Si en matière de dogme l'essentiel de la doctrine chrétienne a été révélé une fois pour toutes, il ne faut pas pour autant négliger que, ainsi que l'a indiqué Saint Vincent de Lérins, la religion des âmes imite la croissance physique du corps dont les éléments évoluent et grandissent au cours des années.

D'où la nécessité, pour toute Eglise locale, de faire parfois le point pour le plus grand bien de ses fidèles.
La religion est en perpétuel progrès; le nier serait aller contre toute logique.
"Peut-il," écrit encore Saint Vincent de Lérins, "se trouver quelqu'un assez jaloux des hommes, assez rempli de haine envers Dieu, pour tenter de s'opposer à ce progrès ?"

De cette progression, de cette croissance de l'Eglise, découle le besoin de réexaminer les conditions d'existence du couple chrétien en fonction des transformations sociales et de la présence du dogme.

Pascal a écrit dans ses Pensées que "la vraie morale se passe de morale."
En effet, alors que la morale mondaine a pour critère le jugement des hommes, la morale chrétienne, rejetant tout légalisme, n'a d'autres impératifs que ceux de la conscience.

L'Evangile insiste souvent sur les dangers de ce moralisme pharisaïque, de la lettre qui tue, qui ramène tout au niveau d'une psychologie infantile: ... Il est permis ... Il est interdit ...
Pourquoi, dit Saint Paul, vous impose-t'on ces préceptes: ne prends pas, ne touche pas, ne goûte pas ... qui tous deviennent pernicieux par l'abus, et qui sont fondés sur les ordonnances et les doctrines des hommes.

De la Genèse à l'Evangile, et même durant les premiers siècles de la vie de l'Eglise, la morale religieuse a été dominée par les exigences de la reproduction de l'espèce humaine. L'histoire des filles de Lot (Genèse 19) est un exemple très particulier de cette primauté du commandement de multiplier sur tout autre considération religieuse ou morale. D'où le malheur à toi stérile de l'Ancien Testament.
De là aussi, en raison du nombre plus réduit des hommes, la légalisation de la polygamie. Le livre du Deutéronome tient compte de cette polygamie dans l'établissement des lois d'Israël: - Si un homme a deux femmes... (Deut. 21,16). Mais une profonde modification de cette façon de voir allait être apportée par le Nouveau Testament.

Chez les premiers chrétiens, la croyance à une venue proche du Royaume rendait inutile le désir d'une postérité. Dans l'optique de Saint Paul, le mariage a pour objet d'éviter l'impudicité (1 Cor. 7,2). L'union de l'homme et de la femme n'est plus un devoir mais une tolérance: "Il vaut mieux se marier que de brûler" (1 Cor. 7,9).
Cependant, Paul prend soin de préciser qu'il s'agit là de conseils, et non d'une loi divine. Mais quand l'Apôtre ne donne pas cette précision elle coule de source, puisqu'il explique bien que le légalisme a été aboli par le Christ: "Morts à cette loi qui nous tenait asservis, nous en sommes affranchis..." (Rom. 7,6).

Après la prédication de l'Evangile aux divers peuples de la terre, les nouvelles Eglises qui s'établissent un peu partout sont loin d'aborder la même notion du couple.
Pourtant, un certain nombre d'entre elles ont tendance à se laisser influencer par les Eglises légalistes du judaïsme.
Ce n'est que lentement que s'établira un puritanisme sans véritable fondement dans les Ecritures. L'un des aspects du gallicanisme sera de lutter contre les exagérations romaines en ce qui concerne la morale sexuelle.
L'humanisme chrétien se rira bien volontiers des outrances ultramontaines. Il n'est que de citer Rabelais, curé de Meudon, qui fut délégué de l'Eglise Gallicane pour défendre les positions de l'Eglise d'Angleterre contre les prétentions romaines.

Pourtant, au fur et à mesure que l'Eglise de Rome établissait sa suprématie dans la Chrétienté, elle instaurait sa doctrine sexuelle, curieux mélange de manichéisme et de judaïsme: célibat des prêtres, interdiction de tout rapport sexuel avant le mariage, restriction des rapports à la seule procréation des enfants, idée de péché attachée à l'acte de chair, etc.

Il faut dire que cette doctrine ne fut pas le fait de la seule Eglise Romaine; l'ignorance et la superstition de la société forcèrent souvent les autorités ecclésiastiques à adopter une position légaliste.
En 1870, la prise de conscience d'un certain nombre d'ecclésiastiques gallicans allait amener une saine réaction. Sous l'influence du Rev. Père Hyacinthe Loyson, de l'Abbé Mouls, de Mgr Vilatte, l'Eglise Gallicane affirma la liberté de mariage pour le clergé, la possibilité de bénir certains mariages de divorcés.

Mais à la fin du XXème siècle, des faits nouveaux se sont présentés, qui amenèrent les Eglises à repenser certains aspects de la notion du couple.

Surpopulation -
Alors que durant des millénaires la morale du couple a été dominée par la nécessité de reproduire l'être humain, voici que la terre surpeuplée ne peut plus assurer la nourriture de ceux qui naissent... D'où un renversement des valeurs qui permet de légitimer le contrôle des naissances.
Là encore, seule la conscience des intéressés, après avoir prié et demandé aide à l'Esprit-Saint, peut librement trancher la question.

Emancipation de la femme -
Dans la société primitive (et de nos jours encore dans certaines contrées) l'homme achetait son épouse, qui devenait ainsi sa propriété. Il semble que la législation judaïque ait été dominée par ce souci d'empêcher le vol: "Tu ne convoiteras point ni la femme de ton voisin, ni sa maison, ni son champ, ni sa servante..."
De nos jours, cette notion de propriété n'existe plus. La femme n'est plus une chose, un objet de plaisir; elle est l'associée de l'homme, partage ses responsabilités et ses droits.
L'optique du couple s'en trouve donc transformée et il appartient aux Eglises d'en tenir compte.
On peut objecter que Saint Paul recommande aux épouses la soumission; mais là encore, il faut se placer dans le contexte de l'époque. Que Saint Paul ait demandé aux esclaves chrétiens l'obéissance ne signifie pas une approbation de l'esclavage...
Doctrine d'amour et de libertés, le christianisme a travaillé à l'émancipation de l'esclave et à celle de la femme. S'appuyer sur la lettre des textes pour en revenir à une conception judaïque du couple serait trahir l'esprit de l'Evangile.

Transformation de la société -

Aux temps médiévaux et jusqu'à la séparation de l'Eglise et de l'Etat, en France, l'Eglise tenait pour ainsi dire seule les registres de l'état-civil. Par ailleurs, seuls les enfants nés du mariage pouvaient jouir des droits sociaux. D'où une position très sévère de l'Eglise en ce qui concernait les rapports hors mariage. Tout au plus trouvons-nous quelques permissions de remariage accordées dans des cas très spéciaux.
Par exemple, nous voyons Grégoire II (715-731) autoriser Saint Boniface (675-754), évêque de Mayence, à bénir une nouvelle union dans le cas où une femme malade ne pouvait rendre le devoir conjugal à son époux (Oratio 18, caus. XXXII). Mais il est bien certain que l'évolution de la société moderne ne faisant plus de l'enfant né hors du mariage un déshérité, et ne discréditant plus la femme ayant eu des relations avant ou hors du mariage, la position de l'Eglise doit s'en trouver modifiée, sinon dans l'essentiel de sa doctrine, du moins dans les textes.

C'est ainsi que nous pensons que ce n'est pas discréditer - bien au contraire - le mariage religieux, que d'estimer qu'il ne doit être conclu qu'après mûre réflexion et certitude pour les époux d'entrer dans une vie commune solide et durable.
Au cas où l'un ou l'autre ne serait pas certain de tenir ses engagements, une union libre serait plus conforme à l'esprit de l'Evangile qu'un engagement mal fondé, donc sacrilège.

La position des Eglises chrétiennes sur le mariage est très différente:
l'Eglise Anglicane ne le reconnaît pas comme sacrement, mais comme pieuse coutume;
l'Eglise Vieille-Catholique le considère comme un sacrement mineur, qui n'est pas d'institution christique et ne doit pas être mis au rang des trois grands sacrements institués par le Christ;
l'Eglise Catholique Romaine voit en lui un sacrement indissoluble.
La position de l'Eglise Gallicane est beaucoup plus nuancée. Elle doit d'abord rappeler que les ministres du sacrement de mariage sont les époux eux-mêmes, et que l'engagement pris ne se maintient que par l'amour mutuel. Maris, aimez vos femmes comme le Christ a aimé l'Eglise... (Eph. 5,24-25).

En ce qui concerne la question précise du remariage des divorcés, notre Eglise a déjà pris position dans une mise au point du Synode des définiteurs de la Foi, parue en septembre 1963 dans le bulletin officiel gallican. Qu'il nous soit permis de rappeler ce qui a été dit:
"Refuser toute compréhension relative à une union, même si elle n'est pas parfaitement souhaitable, est prendre le risque de rejeter le couple dans une situation sans espoir. Nos prêtres se souviendront que le divin Maître n'a pas repoussé la femme adultère, la prostituée, la concubine; et que celles-ci peuvent parvenir aussi, après repentance, à la béatitude du royaume céleste. C'est le rôle de l'Eglise de conseiller la meilleure voie à suivre pour y accéder. Mais il sera, comme le dit l'Evangile, plus ou moins demandé à l'un ou à l'autre, selon qu'il aura plus ou moins reçu. C'est sur sa bonne volonté, sa Foi, son Amour, son Espérance que chacun sera jugé."

Par ailleurs, il est indéniable que la psychanalyse a apporté des lumières sur le comportement sexuel des individus. Les Eglises doivent en tenir compte aujourd'hui. La motivation de tel comportement, de tel complexe nous fait mieux comprendre la mentalité de l'un ou l'autre personnage du couple. La Parole du Christ mettant en relief le bon grain et l'ivraie dans le coeur de l'homme nous incite à ne pas juger autrui inconsidérément. Il est certain qu'entre l'exemple donné par les Saintes Ecritures de l'union parfaite entre le Christ et son Eglise, et les ébauches d'unions esquissées par la fragilité de la nature humaine, il y a un abîme à franchir, et que les théologiens de notre Eglise doivent avant tout écouter la voix de la charité.


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