Aujourdhui encore, la lecture des Evangiles est loccasion pour le chrétien de prendre en compte cet aspect étonnant de la vie du Sauveur.
Comment le Fils de Dieu a-t-il développé ce charisme particulier ? Sa nature divine y contribue vraisemblablement, mais noublions pas le cheminement de lhomme. Comme nous Jésus a dû apprendre à marcher, à parler, à lire et à écrire, mais surtout il a dû apprendre très tôt à se débrouiller. Lépisode de Jésus à douze ans perdu par ses parents et retrouvé au Temple révèle un enfant au caractère bien trempé, capable de sassumer tout seul dans la grande ville de Jérusalem.
Les parents de Jésus étaient des personnes de condition modeste. Pour joindre les deux bouts il fallait travailler, et travailler encore. Enfant il garde les troupeaux, comme en témoigne ses paraboles sur la brebis perdue ou le veau gras. Il sait le prix et la valeur des choses. La parabole sur la pièce perdue et retrouvée en est un signe. Il a dû commencer à travailler très tôt avec son père, sans doute dès quatorze ans. A trente ans lorsquil commence sa vie publique et ses miracles, cest déjà un homme avec un long parcours derrière lui. Dailleurs, dans sa ville de Nazareth les gens sétonnent : « Doù lui viennent cette sagesse et ces miracles, nest-il pas le charpentier, le fils de Marie, et le frère de Jacques, de José, de Jude et de Simon ? Ses surs ne sont-elles pas ici chez nous ?» (Marc 6,2-3)
Jésus devait être un solide gaillard, nanti dune belle vigueur musculaire acquise au prix dun travail dur et exigeant physiquement. Au soleil lété, au froid lhiver, à la fatigue dans tous les cas, son métier de charpentier ne pouvait convenir à une nature molle et pusillanime. Il lui fallait se battre avec louvrage pour y arriver. Sur les chantiers, il ne devait pas manquer de courage.
Ceci explique sans doute le choix de ses apôtres. Il nest pas allé les chercher chez les scribes et les religieux. Pour la plupart dentre eux, il a choisi de modestes artisans semblables à lui, mais surtout des hommes solides et équilibrés. Plus tard, la jeune Eglise des âges apostoliques demandera pour le choix dun évêque quil soit avant tout équilibré, mari dune seule femme et sachant bien élever ses enfants ; sinon comment pourra-t-il conduire lEglise de Dieu écrira lapôtre Paul dans ses épîtres pastorales à Tite et à Timothée ? Les premiers chrétiens faisaient preuve de bon sens.
Léquilibre, aujourdhui encore cest ce que lon demande à un futur prêtre, en particulier dans notre Eglise Gallicane. Comptable de nombreuses détresses, le prêtre doit être solide humainement et physiquement pour pouvoir mener à bien son sacerdoce.
De Jésus dans sa vie professionnelle et sa vie dhomme, on peut imaginer que les gens du pays disaient avec une pointe dadmiration: « Ça, cest un homme ... »
Les Evangiles soulignent que le Sauveur savait « ce quil y a dans lhomme. » Les ressorts secrets de la psychologie humaine, la complexité des relations entre les personnes, à lécole de la vie Jésus a tout appris. Il est extraordinairement lucide sur la société de son temps. Il se méfie de « ceux qui chargent de lourds fardeaux les épaules des autres, mais ne les remuent pas eux-mêmes du petit doigt », ou encore de ceux qui « voient la paille » dans loeil du prochain, mais oublient de balayer devant leur porte, pour retirer selon lui la poutre qui obscurcit leur vision, et surtout leur jugement. Son allergie à lhypocrisie est liée au fait quil en a souffert, comme tout être humain. Les esprits faux le révoltent. Autant il est plein de miséricorde et de tendresse pour tous les blessés de la vie, ceux qui ploient sous le coup du fardeau des épreuves, quil a dailleurs partagées avec dautres, autant il ne mâche pas ses mots à ladresse des profiteurs et des fourbes, ceux qui se servent du prochain et le manipulent.
Loin de laigrir, sa perception de la bassesse humaine ne lempêche pas de regarder plus haut et plus loin. Le Sauveur sait le bon qui réside en lhomme, sa compassion est une composante essentielle de son caractère. En résumé il nest pas indifférent. Il est facilement touché, autant par le bon que par le mauvais. Comment comprendre son autorité ? Pour ne pas sombrer sous les assauts de la méchanceté et pour communiquer une force capable de faire se relever les plus faibles, il faut un caractère solide et équilibré. Il faut encore une vraie maturité. Seule une autorité spéciale alliée à une grande compassion est capable dopérer de tels redressements.
Dans la vie moderne, certains êtres ont développé un tel charisme les associant pour toujours à la ressemblance du Christ. Lexemple le plus récent est celui du président sud africain Nelson Mandela qui a su tirer des épreuves quil a subies une force positive pour son peuple. Si dans notre vie nous étions confrontés comme lui à trente années de bagne dans la force de lâge, comment en ressortirions-nous ? Brisés, détruits, rongés par la haine ou bien plus forts, plus généreux, plus humains ? La question mérite dêtre posée. Pourquoi certains basculent du mauvais côté, pourquoi dautres sont transfigurés par les épreuves ? En plein XIXème siècle Victor Hugo posait lui aussi la question avec le personnage de Jean Valjean, dans le roman des Misérables.
Il ne faut pas confondre lautorité et lautoritarisme. Lun est la caricature de lautre. Selon la définition du dictionnaire, les personnes autoritaires cherchent constamment à imposer leur point de vue et ne supportent aucune contradiction. Cassantes, intolérantes, intransigeantes, elles se révèlent vite tyranniques. Ce trait de caractère est souvent associé à la paranoïa qui désigne le trouble mental de la persécution. Toujours selon le dictionnaire, cette pathologie se caractérise par une susceptibilité démesurée et une hypertrophie du moi. La surestimation de soi y est associée à un raisonnement logique. Le sujet paranoïaque ne recherche pas la vérité, il la possède. Il ne se remet jamais en cause. Victime permanente, tout est toujours de la faute des autres.
Le Christ par contre soublie en allant vers autrui, il sait écouter et comprendre. Il respecte le libre arbitre. Sa compassion légendaire lui permet de ressentir et de partager les émotions des personnes quil rencontre. Il appelle autrui le prochain, cest à dire celui qui est proche, qui compte, revêtu dimportance à ses yeux. « Il ny a pas de plus grand amour que celui qui donne sa vie pour ceux quil aime » dira-t-il. Cette phrase portera le poids du témoignage par son sang versé sur la croix.
Surtout il est humble, il ne se met pas en avant, « doux et humble de coeur » rapportera lEvangile. Débordant de charité pour tous ceux quil rencontre, il impressionne le peuple par sa disponibilité et ses miracles. Sa parole porte la vie et lespoir, elle est accompagnée par une foi courageuse qui na peur de rien. Voila lautorité du Christ, une puissance sans violence, une force immense mêlée de tendresse, un intelligence rayonnante, une présence qui fait naître le respect.
La présence extraordinaire qui se dégage de la personnalité du Sauveur se révèle étonnante. Son autorité se matérialise au delà de lhumain. Il commande au vent et à la tempête, il marche sur la mer, il dessèche le figuier qui ne porte pas de fruits, il suscite une pêche miraculeuse.
La méchanceté de lhomme ne peut latteindre tant quil ne le permet pas. Sur ceux qui veulent le précipiter du haut de la falaise lEvangile revèle : « mais lui passant au milieu deux allait son chemin » (Luc 4,30) Il semble que le mal ne puisse le toucher sans sa permission. LEvangile de Jean est plus précis encore lors de larrestation de Jésus au jardin des oliviers : « Alors Jésus, sachant tout ce qui devait lui arriver, savança et leur dit: «Qui cherchez-vous?» Ils lui répondirent: «Jésus de Nazareth.» Il leur dit: «Jésus de Nazareth, cest moi.» Or, Judas, qui le trahissait, était là avec eux. Lors donc que Jésus leur eut dit: «Cest moi,» ils reculèrent et tombèrent par terre. Il leur demanda encore une fois: «Qui cherchez-vous?» Et ils dirent: «Jésus de Nazareth.» Jésus répondit: «Je vous lai dit, cest moi. Si donc cest moi que vous cherchez, laissez aller ceux-ci.» » (Jean 18,4-8) Jean est le seul évangéliste à relever ce détail troublant et singulier : la « commotion », puis « lamnésie » qui frappe la troupe de personnes venues arrêter Jésus. Lorsque le Christ décline son identité une force les renverse à tous, ensuite cest le « trou noir ». A tel point que lorsquils se relèvent, le Sauveur se sent obligé de leur poser une nouvelle fois la question : « qui cherchez-vous ? » Cest étrange. Cela participe, me semble-t-il, du mystère du Christ et de sa présence surprenante.
Lorsque Jésus instruit les foules, celles-ci sont dans ladmiration. Sa parole est portée par cette présence formidable qui émane de sa personne. Lenseignement est novateur en ce sens quil dépasse la loi du talion. Lamour et la compassion se superposent à la dureté de lancienne loi. Pourtant il ny a aucune mièvrerie dans ses propos. Ne pas juger, ne pas condamner, être tolérant, respecter le libre arbitre, développer une véritable ouverture desprit, telles sont quelques unes des idées forces qui se dégagent de lenseignement de Jésus. Ne pas vivre dans la rancune, létroitesse desprit et la mesquinerie, fuir lhypocrisie et les méchants calculs, la parole du Christ ne se résume pas à de simples mots. Il y a du vécu derrière. Ni grandiloquente, ni artificielle, elle est portée par une force spirituelle. Elle est persuasive, profonde, pénétrante. Elle peut opérer un retournement complet de lêtre, cest à dire la conversion réelle, celle du cur et de lesprit, la métanoïa. Tels sont les fruits de son autorité.
Ils sont nombreux, dans lhistoire des Evangiles, ceux et celles qui ont été touchés par cette parole de vie. Et ils ont changé profondément, durablement. La transformation de Marie-Madeleine par exemple, ou encore celle de Zachée, de Pierre et ses compagnons, du centurion romain, de Nicodème, des malades guéris et sauvés, tous témoignent à leur façon de linfluence positive qui a changé leur regard et leur vie.
A linverse, pour ceux qui ne veulent pas voir, ceux dont Jésus dira quils ont pour père le « père du mensonge », le refus du Christ se transforme en haine féroce et implacable, inusable. Ces sentiments les mèneront jusquau complot et à lassassinat, lexécution finale par par la mise en croix du condamné sur la colline du Golgotha.
Parfois de retour dans sa ville et sa région dorigine, Jésus déclare : « nul nest prophète en son pays. » Il reste toujours pour eux le charpentier. Cette sagesse et ces miracles qui sexpriment à travers lui, ils ne peuvent comprendre. Voir avec la foi, cest quelque part regarder au-delà des apparences. Elles sont parfois trompeuses. Même au sein de sa propre famille Jésus était considéré comme un imposteur. Les Evangiles révèlent que ses surs et ses frères ne croyaient pas en lui.
Réfléchissons un instant à notre manière de voir et de connaître, à notre perception des personnes et des événements. Nos yeux voient tous la même chose, mais cest le cur qui donne linterprétation. Voir est une chose, interpréter, comprendre, cela fait appel aux sentiments. Doù la célèbre phrase du poète : « on ne voit bien quavec le cur, lessentiel est invisible aux yeux. » Voir le Christ, une personne publique, un paysage, un film, un spectacle, cest faire appel à notre sensibilité pour nous faire une opinion. Lintelligence, le raisonnement, la pensée sont perpétuellement liés à des émotions plus profondes qui sont véhiculées par notre personnalité, notre caractère. Lorgueil, comme lenvie ou la jalousie influent sur le jugement, lanalyse, le discernement. A lopposé lhumilité, comme la simplicité ou la confiance expriment dautres façons de penser ou dêtre. Pourquoi certains se nourrissent de ragots, les croient et se font une joie de les colporter ? Pourquoi dautres ne perdent ni temps ni énergie avec la rumeur ou les vilaines histoires ? Cela dépend du caractère, du vécu, de ce quil y a au plus profond de chaque être humain.
Ne pas se fier aux apparences, parce que la sagesse des anciens rappelle que « lhabit ne fait pas le moine » et quà terme la patte du loup finit toujours par dépasser de la peau de brebis. Dans lEvangile, cest celui que lon attend pas, le samaritain qui porte secours au blessé. Cest encore le même samaritain qui revient pour remercier, après avoir été guéri par Jésus. Ses compagnons dinfortune, délivrés eux aussi de la lèpre choisiront lingratitude.
Toujours dans lEvangile, le Christ nous invite à ne jamais privilégier les apparences : « Lorsque tu fais laumône, enseigne Jésus, ne fais pas sonner de la trompette devant toi », « lorsque tu jeûnes, que celui-ci ne soit pas connu des hommes », « lorsque tu pries, ne te donne pas en spectacle », « cest ce que font les hypocrites. » Aujourdhui limage, le profil informatique, le virtuel, lartificiel peuvent tromper. Mais de si loin quelle arrive, la vérité finit toujours par surgir et se révéler aux yeux de tous.
LEvangile est exigeant, mais il donne beaucoup. Parce que lêtre humain ne peut arriver à se construire seul dans la vie, le Christ est venu rappeler lessentiel, ce que nous ne devrions jamais oublier. Les plus grandes valeurs humaines sont portées par la bonne nouvelle reçue du Sauveur Jésus. La foi, lespérance, lamour, le respect, la patience, la franchise, lhonnêteté, le courage, la persévérance, la fraternité, et bien dautres valeurs encore, tout cela se révèle à la lumière des Evangiles.
Au contact du Christ, certaines personnes ont puisé une force, un élan pour être meilleures, quelque chose les a transformées. En ce sens on peut parler de la transmission dun don. Il sagit dune influence spirituelle, capable de provoquer un changement radical dans nos vies. Cest une des clefs de la compréhension du mystère du Christ et de son autorité.
Mgr Thierry Teyssot