaine a réussi à s’imposer sur les autres espèces. Celles-ci, lorsqu’elles ne nous servent pas de garde-manger sont tolérées, dans la mesure où elles nous distraient et n’empiètent pas sur notre espace vital. Mais l’homme est d’abord un super-prédateur qui a réussi. Plus malin, il a su s’organiser en quelques millénaires pour dominer et coloniser la planète. L’Histoire montre qu’il est aussi redoutable pour ses semblables, souvent violent et cruel, calculateur et organisé. Le plus fort l’emporte sur le plus faible; être ou ne pas être: le plus grand, le premier, le plus compétitif, le plus beau, le plus intelligent, etc.

L’Evangile reçu des Apôtres, qui prend toujours à contrepied les valeurs de ce monde - "les premiers seront les derniers et les derniers seront les premiers" déclare Jésus - demeure un défi perpétuel pour la raison. Avant d’aller plus loin, il faudrait peut-être préciser ce que l’on entend par amour.

Des Définitions

Le mot existe dans la langue française, mais que signifie-t-il vraiment ? Tendresse, complicité, affection, passion, partage, amitié ; on peut encore ajouter patience, confiance, espoir, dévouement, sacrifice, don, générosité, etc. Tous ces mots inventés par l’homme sont les reflets d’un unique sentiment que le langage humain, ne peut - heureusement - contenir et enfermer. Ce sentiment est plus grand que tous les mots que l’on pourrait inventer. Pour le croyant, il prend sa source en Dieu et exprime la véritable nature de Celui qui est à l’origine de tout ce qui existe. On peut même admettre que les trois piliers de l’Eglise, c’est à dire les trois vertus théologales (la foi, l’espérance et l’amour), sont les trois facettes d’une seule et unique source, celle de l’image de Dieu en nous.

L’amour est également une force qui permet de s’oublier en pensant aux autres. Le bonheur de l’autre compte alors plus que le sien. Le meilleur exemple pour l’illustrer est celui des parents pour les enfants, et chez certains cela peut aller très loin. La Bible nous aide à le comprendre avec cette phrase attribuée à Jésus et rapportée par le livre des actes des Apôtres : "il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir" (Actes 20,35).

Un Amour Désintéressé

A travers la révélation de Jésus, Dieu ne pose pas de condition pour aimer. Pour nous c’est un peu différent. Nous aimons quelqu’un parce qu’il nous plaît, qu’il nous est utile, qu’il nous rend service, pour son sourire, pour son élégance, pour telle ou telle qualité qui ne nous laisse pas indifférent. Et cela peut changer très vite. Parfois des couples se marient et divorcent à la vitesse de l’éclair. Dans la bonne nouvelle donnée par Jésus ce ne sont pas nos qualités qui font que Dieu nous aime. Il aime parce que c’est le reflet de sa nature profonde. Voilà pourquoi selon Jésus il ne juge pas, ne condamne pas, ne rejette pas, n’exclut pas. Il aime parce que c’est sa façon d’être.

Avouons que cela est pour nous difficile à comprendre. Notre faculté à aimer est liée à des conditions. Si quelqu’un nous trompe, malheur à lui ou à elle, si quelqu’un nous trahit ou montre une méchanceté qui nous blesse, gare aux représailles. Le Dieu de Jésus semble bien différent de nous. Il pardonne de bon coeur, il croit toujours, il espère toujours. C’est un Dieu qui étonne; il agit et pense différemment du commun des mortels : sur la croix il pardonne à ses bourreaux, n’exprime jamais de haine, fait rentrer en premier dans le paradis un voleur crucifié. Il est toujours là où on ne l’attend pas. Son ouverture d’esprit est surprenante. Ainsi à ceux qui se croient purs et justes il déclare : "les publicains et les prostituées vous précèdent dans le royaume de Dieu." Difficile de susciter plus d’interrogations !

Mais il en existe d’autres. En parcourant les Evangiles on peut lire cette phrase dans le texte de Jean : "Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique" (Jean 3,16). La venue de Jésus selon l’apôtre est un don, un cadeau fait à l’humanité, un acte gratuit portant la signature du Père céleste.

On peut évidemment associer à la source divine de nombreuses autres qualités, en particulier l’intelligence d’avoir créé tout ce qui existe dans l’univers, avec les lois qui régissent la matière et qui permettent au final l’apparition de la vie. Mais ce n’est pas pour ses talents d’ingénieur que Jésus loue celui qu’il désigne comme étant notre père à tous, c’est pour un amour généreux et désintéressé qui suscite une émotion particulière : la foi. Comment croire en quelqu’un que l’on aime pas ? C’est impossible. Croire en Dieu c’est donc l’aimer, et réaliser en retour qu’il nous aime d’un amour sans aucune limite.

Les Barrières de la Foi

Elles sont évidemment nombreuses, mais remarquons que plus de 90% des hommes et des femmes qui forment l’Humanité se déclarent croyants. C’est donc un sentiment beaucoup plus répandu que l’inverse. Certes, les caricatures de la foi ont engendré et engendrent encore des guerres et autres divisions entre les hommes. Les intégrismes, l’esprit partisan de domination, l’idée qu’il faut éliminer ceux qui ne pensent pas selon certains critères érigés en dogmes infaillibles, toutes ces dérives de l’esprit sont néfastes. Il en existe d’autres; elles procèdent d’un sentiment de révolte qui tire son origine du côté éphémère de la vie. La maladie, la souffrance, le malheur, la mort et le mal n’épargnent personne, il faut composer avec. Alors comment croire en un Dieu amour si le mal existe ? Jésus apporte une réponse dans la parabole du bon grain et de l’ivraie, il déclare que "c’est un ennemi qui a fait cela." Dieu n’aurait donc pas que des partisans, il aurait un ennemi, un adversaire implacable et impitoyable qui cherche à couvrir le plus de terrain possible, sans doute autant dans l’infiniment grand que dans l’infiniment petit, mais surtout : au plus profond de nous, dans ce qu’on appelle le coeur ou l’âme, siège de la sensibilité et de la conscience.

Voilà donc le problème, et il n’est pas sans importance. Chacun y apporte les remèdes qu’il peut, avec plus ou moins de réussite. L’Evangile nous invite à croire, pour ne pas céder au découragement et à la passivité. La résurrection du Christ avec la promesse de la vie éternelle sont un phare guidant le chrétien. Et dans l’océan des difficultés de la vie présente, il faut reconnaître que cette lumière est la bienvenue.

Un Défi pour la Raison

Dans l’absolu, l’amour divin dépasse toutes nos idées et tous nos sentiments. Dès lors, il ne cesse d’interroger. Aimer ses ennemis, faire du bien à ceux qui nous persécutent, pardonner soixante-dix-sept fois sept fois, tendre la joue gauche après avoir été frappé sur la joue droite, voilà ce qu’enseignait Jésus pour être son véritable disciple. Nous en sommes tous très loin, à des années lumières parfois, et surtout cela est difficile à comprendre et à accepter. Notre définition de l’amour est radicalement différente de celle prônée par les Evangiles. Le Dieu de Jésus témoigne d’une patience et d’une tolérance inimaginables à l’échelle humaine. Apprendre à aimer, c’est apprendre la patience et la tolérance.

Sur le fait de "tendre la joue gauche après avoir été frappé sur la joue droite", je me dis que Jésus était le contraire d’un homme sans caractère. Ne pas répondre à un coup donné n’était pas de la faiblesse de sa part, encore moins de la lâcheté, ni bien évidemment une démission de sa personnalité. Non, je me dis qu’il y a autre chose à comprendre, que la non violence peut parfois désarmer l’agressivité, qu’une attitude pacifique peut faire taire les armes. Mais je ne crois pas qu’il soit nécessaire de donner le bâton pour se faire battre, ce n’est pas à mon sens ce que demande l’Evangile. Je crois que dans l’Histoire, les hommes et les femmes qui se sont battus avec courage pour repousser la barbarie ont eu raison de le faire. Certes, au jardin des oliviers, Jésus déclare à Pierre qui vient de trancher l’oreille au serviteur du grand-prêtre : "celui qui prend l’épée périra par l’épée" (Mathieu 26,52). Mais vaincre la violence par la douceur, c’est un charisme qui n’est pas donné à tout le monde ! N’est pas Gandhi qui veut ! Le chemin de la sainteté est une voie étroite qui attire peu, en tout cas elle suppose la rencontre avec la Grâce qui vient d’En-Haut, sinon l’ascèse est impossible.

Humilité et Orgueil

Ces sentiments qui combattent dans notre for intérieur sont un peu le yin et le yang dans la quête de l’amour. Attention, l’orgueil n’est pas forcément négatif ! Il le devient lorsqu’il nous aveugle, à l’instar de l’ange déchu, déforme la réalité, nous gonfle artificiellement. Rien de plus agaçant et d’énervant que celui ou celle qui se croit supérieur aux autres et le leur fait sentir, tel le pharisien de la parabole contée par Jésus. Mais il faut reconnaître qu’il existe une forme d’orgueil positive, celle qui produit la fierté. Elle ne cherche pas à se mesurer aux autres et au contraire les respecte. L’orgueil est négatif lorsque la personne devient elle-même Dieu, le centre du monde, rapporte tout à elle. Il est positif lorsque l’amour propre permet de vaincre sa timidité.

L’humilité nous permet de ne pas écraser ni mépriser les autres, de les aimer avec leurs qualités et leurs défauts. C’est aussi voir sous un angle exact, avec un bon discernement. C’est le commencement de la sagesse, la reconnaissance de ses limites avec la volonté de les dépasser, pour ne pas tomber dans le pessimisme et le fatalisme. Le Dieu de Jésus est humble, "doux et humble de coeur" enseigne l’Evangile.

L’histoire de la Création est sans doute celle d’un Dieu qui souhaite que l’homme fasse apparaître son côté positif. L’amour de Dieu, c’est vouloir que l’homme montre son bon côté. Il y croit, il compte sur nous.

Monseigneur Thierry Teyssot


Accueil