L’Evangile nous invite à naître de nouveau, selon l’esprit. Ces paroles mystérieuses prononcées par Jésus devant Nicodème interpellent le chrétien. Comment cela peut-il se faire ? Naître de nouveau, c’est une nécessité vitale inscrite au plus profond de l’être humain, car l’apprentissage de la vie suppose une adaptation et une évolution permanentes. Chaque jour nous devons renaître, prendre des forces, avancer dans la vie. Mais aussi ne pas perdre le sens, c’est à dire suivre le fil conducteur des valeurs avec lesquelles nous nous sommes construits, celles qui nous guident, telles un phare dans la nuit.

« C’est l’esprit qui vivifie, » déclare Jésus, « la chair n’est capable de rien. » (Jean 6,63) C’est par son esprit que l’être humain a su relever les défis si nombreux de son histoire. C’est par l’esprit qu’il se relève encore aujourd’hui, chaque fois qu’il tombe, parfois blessé, mais non anéanti. La foi qui le soutient et l’amour de la vie peuvent faire la différence.

Vivre, c’est faire appel à l’esprit, pour aller plus loin. Créativité, imagination, confiance, courage, entraide, prévoyance, anticipation du futur. L’être humain a dû faire appel à toutes ces qualités, et à beaucoup d’autres encore, pour répondre présent aujourd’hui.

Le Mythe des Origines

Quelles que soient les croyances véhiculées par les textes des grandes religions existant sur terre, il existe des faits qui ne peuvent être remis en cause aujourd’hui. L’être humain, tel que nous le connaissons à présent avec son intelligence et ses multiples talents, vient de loin. Comprendre notre histoire, c’est effectuer une sorte de voyage dans le temps. Et il ne s’agit pas de remonter le fil des âges sur cinq ou six mille ans, mais sur plusieurs dizaines de milliers d’années !

Les peintures de la célèbre grotte de Lascaux, par exemple, remontent à 18 000 ans avant Jésus-Christ. La finesse des dessins et des représentations y est remarquable. Ces œuvres universellement connues ont la capacité d’émouvoir les visiteurs qui les contemplent. Le nom de « chapelle sixtine de l’art pariétal » a ainsi été donné à cet ensemble.

Mais il n’est pas unique. Il en existe d’autres ailleurs en France, et en Europe. Cet art de la peinture dans les grottes préhistoriques (dit « art pariétal ») est révélé de façon extraordinaire dans la grotte Chauvet, découverte en 1994 en Ardèche. En l’état actuel des connaissances, la datation de ces peintures remonte à 35 000 ans avant Jésus-Christ ! Il y a donc très, très longtemps que l’être humain est capable d’exprimer, avec les « forces de l’esprit » l’art, la beauté, la finesse, la sensibilité. Selon le préhistorien Jean Clottes qui s’est exprimé dans un film réalisé en 2003 sur le sujet, ceux qui ont créé ces peintures maîtrisaient des techniques qui ne seront employées en Europe qu’à partir de la Renaissance... Pour lui, comme pour d’autres personnes ayant eu la chance de contempler sur site les peintures de la grotte Chauvet, l’image caricaturale de l’homme préhistorique vu comme une brute épaisse est totalement erronée.

Ces lointains ancêtres perdus dans la nuit des temps préhistoriques nous sont semblables. Leurs préoccupations ne sont pas différentes des nôtres. Ils doivent bien sur chasser, se nourrir, survivre dans un environnement moins confortable qu’aujourd’hui. Mais ils savent prendre du temps pour autre chose...

Ce qui me frappe en contemplant ces œuvres qui ont traversé les millénaires, c’est leur « modernité », si je puis m’exprimer ainsi. On y retrouve l’élégance et la finesse du trait présent chez nos plus grands artistes contemporains. Le panneau aux lions ou celui aux chevaux, par exemple, ne peuvent laisser le spectateur indifférent. Les animaux y semblent vivants, en mouvement. Leur regard même, exprime des émotions. L’artiste n’avait pourtant pas les modèles sous les yeux. Il peignait dans l’obscurité d’une grotte éclairée par des torches. Il a donc puisé dans ses souvenirs, ou son imaginaire.

Une des questions importantes posées par ces œuvres est celle-ci. Dans quel but ? Plaisir de l’art, activité récréative, sentiment de communiquer avec l’esprit de l’animal (chamanisme) ? Peut-être un peu tout cela à la fois. Il est difficile d’apporter une réponse. Trois cent cinquante siècles nous séparent de l’auteur ! Et à l’échelle de notre histoire, humaine, cela représente quelque chose de gigantesque, surtout qu’à cette époque le nombre des êtres humains était infime. Nous étions une espèce rare vivant parmi une immensité d’animaux. Et malgré le très petit nombre de personnes composant l’humanité d’alors, il existe déjà des êtres exceptionnels dotés du même génie créatif que nos plus grands artistes contemporains !

Laissons ces questions de côté et allons à l’essentiel. Il y a 35 000 ans l’être humain possède la même capacité d’abstraction qu’aujourd’hui. Il peint avec son âme, projette son imaginaire sur les murs d’une grotte en composant un chef d’oeuvre qui défie les âges. Les « forces de l’esprit » viennent donc de loin.

Comment avons-nous développé ce potentiel ? D’où viennent ces « forces de l’esprit » ? Comment l’évolution a-t-elle permis que nous puissions développer cette capacité d’abstraction hors norme qui caractérise notre espèce ?

Dans les temps préhistoriques où l’humanité se réduisait à des clans de chasseurs cueilleurs il existe une constante, la nécessité de manger pour vivre. Se montrer plus malin que l’animal pour le capturer, compter sur la solidarité du clan pour réussir la chasse, utiliser le langage pour communiquer. Ce sont trois ingrédients nécessaires à la survie de notre espèce dans ces temps oubliés. Examinons-les plus en détail.

1) Une forme d’empathie avec l’animal pour réussir la chasse : penser comme lui, anticiper ses réactions, sentiment de communiquer avec l’esprit de l’animal (chamanisme). Faut-il y voir la naissance de notre capacité d’abstraction, le germe de la prière qui projette notre esprit ailleurs, non plus vers l’animal, mais vers ce que Jésus appellera plus tard le Royaume des Cieux ?

2) L’amour ensuite, car pour réussir la chasse les hommes devaient pouvoir compter les uns sur les autres et s’entraider. Cette nécessité les rendait forcément meilleurs.

3) Enfin l’apparition du langage est indispensable pour communiquer, tisser des relations pour ne pas rester isolé, seul.

A travers l’Histoire, cette capacité d’abstraction, ces forces de l’esprit ont fait progresser le champ de nos connaissances. Depuis les premiers outils rudimentaires de chasse en passant par la lance, l’arc et les flèches et jusqu’à la navette spatiale, elles nous ont permis au vingtième siècle de concevoir des programmes capables de propulser des engins robotisés dans l’espace, et dernièrement jusqu’aux limites du système solaire (sonde américaine Voyager 1).

Des peintures de la Grotte Chauvet jusqu’aux premiers pas de l’homme sur la Lune en 1969, et peut-être un jour bientôt sur la planète Mars, il existe un lien, celui de l’esprit.

La Force de l’Amour

C’est un élément clef dans la compréhension de notre histoire. La nécessité de vivre ensemble qui caractérise le petit nombre d’hommes vivant aux temps préhistoriques les rend forcément meilleurs. Ils doivent pouvoir compter les uns sur les autres pour survivre dans un monde souvent hostile, se donner du courage, se dépasser. La confiance doit être sans faille. Cela n’exclut pas l’idée de compétition entre les meilleurs chasseurs ou ceux qui veulent impressionner la belle pour se lier, mais dans cet environnement ou le danger est partout, le salut ne peut être que collectif. Le mot ensemble prend ici toute sa signification

Vous vous rappelez peut-être, voici quelques années, la découverte médiatisée d’une tribu inconnue d’êtres humains vivant dans la forêt amazonienne. Ces personnes n’avaient jamais eu aucun contact avec nos civilisations modernes et technologiques. Je me souviens d’une image qui avait fait le tour du monde, une photo les montrant tirant à l’arc sur un hélicoptère survolant leur habitat. Un célèbre animateur de télévision français leur avait consacré une émission en 2008. La gentillesse de ces personnes m’avait frappé. On était à des années lumières de l’image caricaturale de la brute préhistorique décrite dans les anciens manuels scolaires d’Histoire. L’animateur leur avait demandé comment ils réglaient les conflits entre eux. La réponse était extraordinaire et avait plongé l’animateur dans une joyeuse stupéfaction : « on se fait des chatouilles ! » Pas de police, pas de prison ; ils n’en avaient pas besoin. La bonne humeur était suffisante pour régler les querelles, lorsqu’elles apparaissaient. Leur clan se composait d’environ deux cent cinquante personnes et, malgré ce nombre, ils n’avaient pas besoin de shérif. Vivre ensemble les rendait meilleurs...

La Venue du Christ

L’incarnation du Christ Jésus, Dieu venu en chair parmi les hommes, il y a un peu plus de deux mille ans, a pour incidence première de nous rappeler l’essentiel, ce que nous ne devrions jamais oublier, ce qui s’appelle l’amour. Le message et les commandements du Christ se résument à cette qualité première : aimer.

Que reste-t-il de la vie si l’on enlève ce sentiment ? Pas grand chose. Les forces de l’esprit sont liées à cette qualité primordiale. Le dépassement de soi, l’esprit de sacrifice, le respect de l’autre, la confiance, l’espoir, la bonté, la tolérance, la générosité, l’humilité, tout cela procède de l’amour. Le Christ a mis en évidence cet essentiel, par sa parole et ses exemples. Surtout il en a porté témoignage.

Ne pas juger, ne pas condamner, ne pas dire du mal des autres, ne pas nuire, ne pas leur porter tort, voir le côté positif des personnes, c’est l’esprit de l’Evangile. « Pourquoi pensez-vous le mal dans vos cœurs ? » déclare le Seigneur aux pharisiens. Dans la méchanceté qui résulte de leur étroitesse d’esprit, ils ne peuvent comprendre que le Fils de Dieu puisse pardonner au paralytique. « Lève-toi et marche » dit Jésus à celui-ci. Et comme si cela allait de soi, presque « naturellement », le paralytique se lève et se met à marcher. Les « forces de l’esprit », celles qui naissent de la bonne nouvelle de l’Evangile hissent l’être humain vers le haut, elles le redressent vers la lumière. Elles ont le pouvoir de faire tomber les chaînes des intégrismes, des fanatismes et des sectarismes de toutes sortes. L’aveuglement et la méchanceté résultent de l’étroitesse d’esprit.

Naître de Nouveau

Vivre, c’est renaître en permanence. On ne voit pas la vie de la même façon à vingt, trente, quarante ou cinquante ans. Si le corps vieillit, l’esprit est fait pour grandir et tendre vers cette « pleine stature du Christ » dans son âge d’homme, dont parle l’Apôtre Paul. Certains êtres ont la capacité de produire cette impression sur ceux qui les rencontrent et les côtoient. Dans ma jeunesse, j’ai eu la chance de côtoyer un être de cette qualité en la personne de l’évêque qui m’a formé et transmis la prêtrise. Je me souviens surtout de sa bonté et de son immense ouverture d’esprit. Pour le jeune homme que j’étais, les religions sentaient surtout le formol et le renfermé. Grâce à lui, j’ai pu découvrir autre chose, voir le Christ avec d’autres yeux. Ce fut une sorte de nouvelle naissance.

Aujourd’hui c’est à mon tour de véhiculer cette lumière. La proclamation de l’Evangile, le partage de la Foi au sein de nos communautés chrétiennes et gallicanes, tout cela revêt du sens pour le pasteur que je suis. L’idéal de simplicité de la primitive Eglise me semble également indispensable au sein de nos communautés. C’est dans cette atmosphère que ma vocation a pu éclore, il y a plus de trente ans maintenant. C’est dans la simplicité que l’on peut aller à l’essentiel et rejoindre le Christ.

A ses apôtres en formation qui prennent certains jours de grands airs de supériorité et d’importance, Jésus répond en faisant venir un enfant parmi eux. Puis il déclare : « si vous ne redevenez comme cet enfant, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux. » La simplicité, la fraîcheur et l’ouverture d’esprit des enfants sont un exemple à suivre. Aux superbes pharisiens qui se croient meilleurs, purs et méprisent le très pauvre publicain traînant son lot d’erreurs et de maladresses, Jésus déclare : « les publicains et les prostituées vous précèdent dans le royaume des cieux. » La réponse du Christ est cinglante, mais elle a le mérite de la clarté. La veille de sa Passion, sachant qu’il allait mourir bientôt, le Sauveur eut encore ce geste étonnant envers ses disciples : le lavement des pieds. Saint Jean est le seul à rapporter cet épisode dans son Evangile. Il fait l’impasse sur la Cène, mais n’omet pas le lavement des pied. Dans la culture de cette époque, les esclaves lavent les pieds des maîtres. Le Sauveur nous a donné cet ultime signe pour nous faire comprendre sa vision du pouvoir. Le plus fort au service du plus faible, ce que le Moyen-âge traduisit par l’idéal chevaleresque.

Naître de nouveau, se dépouiller de ce qui alourdit et aveugle, revêtir l’essentiel, c’est l’histoire de la vie. L’apôtre Paul nous invite dans ses épîtres à revêtir cet homme nouveau créé à l’image et à la ressemblance du Christ. Et cela demande du temps, car il en faut, du temps, pour faire un homme ! De la même façon que le vilain petit canard du conte d’Andersen met très longtemps avant de devenir un cygne magnifique, nous avons besoin de temps pour réussir cette transformation.

La Vie Demain

Aujourd’hui nos sociétés industrielles et technologiques s’interrogent sur le futur de notre planète et de notre histoire. De la grotte Chauvet aux temps actuels, de - 35 000 ans à aujourd’hui, bien des choses ont changé. L’homme était une espèce rare évoluant parmi un océan d’animaux. Aujourd’hui nous sommes si nombreux que les villes et les voies de communication grignotent insensiblement le peu de nature encore intacte. La faune et la flore disparaissent, mais les « forces de l’esprit » nous permettent de créer des mondes virtuels. A travers une multitude d’écrans interconnectés, les jeux vidéos et les réseaux informatiques captivent les plus jeunes. Mais posons-nous la question du sens ? N’y-a-il pas une vie au-delà de toute cette technologie ? Est-ce que tout cela nous rend plus heureux ?

En venant nous rappeler l’essentiel, le Christ a voulu que nous nous posions la question du sens. Quelles sont les valeurs qui nous permettent de nous construire ? Qu’est-ce qui est important pour réussir sa vie ? Le monde de demain est le résultat de nos actions d’aujourd’hui. Les forces de l’esprit doivent donner du sens.

Mgr Thierry Teyssot


** Sources utilisées pour la rédaction de cet article :
** Encyclopédie internet Wikipédia - fr.wikipedia.org
http://fr.wikipedia.org/wiki/Grotte_Chauvet
http://fr.wikipedia.org/wiki/Grotte_de_Lascaux
** Site internet du ministère de la culture :
http://www.culture.gouv.fr/fr/arcnat/chauvet/fr/
http://www.lascaux.culture.fr/
** «La Grotte Chauvet, la Première fois» - film de Pierre Oscar Lévy - 54 minutes - 2003 - disponible en dvd
** «La Grotte des Rêves Perdus» - film de Werner Herzog - 1h26 - 2010 - disponible en dvd
** «Les Derniers Hommes Libres» - la tribu des Zo’és - Emission télévisée «Ushuaïa nature» - Nicolas Hulot - 2008
** The Art of Tracking : The Origin of Science - Louis Liebenberg - 1990
** Chasse à l'épuisement, running, & évolution de l'homme
Version française de: persistence hunting and a hypothesis about human evolution.
http://mikolka-inquiries.blogspot.fr/2011/10/chasse-lepuisement-running-evolution-de.html
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