Chaque année, pendant le temps de Noël, l'Eglise nous invite à prier pour les familles lors d'une messe spéciale dédiée au souvenir de : la Sainte Famille. Il s'agit d'une célébration dont les textes rappellent le souvenir de Jésus enfant avec Joseph et Marie.

Des premières années du Sauveur nous ne savons pas grand chose. Les Evangiles multiplient les anecdotes sur la toute petite enfance du Christ, de l'annonce de sa naissance miraculeuse jusqu'à la fuite en Egypte. Ensuite, il semble que peu d'éléments soient parvenus jusqu'à nous. Hormis Luc qui rapporte un épisode étrange lorsque Jésus est âgé de douze ans, plus rien ne transparaît. De l'enfance à l'adolescence, jusqu'aux débuts de sa vie d'homme, les Evangiles demeurent silencieux.

Arrêtons-nous un instant sur ce que décrit l'évangéliste Luc lorsque Jésus a douze ans. Nous avons beaucoup à y apprendre sur la jeune personnalité du Sauveur et de ses parents. C'est intéressant et parfois surprenant.

Une Famille de Croyants

Le texte de Luc précise que La Sainte Famille se rendait à Jérusalem pour la fête de Pâque. Moment important dans la vie des juifs que ce rendez-vous annuel dans le grand Temple où ils se retrouvaient par milliers pour célébrer la sortie miraculeuse d'Egypte avec la traversée à pied sec de la mer Rouge. Joseph et Marie étaient certainement coutumiers du pèlerinage, fidèles aux pratiques de la loi de Moïse. Des années auparavant ils étaient venus au Temple présenter l'enfant le quarantième jour après sa naissance, conformément à l'usage.

Pour tous les actes de la vie cultuelle, on dirait aujourd'hui que Joseph et Marie étaient croyants et pratiquants. La circoncision de l'enfant avait été accomplie le huitième jour après sa naissance. On peut légitimement supposer que la Sainte Famille fréquentait régulièrement la synagogue, comme les chrétiens fréquentent l'église pour le culte. Adulte, Jésus se rend à la synagogue, lit devant l'assemblée les textes bibliques (Luc 4,17-20), rien de cela ne lui est étranger.

Les jours de la fête passés, les familles regagnaient leurs villages. C'est à partir de là que les choses se compliquent pour les parents de Jésus. On voyageait en groupe, plusieurs familles dans une même caravane avançant à pied où juchées sur des ânes ou des dromadaires. Des groupes joyeux pratiquant l'entraide, des enfants en bande s'amusant au rythme du convoi, des adultes occupés à bavarder entre eux. Le soir venu il fallut se rendre à l'évidence pour Joseph et Marie : l'enfant n'était ni avec eux ni avec ceux de leur compagnie...

Détresse des Parents

Ce qui a pu traverser l'esprit des parents de l'enfant dans ces moments peut difficilement se décrire. Une angoisse féroce, celle de tous les parents du monde découvrant la disparition de leur fils ou de leur fille. Des dizaines d'idées se bousculant dans la tête, de l'espoir d'un côté, de la peur de l'autre, et au fil du temps qui passe cette angoisse qui monte en intensité, envahit l'esprit comme par vagues successives et serre à la gorge.

Joseph et Marie ont dû vivre cela intensément durant trois jours, le temps passé pour retrouver le jeune Jésus. Imaginant le pire d'un côté, portés par l'espoir de l'autre, cherchant partout dans Jérusalem, questionnant à droite et à gauche, se posant mille questions.

C'est au milieu du Temple qu'ils le retrouveront, assis au milieu des docteurs de la loi, les écoutant et les interrogeant. Et sans doute vinrent-ils au sanctuaire comme dans une sorte de dernier recours, pour prier, ne sachant plus quoi faire, ayant tenté l'impossible et envisagé toutes sortes d'hypothèses afin de le retrouver.

Une leçon d'Education

La première parole prononcée par Marie retrouvant son enfant arrive sous la forme d'une question : "Mon fils, pourquoi as-tu agi de la sorte avec nous ? Ton père et moi nous te cherchions, tout affligés". Elle cherche d'abord à comprendre. Il n'y a pas de colère. Là où d'autres parents auraient pu sévir en premier pour punir la désobéissance de l'enfant leur ayant faussé compagnie, Marie affiche une attitude différente : comprendre. Peut-être ensuite, Luc ne le précise pas, les parents ont-ils sévi, mais rien ne permet de l'affirmer.

Comprendre, se parler, se confier, pour éviter les malentendus et les non dits, désamorcer les conflits, c'est une règle qui devrait être celle de toutes les familles. Combien de drames et de situations catastrophiques pourraient être ainsi évités si cette règle était appliquée partout. Une famille où il fait bon vivre, c'est une famille où l'on ne craint pas de se parler dans la confiance et le respect mutuel.

Un Enfant Surdoué

Le texte de Luc met en évidence l'intelligence et la précocité intellectuelle de l'enfant. Retrouvé assis au milieu des docteurs de la loi, les écoutant et les interrogeant, il ajoute que tous ceux qui l'entendaient étaient frappés de son intelligence et de ses réponses. Les préoccupations du jeune Jésus ne sont pas vraiment celles de son âge, c'est le moins que l'on puisse dire. Dirait-on aujourd'hui qu'il s'agissait d'un enfant surdoué ? La question mérite d'être posée.

Mais si l'intelligence est une chose, la maturité en est une autre. Fausser compagnie à ses parents comme il l'a fait, ne manifester aucun regret par la suite, ne pas comprendre leur détresse durant les trois jours passés à sa recherche, l'enfant avait encore beaucoup à apprendre de la vie. Il est évident qu'à douze ans, un long chemin lui restait à accomplir pour parvenir à la pleine stature de l'âge d'homme.

Avait-il un petit côté "Gavroche" ? C'est en tout cas un enfant capable de se débrouiller seul et bien. Il a su s'assumer en totale autonomie durant trois jours pour manger et dormir en sécurité. A Jérusalem comme ailleurs dans les grandes capitales, il existait aussi des prédateurs. La modestie matérielle de ses parents laisse également supposer qu'il a très tôt appris à faire face à l'adversité. Il est un enfant du peuple, et à douze ans vers cette époque on est certainement plus dégourdi qu'aujourd'hui dans nos sociétés occidentales.

Prise de Conscience et Filiation

La réponse du jeune Jésus à la question de sa mère voulant comprendre les raisons de sa soudaine disparition est surprenante : "Pourquoi me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas que je dois être aux affaires de mon père"?

A douze ans, l'enfant a déjà conscience de son identité, du lien si particulier qui le relie au Père céleste. Comment a-t-il su ? Comment a-t-il grandi avec un pareil secret ? Comment sa personnalité a-t-elle pu se construire dans ces conditions, sans tomber dans la psychose, la schizophrénie délirante ? Ni Luc ni les autres évangélistes ne le révèlent, cela reste le jardin secret du Christ, une seule personne dotée de deux natures : l'humaine et la divine.

Laissons la part de mystère nécessaire envelopper de son voile la destinée extraordinaire du Fils de Dieu. D'un côté nous aimerions savoir, de l'autre pourrions-nous seulement comprendre ?

A l'échelle humaine nous pouvons tout de même imaginer qu'une part de Joseph et de Marie se retrouvait dans la personne de Jésus. Les enfants sont également ce que sont leurs parents, tant sur le plan de l'inné que de l'acquis, de ce qui vient de la biologie et des chromosomes mais aussi de ce qui est transmis par l'éducation, les expériences de la vie et surtout l'amour. Un personne solide et équilibrée, c'est d'abord quelqu'un qui a goûté et vécu cet équilibre dans sa famille.

Stupéfaction des Parents

Luc ne manque pas de relever que Joseph et Marie ne comprirent pas la parole de leur fils justifiant sa disparition par l'appel du Père céleste : "Ne saviez-vous pas que je dois être aux affaires de mon père."

Cette phrase de l'Evangile, première parole prononcée par Jésus qui nous soit rapportée engendre la confusion chez ses parents. Pouvait-il en être autrement ?

Pourtant soulignent certains, il y eut jadis l'Annonciation faite par l'ange à Marie, les songes reçus par Joseph, la visite des mages et l'étoile de Bethléem, tout cela aurait-il pu être oublié ? Les parents ne savaient-ils plus que leur enfant était en quelque sorte "tombé du ciel" par sa divine incarnation douze ans plus tôt ? N'en avaient-ils pas reçus tous les signes ? Mais douze années avaient passé depuis où la vie quotidienne avait repris son cours, et surtout, à cet instant précis, dans le contexte de trois journées de folle épouvante pour les parents, ils n'avaient certainement pas le goût des devinettes et de la théologie... Leur esprit était occupé ailleurs, dans l'urgence.

Le texte de Luc se termine par une constatation. L'enfant revint avec eux à Nazareth, il leur était soumis et sa mère gardait toutes ces choses dans son coeur. Jusqu'à l'âge de trente ans, moment de son baptême par Jean-Baptiste, du commencement de ses miracles et de son enseignement, nous ne saurons rien de plus. Dès lors, nous ne pouvons qu'imaginer et nous interroger.


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