Rappelé à Dieu le 9 février 1912, ce prêtre a toujours vécu en homme libre. Fondateur d'une Eglise Gallicane indépendante de Rome en 1879, auteur d'une déclaration fracassante contre le "prétendu dogme de l'infaillibilité du pape" le 30 juillet 1870, le Père Hyacinthe ne peut être seulement cantonné, réduit et enfermé dans un rôle d'apôtre et de défenseur du gallicanisme. Sa personne transcende les clivages partisans : génial prophète, excellent théologien, prédicateur renommé, homme de grande foi, il était tout cela, mais pas seulement. Visionnaire, précurseur, doté d'une extraordinaire ouverture d'esprit pour l'époque, son épitaphe au cimetière du Père Lachaise le résume d'un trait : "faire comme s'il n'y avait au monde que sa conscience et Dieu".

L'Idéal de l'Evangile

Le Père Hyacinthe, c'est l'Evangile en action. C'est sans doute la première remarque à formuler pour le définir : une personne qui a compris qu'être chrétien, c'est donner toute la place aux leçons qui viennent de l'Evangile. Prenons cet exemple pour l'illustrer, extrait d'une conférence donnée par le Père Hyacinthe sur "l'âme de l'Eglise" (29 nov. - 5 déc. 1869) :

- "Un jour que Jésus-Christ venait de commenter le grand commandement de l'amour du prochain, un pharisien lui demanda : "maître, qui est mon prochain ?" Et le maître, recourant à cet enseignement des paraboles, qu'il affectionnait, soit pour représenter d'une manière plus sensible et plus palpable les vérités invisibles, soit pour échapper aux machinations perfides des pharisiens et des scribes, le maître lui dit : "un homme descendait de Jérusalem à Jéricho ; pendant qu'il faisait le voyage, il fut rencontré par des brigands qui le blessèrent, le dépouillèrent et le laissèrent à demi mort sur le bord du chemin ; il advint qu'un prêtre passa par là..."

"Ce prêtre était du corps de l'Eglise mosaïque, de l'Eglise alors visible ; il avait l'orthodoxie, une orthodoxie inflexible, peut-être même implacable ; mais, certainement, d'après le récit de l'Evangile, il n'avait pas cette première des conditions du véritable prêtre, ces entrailles de la miséricorde dans lesquelles le Dieu d'Orient nous a visités d'en haut. Il regarda cet homme d'un oeil profond et sec ; il chercha dans sa casuistique un excellent motif pour passer son chemin, et il le passa."

"Après lui vint un lévite ; il s'arrêta plus longtemps, hésita davantage ; mais, lui aussi, il passa."

"Ce fut le tour d'un samaritain. Les samaritains étaient les hérétiques et les schismatiques de ce temps là. Quant les Juifs avaient épuisé le vieux vocabulaire des injures contre Notre-Seigneur, quand ils lui avaient dit qu'il était un possédé du démon, ils ajoutaient, comme le couronnement de toute cette polémique triomphante : "vous êtes encore pire, car vous êtes un Samaritain." Et le Seigneur Jésus ne leur répondait pas et se laissait doucement classer parmi les Samaritains, ces pauvres hérétiques méprisés. Le pape saint Grégoire le Grand a fait cette remarque que Jésus-Christ n'a pas nié qu'il fût Samaritain. Le Samaritain arrive donc, il voit le blessé. Sans hésiter, il le met sur sa monture, il le conduit à l'hôtellerie voisine ; il regarde ses plaies à travers les larmes de son bon coeur ; il le panse "dans la douceur de l'huile et dans la force du vin", et le confie à l'hôtelier en lui disant : "garde cet homme, soigne-le, je repasserai dans deux jours et je te payerai toute ta dépense."

"Eh bien, dit le maître au docteur de la loi, lequel des trois penses-tu qui fut le prochain du pauvre blessé ?"

" - Ah ! dit le pharisien mal à l'aise et honteux, c'est celui qui a fait la miséricorde."

" - Tu as bien dit, ajouta le Seigneur ; va donc et fais de même."

"Voilà l'âme de l'Eglise. Quiconque a la grâce de Jésus-Christ, laquelle n'est pas sans la foi, au moins implicite ; quiconque a le grand esprit de l'Evangile, la grande charité, la charité dominante, l'amour de Dieu et du prochain, quelles que soient ses erreurs involontaires, il est de l'âme de l'Eglise."

Saluons l'ouverture d'esprit éclairée du Père Hyacinthe, si rare en plein XIXème siècle. Sur cette notion "d'âme de l'Eglise", il est intéressant de comparer ses propos avec ceux des Pères de l'Eglise :

"Pour l'ineffable prescience de Dieu, beaucoup qui paraissent hors de l'Eglise sont dedans, et beaucoup qui paraissent dedans sont dehors !..." Saint Augustin.

"Les limites (frontières), de l'Eglise sont imprécises." Saint Basile

Le Père Hyacinthe, inspiré par l'Evangile, son moteur et sa force, ne jugeait pas d'après les apparences.

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Un Parcours Atypique

Né à Orléans le 10 mars 1827, ordonné prêtre en 1851, successivement professeur au séminaire d'Avignon et de Nantes, vicaire à Saint Sulpice, il fait un passage par l'Abbaye école de Sorrèze dans le Tarn. Il y sera remarqué par son illustre directeur, académicien et orateur plein de feu : Jean-Baptiste-Henri Lacordaire. Devenu moine-prêtre dans l'ordre des Carmes déchaux, définiteur provincial au Broussey (près de Bordeaux) puis supérieur du couvent que cet ordre possédait à Paris, le Père Hyacinthe sera par-dessus tout prédicateur.

Il prêche le Carême en 1863 à Bordeaux, en 1866 dans l'église Saint Louis des Français à Rome. Pendant cinq ans (1864-1868), il prêche l'Avent dans la chaire la plus prestigieuse de France : Notre-Dame de Paris.

Dans le langage d'aujourd'hui, on pourrait dire du Père Hyacinthe qu'il est, dans ses jeunes années : "formaté dans le moule". Puis, il s'en détache, il évolue, il se transforme ! Sa nature profonde, éclairée par les leçons de l'Evangile voit le monde sous un nouveau jour. Il est, pour reprendre une expression chère à Jésus, né de nouveau ; selon l'esprit : "le vent souffle où il veut et tu entends sa voix, mais tu ne sais pas d'où il vient ni où il va. Ainsi en est-il de quiconque est né de l'Esprit." (Jean 3,8)

Lors de ses conférences, encore membre de l'Eglise Catholique Romaine, il tend la main aux Juifs, aux Musulmans, aux Protestants, aux Francs-maçons ! C'est une sorte de franc-tireur posté aux avant-postes de l'Eglise, précurseur de l'oecuménisme moderne.

Le Point de Non Retour

A l'instar de Victor Hugo à la même époque - et d'autres grandes âmes - le Père Hyacinthe est contre la peine de mort. Défenseur de la vie, apôtre de la paix, le discours qu'il prononce le 24 juin 1869 le caractérise. Il marque surtout un tournant dans son sacerdoce.

Le texte publié plus bas - écrit par le Père Patrick (futur Monseigneur Truchemotte) en 1955 - et paru à l'époque dans l'hebdomadaire indépendant "Rolet" témoigne de ce moment clef :


Il savait la magie des mots et, de sa chaire de Notre-Dame de Paris, l'éloquence sacrée déferlant en tempête noyait les coeurs sous des torrents d'émotion; "C'est ma pierre précieuse, disait de lui Pie IX, c'est le meilleur de mes fils, ce sera la fleur de l'Eglise", et la foule se pressait pour entendre la voix célèbre du Bossuet des temps modernes.

Prédicateur !... Oui, mais mieux que cela: prophète, il était celui qui secoue l'apathie d'une génération, celui qui a reçu le don de crier à la face des grands de ce monde la protestation évangélique, celui dont la Semaine Religieuse écrivait : "La Doctrine sort de sa bouche avec la précision du dogme".

Mais ce jour là ce n'est pas dans une église que le Père Hyacinthe allait parler, l'auditoire était le plus divers que l'on puisse concevoir: chrétiens de toutes confessions, juifs, musulmans ou athées... Tous réunis dans un seul but : La Paix.

Le sujet était à la taille de l'orateur et chacun se sentait impatient d'entendre le disciple d'Elie dont le symbolique manteau blanc couvrait la silhouette brune; lui, contemplait en silence cette immensité d'yeux rivés sur lui et, peut-être, pensait-il comme son Maître Divin : "J'ai pitié de cette foule".

Et sa voix tonna soudain dans le silence attentif : "Tu ne tueras point !" : l'orateur remontait aux sources mêmes de sa Foi, au commandement du Dieu Très Haut qu'adoraient Catholiques et Protestants, Juifs et Musulmans et dont la Parole ne restait jamais sans écho, même au coeur de l'incroyant. "Tu ne tueras point, dit le commandement éternel ! mais condamne-t'il seulement l'homme lâche et cruel qui suit sa victime dans l'ombre et lui enfonce un couteau dans le coeur ou lui brûle la cervelle avec un pistolet ? Le meurtre n'est-il plus un crime quand il se commet en grand et qu'il est le fait d'un prince ou d'une assemblée délibérante ? "

En posant cette question le Carme semblait s'adresser à toutes les nations du monde et dans son verbe semblait vibrer et retentir le Verbe de l'Eternel : "Quoi, vous pourrez sans violer la loi de Dieu, sans soulever la conscience de l'homme, sans porter à votre front le signe de Caïn et sans amasser sur votre tête de charbons ardents, vous pourrez ouvrir au soleil de l'Histoire ces vastes champs de carnage et y faire broyer par la mitraille, pour vos caprices ou pour vos calculs, des centaines de créatures humaines !... Caïn ! Caïn ! qu'as-tu fait de ton frère Abel !"

Enfin un prêtre tenait le langage que l'Eglise aurait dû tenir toujours, enfin un prêtre se dressait face à la guerre et osait dire "Non" à toutes ces tueries : "Non ! Depuis que le rayon céleste a gravé la croix sur le labarum, plus de guerres si ce n'est la guerre juste"; le Carme parlait comme il n'avait jamais encore parlé; les bravos auxquels il n'était pas habitué (on n'applaudit pas dans une église) semblaient stimuler son ardeur et le public accroché à ses lèvres saluait chacune de ses périodes par de fervents applaudissements qui s'amplifièrent encore quand il s'écria : "Vous n'avez qu'à appliquer aux peuples la morale des individus et à renverser cette barrière du mensonge: une morale pour la vie privée et une morale pour la vie publique."

Ainsi parla le Père Hyacinthe LOYSON, définiteur provincial des Carmes et supérieur du couvent de Paris, le 24 juin 1869.

Ce discours souleva l'indignation des milieux "bien-pensants" et l'Univers écrivit par la plume de Louis Veuillot : "Qu'importent des milliers de vies humaines si les âmes ne meurent pas!"

L'orateur fut blâmé par Rome et par les ultramontains, fut mis par son supérieur dans l'alternative de se soumettre ou se démettre; alors le 20 septembre, dans une lettre pleine de dignité, il fit part à ses chefs de sa décision de rester envers et contre tous fidèle à la cause de la paix : "Je ne resterai pas comme ces chiens muets d'Israël dont parle le prophète."

Ayant rompu toute attache avec l'Eglise de Rome, le Carme adhéra à l'Eglise Gallicane et devint curé d'une paroisse rue d'Arras; par humilité il refusa toujours l'épiscopat comme il l'avait auparavant refusé de l'Eglise Romaine. Son souvenir demeure vivace dans l'Eglise Gallicane et ce n'est jamais sans une certaine émotion qu'après avoir dit ma messe je récite, au bas de l'autel, la profession pacifique de l'Eglise que reprend l'assistance : "Nous voulons que la paix de Dieu règne sur la Terre parmi tous les hommes... Eternellement qu'il en soit ainsi."


Banni et Frappé d’Excommunication

Quittons le Père Patrick et retrouvons le célèbre prédicateur après sa démission de l'Eglise Romaine. Le 20 septembre 1869, il élève une célèbre et solennelle protestation contre les déviations de l’Eglise Romaine :

"J’élève devant le Saint Père et devant le Concile ma protestation de chrétien et de prêtre contre ces doctrines et ces pratiques qui se nomment romaines, mais qui ne sont pas chrétiennes et qui, dans leur envahissement toujours plus audacieux et plus funeste, tendent à changer la constitution de l’Eglise, le fond comme la forme de son enseignement et jusqu’à l’esprit de sa piété."

En réponse, il est frappé de l'excommunication majeure le 10 octobre 1869. Mais le Père Hyacinthe continue son chemin, en chrétien et en homme libre.

Il refuse les honneurs et le prestige d’une brillante carrière au sein de l’Eglise de Rome. Rompant avec celle-ci, il recouvre sa liberté vis à vis d’une hiérarchie qui s’est éloignée considérablement de la simplicité et de l’esprit de l’Evangile.

Fondation de l’Eglise Gallicane

Le 30 juillet 1870, le Père Hyacinthe fait une déclaration fracassante contre : "le prétendu dogme de l’infaillibilité du pape".

Fort du soutien manifesté par de nombreux prêtres et fidèles au lendemain de cette protestation, la question se pose pour lui de structurer le vaste courant gallican d'opposition à l'absolutisme du Vatican. La nuit de Noël 1872 il célèbre la messe et baptise à Paris, mais la rigidité légale du Concordat napoléonien lui interdit la célébration d'un culte public. Il quitte donc la France et s'exile en Suisse.

Entre temps il épouse Emilie Meriman. Il est alors âgé de 45 ans. En mars 1878 il rentre à Paris, décidé à créer une Eglise catholique indépendante en France, quelles que soient les difficultés.

Il commence par faire des tournées de conférences pour faire connaître son vaste projet. En juillet 1878, l'Eglise Anglicane - en la personne de l'archevêque de Canterbury - annonce qu'elle protégera et soutiendra la nouvelle Eglise Gallicane.

Le 9 février 1879, une chapelle est inaugurée rue Rochefort dans le 9ème arrondissement à Paris. De nombreux fidèles se pressent pour écouter le Père Loyson. L'idée d'une Eglise de France indépendante fait son chemin et mobilise de nombreuses bonnes volontés - non par nationalisme - mais par opposition au centralisme et au totalitarisme romain.

L'idéal gallican du Père Hyacinthe souhaite en effet favoriser la prise d'identité des Eglises locales, avec leurs aspirations légitimes, leurs problèmes spécifiques, etc. Il est oecuménique : le 10 août 1879 a lieu une réunion à Berne (Suisse) sur le thème de l'intercommunion. Y participaient: Mgr Edouard Herzog, évêque de l'Eglise Catholique-Chrétienne de la Suisse, Mgr Joseph Reinkens, évêque de l'Eglise Catholique Indépendante d'Allemagne (équivalents suisse et allemand de l'Eglise Gallicane - fondées en réaction au concile du Vatican de 1870), Mgr Henry Cotteril, évêque de l'Eglise Anglicane, le R.P. Hyacinthe Loyson, pour l'Eglise Gallicane.

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En 1880, les effectifs de l'Eglise Gallicane progressent, de nombreuses personnes viennent en masse écouter l'illustre prédicateur. La chapelle de la rue Rochefort devient trop petite. Le 6 mars 1881 un nouveau lieu de culte est inauguré rue d'Arras, toujours à Paris, d'une capacité de 1500 fidèles toujours réguliers et assidus aux offices.

La providence intervient sous la forme d’un décret présidentiel : 3 décembre 1883. Sur le plan juridique, la situation de l'Eglise Gallicane est jusque là illégale, mais du fait de sa très grande notoriété le Père Loyson est quasiment intouchable. A la demande de trois amis du Père Hyacinthe, membres du Conseil Directeur de la paroisse, le Président de la République autorise le fonctionnement légal de la chapelle gallicane sise rue d'Arras à Paris. L'Etat ne peut reconnaître le culte gallican: le carcans terrible imposé par le Concordat napoléonien le lui interdit. En revanche, le Président de la République peut autoriser la célébration d'un culte public non reconnu par l'Etat.

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En fait, Jules Grevy et son Ministre de l'Intérieur Waldeck Rousseau contournent la loi pour répondre à l'attente de nombreux fidèles fermement attachés au gallicanisme. Ce décret eut-il une influence sur la future loi de 1905 dans laquelle la République déclara ne plus reconnaître, salarier et subventionner aucun culte ? C'est une hypothèse à considérer. En tout cas, vingt-deux ans plus tard, soit le 9 décembre 1905, les parlementaires français exprimeront leur volonté de voir la France se débarrasser du catholicisme "à la Syllabus". Ils promulgueront la fameuse loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat. Et celle-ci autorisera la création d’associations cultuelles, socle légal de notre Eglise encore aujourd’hui.

De Nouveaux Horizons

Le décret du 3 décembre 1883 laissait entrevoir d'immenses possibilités pour le développement de l'Eglise Gallicane. L'autorisation de Jules Grevy aurait pu être étendue à d'autres paroisses (celle de l'Abbé Junqua à Bordeaux par exemple - chapelle Saint Jean-Baptiste), à de futures chapelles constituées. Nous savons qu'existait en France un courant favorable à la constitution d'une Eglise catholique débarrassée de l'ingérence du Vatican.

Une partie non négligeable du clergé français aurait accepté de se placer sous la juridiction d'un épiscopat franchement gallican. Seulement voilà : le Père Hyacinthe Loyson refusa la consécration épiscopale proposée par l'Eglise Anglicane. Choix dramatique lourd de conséquences qu'il ne nous appartient pas de juger. La charge épiscopale suppose en effet d'assumer la responsabilité morale, spirituelle et administrative d'une Eglise. Cette tâche effrayait-elle le Père Hyacinthe ? Nul ne sait. Mais sans au moins un évêque pour l'administrer l'Eglise Gallicane ne pouvait se développer : impossible pour elle d'ordonner de nouveaux prêtres, de donner le sacrement de confirmation aux enfants, de mettre en place la nécessaire structure (formation des clercs, statut des paroisses, coordination du clergé, etc).

Les Conséquences d’un Choix

Qu'advint-il alors de l'oeuvre du Père Loyson ? Environ un an après le décret du Président de la République, l'illustre prédicateur envisagea de se démettre de sa charge de recteur de la grande paroisse gallicane de Paris. Les fidèles et son Conseil de direction le persuadèrent de rester en fonction.

Mais l'arrivée en 1887 d'un vicaire ordonné par l’Eglise Vieille-Catholique de Suisse (Abbé Volet) poussa le Père Hyacinthe vers la sortie. On lui reprocha son mariage contracté en 1872, ses idées oecuméniques un peu trop en avance sur son époque. On oubliait pourtant que ces mêmes idées généreuses attiraient les foules dans son église.

Le 3 mars 1893 le Père Hyacinthe démissionna de sa charge de recteur. Le 1er mai, Mgr Gul, archevêque de l'Eglise Vieille-Catholique de Hollande prit possession de la paroisse parisienne ex-gallicane au nom de l'Union d'Utrecht. Mais des divergences naquirent parmi les fidèles. La communauté se scinda en deux blocs. Une moitié accepta la tutelle hollandaise, emmenée par les Abbés Volet et Van Thiel; l'autre moitié conduite par l'Abbé Bouland refusa de se soumettre au siège hollandais. Il y eut alors rupture et constitution de deux paroisses distinctes à Paris: l'une vieille-catholique, soumise à Utrecht; l'autre gallicane, sous la direction spirituelle de l'abbé Bouland, élu successeur le 3 août 1893. Cependant, ni l'une ni l'autre n'auront l'impact charismatique du Père Hyacinthe. Elles se désagrégeront lentement.

Force est de constater dans cet épisode, et même plus tard, que les fidèles gallicans n'avaient pas quitté Rome pour se placer sous l'autorité d'un siège étranger : Utrecht, Canterbury ou patriarcats orthodoxes (Moscou ou ailleurs).

Le courant gallican a toujours voulu rester libre et administrer lui-même sa propre Eglise Gallicane. C'est ce que put réaliser Mgr Giraud par la suite, en créant l’association cultuelle Saint Louis le 15 février 1916 et en fondant le siège patriarcal de Gazinet en 1928.

Vers l’Essentiel

A 67 ans, Hyacinthe Loyson reprend son bâton de pèlerin et de conférencier. On l'entend en France et en Suisse.

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Trop à l’étroit dans le moule romain, et peut-être même, dans l’appareil ecclésiastique et les institutions religieuses en général, l’idéal chrétien du Père Hyacinthe aspirait à une liberté plus proche de celle des Evangiles. Cela, les pharisiens des temps modernes ne l’ont jamais accepté.

Homme libre et franc tireur, son parcours spirituel est le contraire de l'intégrisme. Il n’est pas culpabilisateur pour le prochain. Il rejoint Jésus qui ne juge pas, ne condamne pas. Il privilégie l’espérance, l’ouverture d’esprit, la compassion et la miséricorde.

Vers la fin de sa vie, ses adversaires l’ont accusé d’être devenu déiste. Cette croyance respectable en l'existence d'une entité divine, d'un être suprême hors de toute religion peut-elle être représentative du Père Hyacinthe ? Je ne le crois pas. Ce serait polémique et réducteur.

Le Père Hyacinthe était fondamentalement chrétien, mais d’un christianisme dépouillé de ses attributs lourds et pesants, de la pompe et de la casuistique romaine par exemple, de ce qui réduit et enferme. Il était vêtu et habillé du Christ, seulement. C’était là son essentiel. Tant de choses alourdissent et obscurcissent l’esprit humain. Lui avait revêtu Jésus, et cet essentiel lui suffisait.

Il s'éteint à Paris en 1912, alors âgé de 85 ans. Craignant que des fanatiques ne viennent profaner sa dépouille mortelle, il demanda que son corps soit incinéré.

Mgr Thierry Teyssot

Clin d’Oeil Canadien

Cette foi chrétienne chevillée au corps et à l’âme, cet attachement à la personne du Christ est clairement visible en 1895, bien après que l’illustre carme ait quitté la vie parisienne et se soit démis de ses fonctions de recteur. Dans une lettre adressée depuis Tunis à Mgr Vilatte, au Canada, le Père Hyacinthe témoigne qu’il s’intéresse toujours à la Réforme catholique de l’Eglise. L'étude de l'abbé Jean Parisot publiée en 1899 - page 38 - constitue un précieux témoignage :

Tunis, le 22 décembre 1895
Mon cher Evêque Vilatte,
Vous m’envoyez le Old Catholic, dont je vous remercie. Je vois que vous y avez pris ma défense contre ceux qui m’accusent de devenir musulman. Encore une fois, je vous en remercie.
Je reste, et, avec l’aide de Dieu, je resterai chrétien.
Vous avez bien fait de rompre avec les Jansénistes de Hollande et avec ceux qui les suivent. Il n’y a rien à espérer d’eux pour la Réforme catholique de l’Eglise.
Priez pour moi.
Hyacinthe Loyson

Cette lettre du Père Hyacinthe témoigne des liens d’estime et d’amitié existant entre le vieux prophète et le jeune évêque missionnaire aux Amériques. Mon ami et frère dans l’épiscopat - Mgr Serge A. Thériault - quatrième successeur de Mgr Vilatte pour l’Eglise Catholique-Chrétienne fondée par ce dernier au Canada - à la fin du XIXème siècle - m’a écrit récemment, à propos du Père Loyson :

- "C'est à lui que notre réformateur Chiniquy a référé l’abbé Vilatte en 1884-85. Notre Eglise a reçu de lui une forte influence qui se ressent encore aujourd'hui dans notre office de prière du Précieux-Sang (troisième dimanche du mois) qui fait usage d'extraits du livre de prière gallican préparé par le Père Loyson. Par exemple, la récitation des dix commandements avec répons, après chacun : Seigneur, aie pitié de nous et incline nos coeurs à garder cette loi."


Pour aller plus loin dans cette étude consacrée au centenaire de la disparition du Père Hyacinthe, appuyons-nous maintenant sur un autre témoignage. Celui-ci fut publié une première fois dans le journal Le Gallican de 1961 (numéros du premier et deuxième trimestres), puis une deuxième fois dans le numéro d’avril 1996 de ce même journal. Il s’agit d’un article rédigé par Mgr Ducasse-Harispe, l'un des élèves du Révérend Père Hyacinthe Loyson. Ses souvenirs du grand homme et la délicatesse de sa plume témoignent que cette rencontre fut déterminante pour lui.

Bien des années plus tard, ordonné prêtre par le patriarche gallican Mgr Giraud en 1932, docteur en philosophie et licencié en mathématiques, Mgr Harispe fut longtemps professeur sur la côte d'Azur. On lui doit plusieurs ouvrages : "Pensées sur l'Amour de Dieu", "Théologie de la Mort", et surtout, "l'Eucharistie en Esprit et en Vérité". Monseigneur Ducasse-Harispe vécut jusqu'à 97 ans dans son village d'Urt (Basses Pyrénées). Il fut rappelé à Dieu en 1962.

Témoignage

Le Père Hyacinthe LOYSON, d'illustre mémoire, naquit à Orléans en 1827, et mourut à Paris en 1912. Quand le nom de ce célèbre prédicateur est prononcé devant des chrétiens "bien pensants", il est stigmatisé par des épithètes péremptoires : "c'était un schismatique, un renégat, un excommunié" - et s'il a droit à ces qualificatifs péjoratifs, on peut dire que "c'est l'orgueil qui l'a perdu, ou encore les tentations de la chair", ou autres suggestions qui naissent naturellement en des âmes malveillantes.

Et voilà l'homme, en dépit de sa valeur morale, de son intelligence supérieure - disons le mot : en dépit de sa belle âme et de la sainteté de sa vie - mis au ban de l'humanité, considéré comme le rebut de l'honnête société. Le jugement inexorable et définitif est prononcé, on a dépouillé le fantoche de la peau du lion, il reste nu dans son déshonneur. La cause est entendue pour le présent et pour le futur.

Et par qui ce jugement est-il publié ? Par des gens qui ne l'ont pas connu, et par d'autres à l'étroite cervelle qui suivent les premiers comme des oies suivent à la queue leu leu un jars important qui va bêtement devant lui, accompagné de tous ces bipèdes jargonnant en choeur...

Le Père Hyacinthe méritait-il cette malédiction d'un réprouvé ?

Faisons appel au témoignage de quelqu'un qui l'a connu, qui a vécu auprès de lui, qui a participé à sa vie intime. Sa déclaration aura une valeur à laquelle ne sauraient aspirer les jugements imprécis de la multitude mal avertie.

Et présentons sans plus tarder ce précieux témoin : c'est l'auteur même des présentes lignes, qui l'a vu, qui l'a entendu, qui l'a connu, qui a vécu quelques années dans son intimité, qui l'a eu - et a pu l'apprécier - comme conseiller spirituel.

Je ne saurais, en me remémorant ces souvenirs anciens, passer sous silence cette remarquable réflexion du pape Pie XI, à propos des croyants qui n'étaient pas sous sa houlette : "Chez les catholiques, fait parfois défaut la juste appréciation de leurs frères séparés, parce qu'ils ne les connaissent pas. On ne sait pas tout ce qu'il y a de précieux, de bon, de chrétien, dans ces anciennes fractions de la Vérité catholique; les blocs détachés d'une roche aurifère sont aurifères eux aussi."

Et voilà d'un mot le Père Hyacinthe réhabilité par un Pontife Romain de vaste érudition.

On peut considérer la personne du Père Hyacinthe dans sa vie publique, dans sa vie familiale, dans sa vie religieuse.

Faisons une esquisse succincte de ces trois aspects du passage ici bas de notre vénérable personnage.

Sa Vie Publique

Cette vie publique n'est autre chose que sa carrière de haute prédication.

Sous ce rapport, les avis sont unanimes. Le Père Loyson était un orateur prestigieux. Prêchant la station quadragésimale à Notre-Dame de Paris, il illustra cette chaire au même titre que Lacordaire, et le Père Monsabré (né comme lui en 1827) ne l'éclipsa pas, pas plus que ceux qui les avaient précédés et qui les ont suivis.

Son éloquence tenait sous le charme ses auditeurs enthousiasmés, et souvent des applaudissements leur échappaient dans le lieu saint, subjugués par la magnificence du verbe de cet orateur plein de feu.

Quand il eut quitté le froc de Carme pour s'unir par le mariage religieux à celle qui devait être la compagne élue de son coeur, il n'abandonna pas la prédication qui était la raison d'être de son activité.

Il essaya de redonner de l'élan à l'Eglise Gallicane qui avait beaucoup perdu de son prestige et menaçait de s'éteindre. Il loua, au n°3 de la rue d'Arras, à Paris, un local qu'il transforma en chapelle. Elle était entourée de tribunes confortables qui la rendait apte à accueillir les nombreux assistants de l'après-midi dominical.

Il habitait alors une agréable villa, boulevard Inkermann, à Neuilly-sur-Seine, et, chaque dimanche, il se déplaçait pour célébrer la messe le matin dans son oratoire, et l'après-midi pour le chant des Vêpres et le discours hebdomadaire, fervemment attendu par de nombreux parisiens.

Un petit local de deux pièces attenant à l'édifice était occupé par un vicaire et par moi-même, alors simple clerc. Ma chambre servait de salle à manger, où le frugal repas était fourni par un hôtel voisin.

La messe était suivie par un groupe assez important de fidèles. La liturgie était celle de l'Eglise Romaine, en français. Le Père célébrait le divin Sacrifice sans ornements, vêtu seulement de l'aube. Son homélie dominicale était d'une grande simplicité : il parlait à ses fidèles comme tous les pasteurs de toutes les églises, avec la modeste éloquence du coeur.

Les divers prédicateurs de Notre-Dame ont tous fait imprimer leurs discours qui, après des années, laissent encore aux lecteurs des impressions admiratives. Le Père Hyacinthe fait exception. Il n'a jamais voulu livrer ses magnifiques discours. Je n'ai connu de lui qu'une mince brochure intitulée : ni cléricaux, ni athées.

Il méditait profondément ses sujets, puis au moment de les développer en public, c'était un torrent d'éloquence qui laissait ses auditeurs stupéfaits et ravis. Il avait un don d'improvisation vraiment extraordinaire. Le fait suivant, dont j'ai été témoin, en donnera une idée.

C'était un dimanche habituel. Il parlait depuis un quart d'heure, entourant sa rhétorique de preuves théologiques et d'arguments scripturaires, lorsqu'au milieu d'une période une voix s'éleva au sein de l'auditoire silencieux pour s'écrier d'un ton que semblait fortifier la colère: - Ce n'est pas vrai !

L'orateur surpris, s'interrompt, puis jette à son contradicteur cette apostrophe :

- Ah ! ce n'est pas vrai ! Je veux vous faire rentrer ça dans la gorge. Ecoutez-moi et vous mordrez la poussière. Ah ! ce n'est pas vrai...

Et là-dessus, il déverse avec feu une cascade de solides arguments qui, stimulés par la contradiction, touchent le sublime de l'éloquence. Et le discours se déroule, une demi-heure, une heure... L'orateur intarissable, en sueur, s'arrête enfin, et s'excuse de ne pas avoir donné suite au discours précédemment annoncé ! Il est remis à une date ultérieure.

On avouera qu'il n'avait pas écrit une seule ligne préparatoire à ce second discours... Et d'ailleurs, il prenait des notes dans son cabinet de travail, mais ne les développait pas, se fiant au génie de son verbe. Et si toute improvisation est sujette à des redites ou à des périodes d'une facture moins parfaite, nul ne s'en apercevait.

Il semble qu'avec un homme qui avait montré un grand courage pour braver l'opinion, et qui se révélait une intelligence supérieure, son projet de réforme catholique eût paru voué à un plein succès. Il avait reçu des encouragements de pasteurs protestants en vue, et des sympathies du côté du clergé romain - restées secrètes - ne lui manquèrent pas.

En dépit de tous ces atouts, la réforme resta morte-née. En voici la raison : le Père Hyacinthe était un prédicateur hors ligne, mais là se bornait sa capacité. Il était d'une déficience surprenante au point de vue organisateur. Ce méditatif n'était pas un homme d'action, et il n'eût aucun collaborateur pour le seconder. Il dut même en quelque sorte abandonner son titre de chef gallican. Ce fut, à cette époque, l'archevêque d'Utrecht qui essaya de ranimer l'Eglise mourante en lui proposant un lieu de culte boulevard Auguste Blanqui - lequel, après avoir, pendant un certain temps, donné asile à quelques prêtres sérieux issus de la branche vieille-catholique suisse, est aujourd'hui entre les mains d'une Eglise Orthodoxe.

Sa Vie Intime

Pénétrons dans la petite villa du boulevard Inkermann, et surprenons la vie intime du Père Hyacinthe auprès de Madame Loyson et de son fils Paul.

Lui, le Père, un homme bon, paternel, toujours pensif et méditatif, ne s'occupant en rien de la direction de sa maison.

Elle, son épouse, maîtresse femme, menant la barque du ménage d'une main vigoureuse.

Et le jeune Paul, élève du lycée Janson de Sailly, gentil garçon, intelligent, quelque peu mystérieux. Je l'ai aidé dans ses devoirs du collège et n'ai jamais pu distinguer son vrai caractère ; sous des dehors affables et polis, il restait un peu distant.

Le Père passait ses journées dans son bureau où il répondait méthodiquement à une nombreuse correspondance et recevait de fréquents visiteurs de tout genre et de toute situation sociale. On peut dire que sa vie était celle d'un moine. A proximité de son cabinet de travail était une petite pièce, sa chambre à coucher, à peine meublée, où l'on voyait un lit de camp - telle la cellule d'un religieux franciscain.

Généralement silencieux, il ne se perdait pas en parole auprès des siens. C'est la mère qui emplissait la maison de vie, car, au contraire de son mari, elle était expansive et exubérante, ce qui avait l'air d'ailleurs de plaire au chef de famille taciturne.

Tout homme, surtout celui dont la vie publique est mouvementée, a besoin de certaines heures de détente et d'apaisantes récréations. Je n'ai aucun souvenir de ce qui a pu être pour le Père Hyacinthe ce délassement intellectuel. Il vivait étranger au monde extérieur ; physiquement, il était de ce monde, spirituellement il était d'ailleurs.

Et c'est peut-être pour cela qu'il considérait d'un oeil serein les critiques acerbes qui ne manquaient pas de lui être décochées et les appréciations désobligeantes de ses moindres démarches.

Dans ses conversations avec des intimes, sa voix était douce et caressante. Et lorsqu'il croyait devoir adresser à quelque inférieur un blâme sur sa façon de vivre, il s'en acquittait d'un air à la fois contraint et persuasif, dont on ne pouvait se défendre et qu'on acceptait comme venant d'un père très aimant.

Des langues malveillantes lui ont fait le reproche d'être un homme orgueilleux. Il l'était aussi peu que possible et vivait d'une vie tellement effacée et retirée que, sans ses retentissantes conférences religieuses, il fût passé tout à fait inaperçu, même de ses plus proches voisins.

On sait que le Vatican lui avait fait une offre vraiment alléchante pour un "paria". Il lui promettait, en échange de sa démission de l'Eglise Gallicane et l'annulation de son mariage - son élévation à l'archevêché de Lyon...

Après avoir été l'obscur desservant de la rue d'Arras, se voir promu prince de l'Eglise et primat des Gaules, aurait pu, à tout autre que lui, paraître le tremplin d'une gloire enviable.

L'humble Père Hyacinthe n'en fit rien et demeura le simple prêtre découronné qu'il voulait être devant sa conscience.

Autant son langage vibrant dans la chaire chrétienne auréolait l'orateur d'une grande majesté, autant le ton de sa conversation était dépourvu de tout éclat. On conversait avec lui comme avec un simple curé de petite paroisse ; il se mettait tout naturellement à la portée de son interlocuteur, et rien dans l'échange des paroles d'une entrevue familière n'eût pu rappeler la foudre éloquente de la chaire de Notre-Dame qui laissait l'auditoire dans une sensationnelle émotion.

Le Père Hyacinthe pardonnait chrétiennement à ses contradicteurs, à ses ennemis aussi, car il en avait parmi les fanatiques qui jugeaient sa vie scandaleuse et digne de profond mépris. Et c'est pourquoi il est probable que, prévoyant qu'après sa mort un jour viendrait peut-être où sa dépouille mortelle serait profanée - comme le fut le cadavre de ce pontife malheureux qu'une foule déchaînée précipita dans les eaux du Tibre...

Aussi prit-il ses précautions pour éviter ces injures d'outre-tombe : son corps fut incinéré en 1912. Il était âgé de 85 ans.

Sa Vie Religieuse

La concentration que nous avons remarquée dans sa vie intime se retrouve dans sa vie religieuse.

Le Père Hyacinthe était incontestablement un homme de prière. De quelles pieuses méditations n'a-t-elle pas été témoin, la cellule monastique de l'ex-carme ! Mais il priait dans le secret de son coeur, comme ayant la pudeur de ses élans vers Dieu.

Dans son oratoire de la rue d'Arras, il ne présidait aucune prière en commun : récitation de chapelet, litanies, etc... Seules avaient grâce à ses yeux les oraisons liturgiques du Sacrifice de la Messe et des Vêpres. Le reste lui paraissait un roulement de paroles sans valeur profonde, débitées dans l'inattention et le vide de l'âme. J'imagine volontiers qu'il offrait chaque matin à Dieu ses oeuvres de la journée, comme une participation à la présence divine, faisant ainsi une prière de sa vie entière.

Ce personnage d'illustre mémoire dont nous avons, à grands traits esquissé la vie publique et privée, méritait mieux que les quelques lignes que lui ont appliquées nos reconnaissants souvenirs.

Mais nous espérons que leur brièveté aura reconstitué, malgré tout, dans la vérité cette auguste figure du siècle dernier.

Et il nous est apaisant de penser que Dieu, dans sa suprême Sagesse, n'aura pas considéré la jurisprudence humaine pour juger des actions de ce bon chrétien, de ce prêtre croyant, de cet époux fidèle, de ce père de famille irréprochable, de cet apôtre convaincu, de ce véritable disciple de l'amour divin, et que cet être privilégié aura trouvé un accueil bienveillant au sein de la Justice et de la Miséricorde.

Mgr Ducasse-Harispe


Documents

Extraits de conférences données par l'illustre Père Loyson - à replacer dans le contexte de la fin du XIXème siècle - pour mieux aprécier la portée prophétique de ce précurseur de l'oecuménisme moderne.

Sur les Juifs

Je conclus, Messieurs, que notre morale est la morale des Juifs, comme leur dogme est notre dogme. Et, par conséquent, lorsque je parle de la synagogue, je parle de notre religion, je parle de notre Eglise. Quand je m'assois avec les patriarches et les prophètes, je m'assois avec mes maîtres, avec mes instituteurs, avec mes devanciers dans le Christ ! Interrogez les Ecritures, disait Jésus-Christ alors que le Nouveau Testament n'existait pas encore, interrogez Moïse et les prophètes, ils vous parleront de moi !

J'ai donc raison de dire, avec Saint Augustin, que le christianisme est un judaïsme accompli, comme le judaïsme était un christianisme commencé.

Sur les Musulmans

Je ne puis oublier que, malgré ses erreurs et ses violences, le mahométisme fait régner à cette heure, l'idée, plus que l'idée, le sentiment vrai du Dieu unique sur cent millions de mes semblables. Ce sont les fils d'Ismaël qui ont fait cela. Je ne récriminerai pas contre les injustes détracteurs des peuples musulmans.

Sur les Protestants

Si ce génie profond, si ce coeur généreux, si cet homme qui a attendu sinon les cheveux blancs de la vieillesse, du moins la maturité de l'âge pour rentrer dans l'unité visible, si cet homme n'a pas péché contre la lumière, de quel droit, hommes injustes et violents, infligeriez-vous à tous ceux qui vivent dans le protestantisme le stigmate du mensonge et du mal ? Ah! Je ne vous laisserai jamais dire ces choses! Je reviens, moi, dans ce moment, du pays protestant par excellence ; je reviens d'Angleterre. Eh bien! Je dois ce témoignage à la vérité : je n'ai pas trouvé là seulement de grands citoyens, j'y ai trouvé aussi de grands chrétiens ! Quand je leur serrais la main, quand j'épanchais ma pensée dans la leur, quand je touchais leur âme avec mon âme, - il faut surtout cela pour connaître les hommes... Il y a des barrières, dit-on; je le sais bien ; si vous le voulez, il y a même des abîmes; mais est-ce que la Foi ne transporte pas les montagnes? Est-ce que la charité ne comble pas les abîmes ? Ce ne sont pas les discussions violentes, les âpres controverses qui rétabliront l'unité; c'est la charité, c'est l'amour, les nobles vertus des coeurs vraiment chrétiens... Laissez-moi leur serrer la main, les presser contre ma poitrine, ces chrétiens sincères dans leur égarement, mais sincères dans leur amour de Dieu, de Jésus-Christ, des hommes, et dans cette étreinte, laissez-moi reprendre mon cantique : "Qu'il est bon, qu'il est délicieux d'être frères" (Psaume 133,1), et d'habiter ensemble sinon dans le même corps, au moins dans la même âme, dans l'invisible unité de l'Eglise et de Jésus-Christ !

Sur l'Eglise

Il ne faudrait pas confondre, comme on le fait trop souvent, l'Eglise avec le clergé en général, ni même avec l'épiscopat et la papauté. C'est toujours une grave erreur d'absorber une société dans son gouvernement. La famille n'est pas le père, et, quoiqu'en ait dit Louis XIV, l'Etat n'est pas le prince. Mais cette confusion ne serait nulle part aussi fausse et aussi funeste que par rapport à l'Eglise, où le gouvernement est un ministère, non une domination. L'Eglise est une fraternité divinement constituée dans la hiérarchie : "Vous êtes tous frères, vous n'avez qu'un seul maître et un seul Père qui est au ciel" (Mathieu 23,8). L'Eglise, dit encore l'Ecriture, est un corps, le corps du Christ (1Cor. 12,27). La vie n'est pas seulement dans la tête, elle est dans tous les membres. Que les laïques ne se désintéressent donc pas de l'Eglise comme d'une institution qui leur soit étrangère et dont ils puissent tout au plus subir les contrecoups lointains. Eux-mêmes sont l'Eglise avec la hiérarchie.

Il faut donc entendre par l'Eglise la société religieuse tout entière, les fidèles avec les pasteurs, et, pour reprendre la comparaison de Saint Paul, les membres avec le chef.

Choix de Pensées à Méditer du Père Hyacinthe Loyson


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