"Jésus acheva ainsi son discours. Les foules étaient frappées par son enseignement, car il parlait en homme qui a autorité, et non pas comme leurs scribes." (Mathieu 7,28-29) L’autorité du Christ paraît formidable, c’est ce que révèlent les Evangiles. Une présence extraordinaire qui capte et retient l’attention, un charisme spécial, il y a dans la personne de Jésus quelque chose qui fait la différence avec les scribes et les dignitaires religieux de son époque. Le peuple ne s’y est pas trompé en allant spontanément vers lui.

Aujourd’hui encore, la lecture des Evangiles est l’occasion pour le chrétien de prendre en compte cet aspect étonnant de la vie du Sauveur.

Une Personnalité Construite

Comment le Fils de Dieu a-t-il développé ce charisme particulier ? Sa nature divine y contribue vraisemblablement, mais n’oublions pas le cheminement de l’homme. Comme nous Jésus a dû apprendre à marcher, à parler, à lire et à écrire, mais surtout il a dû apprendre très tôt à se débrouiller. L’épisode de Jésus à douze ans perdu par ses parents et retrouvé au Temple révèle un enfant au caractère bien trempé, capable de s’assumer tout seul dans la grande ville de Jérusalem.

Les parents de Jésus étaient des personnes de condition modeste. Pour joindre les deux bouts il fallait travailler, et travailler encore. Enfant il garde les troupeaux, comme en témoigne ses paraboles sur la brebis perdue ou le veau gras. Il sait le prix et la valeur des choses. La parabole sur la pièce perdue et retrouvée en est un signe. Il a dû commencer à travailler très tôt avec son père, sans doute dès quatorze ans. A trente ans lorsqu’il commence sa vie publique et ses miracles, c’est déjà un homme avec un long parcours derrière lui. D’ailleurs, dans sa ville de Nazareth les gens s’étonnent : « D’où lui viennent cette sagesse et ces miracles, n’est-il pas le charpentier, le fils de Marie, et le frère de Jacques, de José, de Jude et de Simon ? Ses sœurs ne sont-elles pas ici chez nous ?» (Marc 6,2-3)

Jésus devait être un solide gaillard, nanti d’une belle vigueur musculaire acquise au prix d’un travail dur et exigeant physiquement. Au soleil l’été, au froid l’hiver, à la fatigue dans tous les cas, son métier de charpentier ne pouvait convenir à une nature molle et pusillanime. Il lui fallait se battre avec l’ouvrage pour y arriver. Sur les chantiers, il ne devait pas manquer de courage.

Ceci explique sans doute le choix de ses apôtres. Il n’est pas allé les chercher chez les scribes et les religieux. Pour la plupart d’entre eux, il a choisi de modestes artisans semblables à lui, mais surtout des hommes solides et équilibrés. Plus tard, la jeune Eglise des âges apostoliques demandera pour le choix d’un évêque qu’il soit avant tout équilibré, mari d’une seule femme et sachant bien élever ses enfants ; sinon comment pourra-t-il conduire l’Eglise de Dieu écrira l’apôtre Paul dans ses épîtres pastorales à Tite et à Timothée ? Les premiers chrétiens faisaient preuve de bon sens.

L’équilibre, aujourd’hui encore c’est ce que l’on demande à un futur prêtre, en particulier dans notre Eglise Gallicane. Comptable de nombreuses détresses, le prêtre doit être solide humainement et physiquement pour pouvoir mener à bien son sacerdoce.

De Jésus dans sa vie professionnelle et sa vie d’homme, on peut imaginer que les gens du pays disaient avec une pointe d’admiration: « Ça, c’est un homme ... »

Une Véritable Maturité

Les Evangiles soulignent que le Sauveur savait « ce qu’il y a dans l’homme. » Les ressorts secrets de la psychologie humaine, la complexité des relations entre les personnes, à l’école de la vie Jésus a tout appris. Il est extraordinairement lucide sur la société de son temps. Il se méfie de « ceux qui chargent de lourds fardeaux les épaules des autres, mais ne les remuent pas eux-mêmes du petit doigt », ou encore de ceux qui « voient la paille » dans l’oeil du prochain, mais oublient de balayer devant leur porte, pour retirer selon lui la poutre qui obscurcit leur vision, et surtout leur jugement. Son allergie à l’hypocrisie est liée au fait qu’il en a souffert, comme tout être humain. Les esprits faux le révoltent. Autant il est plein de miséricorde et de tendresse pour tous les blessés de la vie, ceux qui ploient sous le coup du fardeau des épreuves, qu’il a d’ailleurs partagées avec d’autres, autant il ne mâche pas ses mots à l’adresse des profiteurs et des fourbes, ceux qui se servent du prochain et le manipulent.

Loin de l’aigrir, sa perception de la bassesse humaine ne l’empêche pas de regarder plus haut et plus loin. Le Sauveur sait le bon qui réside en l’homme, sa compassion est une composante essentielle de son caractère. En résumé il n’est pas indifférent. Il est facilement touché, autant par le bon que par le mauvais. Comment comprendre son autorité ? Pour ne pas sombrer sous les assauts de la méchanceté et pour communiquer une force capable de faire se relever les plus faibles, il faut un caractère solide et équilibré. Il faut encore une vraie maturité. Seule une autorité spéciale alliée à une grande compassion est capable d’opérer de tels redressements.

Dans la vie moderne, certains êtres ont développé un tel charisme les associant pour toujours à la ressemblance du Christ. L’exemple le plus récent est celui du président sud africain Nelson Mandela qui a su tirer des épreuves qu’il a subies une force positive pour son peuple. Si dans notre vie nous étions confrontés comme lui à trente années de bagne dans la force de l’âge, comment en ressortirions-nous ? Brisés, détruits, rongés par la haine ou bien plus forts, plus généreux, plus humains ? La question mérite d’être posée. Pourquoi certains basculent du mauvais côté, pourquoi d’autres sont transfigurés par les épreuves ? En plein XIXème siècle Victor Hugo posait lui aussi la question avec le personnage de Jean Valjean, dans le roman des Misérables.

L’Autorité sans Autoritarisme

Il ne faut pas confondre l’autorité et l’autoritarisme. L’un est la caricature de l’autre. Selon la définition du dictionnaire, les personnes autoritaires cherchent constamment à imposer leur point de vue et ne supportent aucune contradiction. Cassantes, intolérantes, intransigeantes, elles se révèlent vite tyranniques. Ce trait de caractère est souvent associé à la paranoïa qui désigne le trouble mental de la persécution. Toujours selon le dictionnaire, cette pathologie se caractérise par une susceptibilité démesurée et une hypertrophie du moi. La surestimation de soi y est associée à un raisonnement logique. Le sujet paranoïaque ne recherche pas la vérité, il la possède. Il ne se remet jamais en cause. Victime permanente, tout est toujours de la faute des autres.

Le Christ par contre s’oublie en allant vers autrui, il sait écouter et comprendre. Il respecte le libre arbitre. Sa compassion légendaire lui permet de ressentir et de partager les émotions des personnes qu’il rencontre. Il appelle autrui le prochain, c’est à dire celui qui est proche, qui compte, revêtu d’importance à ses yeux. « Il n’y a pas de plus grand amour que celui qui donne sa vie pour ceux qu’il aime » dira-t-il. Cette phrase portera le poids du témoignage par son sang versé sur la croix.

Surtout il est humble, il ne se met pas en avant, « doux et humble de coeur » rapportera l’Evangile. Débordant de charité pour tous ceux qu’il rencontre, il impressionne le peuple par sa disponibilité et ses miracles. Sa parole porte la vie et l’espoir, elle est accompagnée par une foi courageuse qui n’a peur de rien. Voila l’autorité du Christ, une puissance sans violence, une force immense mêlée de tendresse, un intelligence rayonnante, une présence qui fait naître le respect.

Des Charismes Surprenants

La présence extraordinaire qui se dégage de la personnalité du Sauveur se révèle étonnante. Son autorité se matérialise au delà de l’humain. Il commande au vent et à la tempête, il marche sur la mer, il dessèche le figuier qui ne porte pas de fruits, il suscite une pêche miraculeuse.

La méchanceté de l’homme ne peut l’atteindre tant qu’il ne le permet pas. Sur ceux qui veulent le précipiter du haut de la falaise l’Evangile revèle : « mais lui passant au milieu d’eux allait son chemin » (Luc 4,30) Il semble que le mal ne puisse le toucher sans sa permission. L’Evangile de Jean est plus précis encore lors de l’arrestation de Jésus au jardin des oliviers : « Alors Jésus, sachant tout ce qui devait lui arriver, s’avança et leur dit: «Qui cherchez-vous?» Ils lui répondirent: «Jésus de Nazareth.» Il leur dit: «Jésus de Nazareth, c’est moi.» Or, Judas, qui le trahissait, était là avec eux. Lors donc que Jésus leur eut dit: «C’est moi,» ils reculèrent et tombèrent par terre. Il leur demanda encore une fois: «Qui cherchez-vous?» Et ils dirent: «Jésus de Nazareth.» Jésus répondit: «Je vous l’ai dit, c’est moi. Si donc c’est moi que vous cherchez, laissez aller ceux-ci.» » (Jean 18,4-8) Jean est le seul évangéliste à relever ce détail troublant et singulier : la « commotion », puis « l’amnésie » qui frappe la troupe de personnes venues arrêter Jésus. Lorsque le Christ décline son identité une force les renverse à tous, ensuite c’est le « trou noir ». A tel point que lorsqu’ils se relèvent, le Sauveur se sent obligé de leur poser une nouvelle fois la question : « qui cherchez-vous ? » C’est étrange. Cela participe, me semble-t-il, du mystère du Christ et de sa présence surprenante.

Un Enseignement Nouveau

Lorsque Jésus instruit les foules, celles-ci sont dans l’admiration. Sa parole est portée par cette présence formidable qui émane de sa personne. L’enseignement est novateur en ce sens qu’il dépasse la loi du talion. L’amour et la compassion se superposent à la dureté de l’ancienne loi. Pourtant il n’y a aucune mièvrerie dans ses propos. Ne pas juger, ne pas condamner, être tolérant, respecter le libre arbitre, développer une véritable ouverture d’esprit, telles sont quelques unes des idées forces qui se dégagent de l’enseignement de Jésus. Ne pas vivre dans la rancune, l’étroitesse d’esprit et la mesquinerie, fuir l’hypocrisie et les méchants calculs, la parole du Christ ne se résume pas à de simples mots. Il y a du vécu derrière. Ni grandiloquente, ni artificielle, elle est portée par une force spirituelle. Elle est persuasive, profonde, pénétrante. Elle peut opérer un retournement complet de l’être, c’est à dire la conversion réelle, celle du cœur et de l’esprit, la métanoïa. Tels sont les fruits de son autorité.

Ils sont nombreux, dans l’histoire des Evangiles, ceux et celles qui ont été touchés par cette parole de vie. Et ils ont changé profondément, durablement. La transformation de Marie-Madeleine par exemple, ou encore celle de Zachée, de Pierre et ses compagnons, du centurion romain, de Nicodème, des malades guéris et sauvés, tous témoignent à leur façon de l’influence positive qui a changé leur regard et leur vie.

A l’inverse, pour ceux qui ne veulent pas voir, ceux dont Jésus dira qu’ils ont pour père le « père du mensonge », le refus du Christ se transforme en haine féroce et implacable, inusable. Ces sentiments les mèneront jusqu’au complot et à l’assassinat, l’exécution finale par par la mise en croix du condamné sur la colline du Golgotha.

Dépasser les Apparences

Parfois de retour dans sa ville et sa région d’origine, Jésus déclare : « nul n’est prophète en son pays. » Il reste toujours pour eux le charpentier. Cette sagesse et ces miracles qui s’expriment à travers lui, ils ne peuvent comprendre. Voir avec la foi, c’est quelque part regarder au-delà des apparences. Elles sont parfois trompeuses. Même au sein de sa propre famille Jésus était considéré comme un imposteur. Les Evangiles révèlent que ses sœurs et ses frères ne croyaient pas en lui.

Réfléchissons un instant à notre manière de voir et de connaître, à notre perception des personnes et des événements. Nos yeux voient tous la même chose, mais c’est le cœur qui donne l’interprétation. Voir est une chose, interpréter, comprendre, cela fait appel aux sentiments. D’où la célèbre phrase du poète : « on ne voit bien qu’avec le cœur, l’essentiel est invisible aux yeux. » Voir le Christ, une personne publique, un paysage, un film, un spectacle, c’est faire appel à notre sensibilité pour nous faire une opinion. L’intelligence, le raisonnement, la pensée sont perpétuellement liés à des émotions plus profondes qui sont véhiculées par notre personnalité, notre caractère. L’orgueil, comme l’envie ou la jalousie influent sur le jugement, l’analyse, le discernement. A l’opposé l’humilité, comme la simplicité ou la confiance expriment d’autres façons de penser ou d’être. Pourquoi certains se nourrissent de ragots, les croient et se font une joie de les colporter ? Pourquoi d’autres ne perdent ni temps ni énergie avec la rumeur ou les vilaines histoires ? Cela dépend du caractère, du vécu, de ce qu’il y a au plus profond de chaque être humain.

Ne pas se fier aux apparences, parce que la sagesse des anciens rappelle que « l’habit ne fait pas le moine » et qu’à terme la patte du loup finit toujours par dépasser de la peau de brebis. Dans l’Evangile, c’est celui que l’on attend pas, le samaritain qui porte secours au blessé. C’est encore le même samaritain qui revient pour remercier, après avoir été guéri par Jésus. Ses compagnons d’infortune, délivrés eux aussi de la lèpre choisiront l’ingratitude.

Toujours dans l’Evangile, le Christ nous invite à ne jamais privilégier les apparences : « Lorsque tu fais l’aumône, enseigne Jésus, ne fais pas sonner de la trompette devant toi », « lorsque tu jeûnes, que celui-ci ne soit pas connu des hommes », « lorsque tu pries, ne te donne pas en spectacle », « c’est ce que font les hypocrites. » Aujourd’hui l’image, le profil informatique, le virtuel, l’artificiel peuvent tromper. Mais de si loin qu’elle arrive, la vérité finit toujours par surgir et se révéler aux yeux de tous.

La Transmission d’un Don

L’Evangile est exigeant, mais il donne beaucoup. Parce que l’être humain ne peut arriver à se construire seul dans la vie, le Christ est venu rappeler l’essentiel, ce que nous ne devrions jamais oublier. Les plus grandes valeurs humaines sont portées par la bonne nouvelle reçue du Sauveur Jésus. La foi, l’espérance, l’amour, le respect, la patience, la franchise, l’honnêteté, le courage, la persévérance, la fraternité, et bien d’autres valeurs encore, tout cela se révèle à la lumière des Evangiles.

Au contact du Christ, certaines personnes ont puisé une force, un élan pour être meilleures, quelque chose les a transformées. En ce sens on peut parler de la transmission d’un don. Il s’agit d’une influence spirituelle, capable de provoquer un changement radical dans nos vies. C’est une des clefs de la compréhension du mystère du Christ et de son autorité.

Mgr Thierry Teyssot


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