Il est bien entendu que l'Eglise Gallicane, "l'Eglise de Gazinet" comme disent ses adversaires, continue la tradition religieuse de l'ancienne Eglise de France, celle de 496 à 1870.

Elle se réclame du Gallicanisme, c'est à dire de la doctrine qui codifie un ensemble de moeurs, de coutumes et d'institutions en usage dans l'ancienne Eglise de France, et qui sont ordinairement désignées sous le nom de libertés gallicanes.

La fameuse déclaration de l'Assemblée du Clergé, en 1682 les a définies, du moins partiellement, sous l'impulsion de Bossuet et selon sa rédaction.

Mais est-ce à dire pour autant, que l'actuelle Eglise Gallicane est la suite directe de l'ancienne Eglise de France ? Oui, en esprit. Non, en fait.

Pour qu'il en ait été autrement il aurait fallu en effet, qu'en 1870 une importante fraction de catholiques français, évêques en tête, refusassent d'accepter les décisions du concile du Vatican. Ce fut le cas en Allemagne et en Suisse. Mais, hélas! En France, malgré leur hostilité avouée pour l'ultramontanisme, les meilleurs capitulèrent. Evêques, prêtres et fidèles, tous s'inclinèrent, le coeur ulcéré sans doute, mais ils acceptèrent le coup de force romain. On put croire alors à la fin du Gallicanisme.

Et ce n'est pas la vaine tentative du R.P. Hyacinthe Loyson, si intéressante qu'ait été son action d'alors, tant pour sauver le Gallicanisme que pour promouvoir un mouvement de réforme catholique qui changea les choses. Au contraire, son rapide échec ne fit qu'enhardir les plus ardents soutiens de Rome.

L'Eglise Gallicane nouvelle, fidèle à l'esprit de l'ancienne, n'est donc pas la suite en fait. Au demeurant, ce n'est qu'en 1911 qu'elle s'organisa lorsque Monseigneur Giraud fonda la cultuelle de la Mine Saint Amand.

Ces remarques auront peut-être surpris plus d'un lecteur, amateur de simplifications, mais elles n'ont eu d'autre but que d'établir combien l'Eglise Gallicane d'aujourd'hui est indépendante et libre. Car en reprenant la tradition religieuse nationale, trahie aussi bien par les gallicans honteux de 1870 que par les catholiques romains de 1946, elle ne peut entendre être solidaire des erreurs d'un certain gallicanisme.

En effet, dans le passé, le gallicanisme a souvent subi de regrettables déviations dont il faut nous garder avec vigilance. A côté de la doctrine gallicane du clergé français (celui qui portait ce fameux rabat tant honni par les romains), il y a eu un gallicanisme du Parlement de Paris, teinté tantôt de jansénisme, tantôt de philosophisme. Il y a eu aussi, et c'est plus important, un gallicanisme royal, celui des monarques, de leurs ministres et de leurs grands commis.

Et il faut bien reconnaître que dans la déclaration de 1682 ce gallicanisme là a la part belle. Bossuet était au mieux avec les pouvoirs publics de l'époque, c'est à dire Louis XIV. Et ce dernier admettait volontiers que l'Eglise de France fasse preuve d'indépendance à l'égard de Rome. Mais il n'admettait pas qu'elle fasse de même à son égard. Et il désirait qu'il fût rendu à César plus qu'il ne lui était dû.

Ce gallicanisme là a fait un mal immense à l'Eglise de France. D'abord cette dernière en couvrant et en encourageant certains actes royaux, comme la Révocation de l'Edit de Nantes et les dragonnades (qu'un Bossuet loua même), se fit d'irréductibles ennemis. Et les contempteurs des vérités chrétiennes au XVIIIème siècle furent les fils de réformés convertis par force. Voyez plutôt Voltaire. Ensuite les ultramontains prirent prétexte de cette quasi sentence de l'Eglise vis à vis de l'Etat pour développer leurs intrigues.

Toute l'expérience historique est d'ailleurs là pour illustrer cette vérité profonde que le gallicanisme n'a jamais rien gagné à s'appuyer sur les pouvoirs publics.


1789: la chute de la royauté entraîne la liquidation de l'Eglise inféodée au gallicanisme royal.

1791: la Constitution civile du clergé est un essai de réalisation du gallicanisme parlementaire. La tentative comporte des aspects heureux. Mais bientôt il apparaît que le gendarme révolutionnaire joue le rôle des dragons de Louis XIV. C'est le combat fratricide des assermentés et non assermentés, excité par les passions politiques. Puis l'Etat décide la mort de tout catholicisme. Et c'est la honteuse abjuration des Gobel et consorts. Seul Grégoire demeure grand et digne au milieu de tant de méfaits. Mais quand l'apaisement revenu il voudra reprendre l'oeuvre interrompue, il trouvera contre lui et le sentiment et l'intérêt du dictateur naissant. Et ce sera avec le Concordat la première grande victoire de Rome.

1830: la seconde chute de la royauté provoque une nouvelle explosion d'anticléricalisme. L'Eglise a trop associé les intérêts de l'autel à ceux du trône renversé. Il s'ensuit une vive réaction. Le moment est propice pour réunir les catholiques en une véritable Eglise nationale, indépendante et libre. L'abbé Châtel intervient. Il fonde l'Eglise Catholique Française. Mais hélas! Elle dispose de parrainages suffisamment marqués pour éloigner d'elle les pieuses gens. Et bientôt, Châtel, déconsidéré, finit son aventure dans l'odieux et le grotesque. Il sera responsable pour une large part, des difficultés rencontrées depuis par les autres tentatives de réforme.

1860: le mouvement organisé par l'abbé Guêttée, auteur du journal de combat gallican "L'Observateur Catholique" avorte à son tour. Son promoteur, commettant la même erreur que plus tard Mgr Winnaert, rallie l'orthodoxie russe. Comme si une Eglise nationale française pouvait songer à s'imposer en troquant Rome contre Moscou.

1870: c'est le R.P. Loyson qui relève le flambeau du gallicanisme. Il échoue malgré son grand talent et sa grande honnêteté. Trop d'anticléricaux, trop de protestants lui font, en effet, un patronage douteux, même pour les plus intentionnés. Découragé, en 1895, il se retire et confie le restant de son troupeau à l'archevêque vieux-catholique d'Utrecht. L'abbé Volet lui succède, plus tard l'abbé Gouart, mais le mouvement a avorté. Qu'en reste-t-il ? Plus rien, si ce n'est une chapelle dans Paris, sans prêtre, sans fidèles et sans culte.

1907: Mgr Vilatte tente d'organiser une Eglise cultualiste. A tort ou à raison elle fait aussitôt figure d'Eglise d'Etat. Les incidents, souvent ridicules, qui marquèrent sa très courte histoire et qui sont trop récents pour avoir besoin d'être évoqués davantage, suffisent à justifier son échec. Découragé, Mgr Vilatte se retira.


La leçon de l'Histoire est donc là, patente. Elle affirme hautement qu'une Eglise Gallicane ne pourra s'organiser, vivre, croître et durer qu'à la seule condition d'être totalement indépendante des pouvoirs publics, des cadres et des partis. Et aussi qu'il ne faut point aller demander à Moscou ce qu'elle refuse à Rome.

Qu'on réfléchisse, par exemple, dans quelle situation se serait placée l'Eglise Gallicane si, en 1927, lors de la brouille entre la Papauté et l'Action Française, elle avait répondu au voeu des excommuniés. Grâce à leur appoint elle aurait connu, dans certaines régions du moins, un essor rapide. Sa caisse se serait remplie. Mais que se serait-il passé ensuite ? Soit, en 1939, lors de la réconciliation entre l'Action Française et Rome ? Soit, en 1944, après le procès Maurras ? C'eût été l'effondrement et la ruine de 28 ou de 33 ans d'efforts.

L'Eglise Gallicane, sans doute, est peu importante. On peut compter ses fidèles, ses sympathisants, ses clercs, ses lieux de culte... Et après ? L'essentiel demeure pour elle de demeurer indépendante et libre. C'est en cela que malgré sa faiblesse matérielle, qu'elle ne songe d'ailleurs pas à masquer, réside toute sa force d'attraction en puissance.

Aussi, si Dieu le veut, avec le concours de Sa Grâce, elle peut espérer conquérir au Christ les masses hostiles ou indifférentes. Les fondateurs de l'ancienne Eglise Gallicane furent des missionnaires. Ceux de la nouvelle doivent également l'être.


- D.R. - Article tiré du Journal "Le Gallican" de janvier 1947


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