Chaque année, vers la fin du mois de novembre, l’Evangile du vingt-quatrième et dernier dimanche après la Pentecôte clôt le cycle liturgique de l’Eglise sur une prophétie étonnante. Tournée vers un Noël futur, cette prédiction interroge. Elle est à des années lumières de l’humble crèche de Bethléem. Le texte décrit les évènements devant précéder le retour du Christ. A maintes reprises les Evangiles annoncent des phénomènes catastrophiques précédant cet accomplissement. Faut-il accepter ces prédictions à la lettre ?

En premier souvenons-nous de cet extrait de l'Ecriture: "la lettre tue, mais l'esprit vivifie" (2 Cor. 3,6). Le respect de la Parole de Dieu n'empêche pas l'interprétation des textes. Dans (Mathieu 4,6) le Tentateur se sert de la Bible pour éprouver Jésus au désert. Le Seigneur lui répond en citant les mêmes textes dont il est imprégné ; c'est un combat de théologiens. La sagesse, l'intelligence, une certaine forme de recul pour situer les phrases dans leur contexte sont donc nécessaires pour toute lecture biblique. Ne nous laissons pas entraîner dans une interprétation à sens unique des textes sacrés, cela réduit le champ de vision.

En second n'oublions pas que les prophéties ne sont pas des fatalités. Le récit biblique du prophète Jonas en porte témoignage. La volonté divine peut changer d'orientation quand l'Humanité oeuvre dans le bon sens.

Récit de la Prophétie
(Evangile de Mathieu 24,1-36)

Comme Jésus s'en allait, au sortir du temple, ses disciples s'approchèrent pour lui en faire remarquer les constructions.
2 Mais il leur dit : Voyez-vous tout cela ? Je vous le dis en vérité, il ne restera pas ici pierre sur pierre qui ne soit renversée.
3 Il s'assit sur la montagne des oliviers. Et les disciples vinrent en particulier lui faire cette question : Dis-nous, quand cela arrivera-t-il, et quel sera le signe de ton avènement et de la fin du monde ?
4 Jésus leur répondit : Prenez garde que personne ne vous séduise.
5 Car plusieurs viendront sous mon nom, disant : C'est moi qui suis le Christ. Et ils séduiront beaucoup de gens.
6 Vous entendrez parler de guerres et de bruits de guerres : gardez-vous d'être troublés, car il faut que ces choses arrivent. Mais ce ne sera pas encore la fin.
7 Une nation s'élèvera contre une nation, et un royaume contre un royaume, et il y aura, en divers lieux, des famines et des tremblements de terre.
8 Tout cela ne sera que le commencement des douleurs.
9 Alors on vous livrera aux tourments, et l'on vous fera mourir; et vous serez haïs de toutes les nations, à cause de mon nom.
10 Alors aussi plusieurs succomberont, et ils se trahiront, se haïront les uns les autres.
11 Plusieurs faux prophètes s'élèveront, et ils séduiront beaucoup de gens.
12 Et, parce que l'iniquité se sera accrue, la charité du plus grand nombre se refroidira.
13 Mais celui qui persévérera jusqu'à la fin sera sauvé.
14 Cette bonne nouvelle du royaume sera prêchée dans le monde entier, pour servir de témoignage à toutes les nations. Alors viendra la fin.
15 C'est pourquoi, lorsque vous verrez l'abomination de la désolation, dont a parlé le prophète Daniel, établie dans le lieu saint, - que celui qui lit fasse attention ! -
16 Alors, que ceux qui seront en Judée fuient dans les montagnes;
17 Que celui qui sera sur le toit ne descende pas pour prendre ce qui est dans sa maison;
18 Et que celui qui sera dans les champs ne retourne pas en arrière pour prendre son manteau.
19 Malheur aux femmes qui seront enceintes et à celles qui allaiteront en ces jours-là !
20 Priez pour que votre fuite n'arrive pas en hiver, ni un jour de sabbat.
21 Car alors, la détresse sera si grande qu'il n'y en a point eu de pareille depuis le commencement du monde jusqu'à présent, et qu'il n'y en aura jamais.
22 Et, si ces jours n'étaient abrégés, personne ne serait sauvé; mais, à cause des élus, ces jours seront abrégés.
23 Si quelqu'un vous dit alors : Le Christ est ici, ou : Il est là, ne le croyez pas.
24 Car il s'élèvera de faux Christs et de faux prophètes; ils feront de grands prodiges et des miracles, au point de séduire, s'il était possible, même les élus.
25 Voici, je vous l'ai annoncé d'avance.
26 Si donc on vous dit : Voici, il est dans le désert, n'y allez pas; voici, il est dans les chambres, ne le croyez pas.
27 Car, comme l'éclair part de l'orient et se montre jusqu'en occident, ainsi sera l'avènement du Fils de l'homme.
28 En quelque lieu que soit le cadavre, là s'assembleront les vautours.
29 Aussitôt après ces jours de détresse, le soleil s'obscurcira, la lune ne donnera plus sa lumière, les étoiles tomberont du ciel, et les puissances des cieux seront ébranlées.
30 Alors le signe du Fils de l'homme paraîtra dans le ciel, toutes les tribus de la terre se lamenteront, et elles verront le Fils de l'homme venant sur les nuées du ciel avec puissance et une grande gloire.
31 Il enverra ses anges avec la trompette retentissante, et ils rassembleront ses élus des quatre vents, depuis une extrémité des cieux jusqu'à l'autre.
32 Instruisez-vous par une comparaison tirée du figuier. Dès que ses branches deviennent tendres, et que les feuilles poussent, vous connaissez que l'été est proche.
33 De même, quand vous verrez toutes ces choses, sachez que le Fils de l'homme est proche, à la porte.
34 Je vous le dis en vérité, cette génération ne passera point, que tout cela n'arrive.
35 Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront point.
36 Pour ce qui est du jour et de l'heure, personne ne le sait, ni les anges des cieux, ni le Fils, mais le Père seul.

Quelle Interprétation ?

Il faut souligner de prime abord que cette prophétie fut donnée par Jésus trois jours seulement avant sa mort. Ce sont les paroles d’un homme qui savait que son temps était compté. Il est possible que cela ait influé sur l’aspect dramatique des descriptions.

Ensuite - les versets (1 à 3 et 15 à 20) l’indiquent - cette prophétie est double. Elle concerne deux types d’évènements. L’un qui s’est déjà accompli : la destruction du temple de Jérusalem par les armées romaines du général Titus en 70 après J-C ; le second volet appartient au cycle de la fin des temps.

Comme signes précurseurs de son retour Jésus indique le nombre croissant des imposteurs se faisant passer pour lui (versets 5 et 23,24,25). Notre époque est-elle mieux marquée par les "nouveaux christs" que les époques antérieures de l’Humanité ? Rien n’est moins sur. Le nombre des illuminés de toutes sortes se prenant pour le Messie a toujours été important dans l’Histoire, donc il faut chercher ailleurs. Il est également question de prodiges accomplis par ces personnages. Cette précision est utile pour comprendre qu’un miracle ne garantit pas la signature du divin. On peut s’interroger également sur la notion de prodige. Se réduit-elle aux seuls miracles décrits par les Evangiles ou comprend-elle la technologie moderne d’aujourd’hui et de demain ?

Les versets six et sept évoquent des guerres, famines et tremblements de terre. Il suffit de parcourir les livres d’histoire pour se rendre compte de la multitude des conflits et catastrophes résultant des deux derniers millénaires. Là encore il n’y a rien de probant. En revanche le vingtième siècle a été le plus meurtrier de tous.

Concernant les cataclysmes naturels la question des bouleversements climatiques se pose aujourd’hui. La prophétie de Saint Mathieu n’y fait pas référence, mais celle de Saint Luc évoque : "l’angoisse des nations inquiètes du bruit de la mer et du fracas des flots" (Luc 21,25). Faut-il y voir un signe ? Il n’est pas interdit de poser la question, ni de prendre du recul en rappelant qu’à l’échelle de notre planète le climat n’a jamais été figé une fois pour toutes. Les périodes glaciaires et de sécheresse ont toujours alterné. De même la composition de l’atmosphère, plus ou moins riche en oxygène selon l’étendue des forêts, des éruptions volcaniques, etc. La science a montré qu’il fut un temps ou les fougères de la préhistoire étaient des arbres de vingt mètres de haut. L’air n’était donc pas le même qu’aujourd’hui. La vie a toujours été en perpétuelle transformation.

Des persécutions contre les chrétiens sont décrites aux verset neuf, des reniements et apostasies sont annoncées au verset dix, un manque d’amour généralisé au verset douze. Selon les temps et les lieux on rencontre toujours ce type de situation. La jeune Eglise fut persécutée très durement dans l’empire romain. Les disciples du Christ devaient se réunir pour prier dans les catacombes ou célébrer l’eucharistie à domicile, chez l’habitant. Et la plupart des convertis n’avaient pas vocation au martyre. Au vingtième siècle, l’ancien empire soviétique déporta en masse clergé et croyants dans le tristement célèbre goulag. Non, les exemples ne manquent pas à travers l’Histoire. Ainsi l’inquisition mise en place par la papauté ou les guerres de religion en France ajoutent leur part d’ombre à ce funeste constat.

Au verset quatorze Jésus indique que le temps de la fin pour l’Humanité interviendra lorsque l’Evangile aura été prêché dans le monde entier. Il est clair qu’à notre époque le christianisme a gagné tous les continents. Pour autant le message du Christ est-il suffisamment connu et compris ? Les Eglises ont leur part de responsabilité, mais elles ne sont pas seules.

"L’abomination de la désolation établie dans le lieu saint" décrite au verset quinze désigne, me semble-t-il, plusieurs choses. En premier elle correspond à un évènement déjà accompli, c’est à dire le pillage du temple de Jérusalem par les légions de Titus en 70 après J-C. En second, si l’on considère le "lieu saint" selon l’optique des Evangiles, en l’occurrence le corps humain - "vous êtes le temple de l’Esprit-Saint" (1 Cor. 3,16) - "détruisez ce temple et en trois jours je le relèverai" (Jean 2,19) - alors "l’abomination de la désolation" peut correspondre à une profanation de l’humain à travers les manipulations génétiques, le vol des organes et le clonage. Notre planète est aussi temple de vie. Le pillage des ressources naturelles par les multinationales de l’industrie, les brevets déposés pour l’exploitation du vivant sont encore des pistes de réflexion pour notre génération. Il y en a beaucoup d’autres bien sûr.

Les versets seize à vingt évoquent la fuite des populations devant les armées de Titus en 70 après J-C, ils correspondent encore à un "sauve qui peut" généralisé devant une grande détresse.

Les versets vingt-sept à trente et un sont plus intéressants. Ils mettent l’accent sur la dimension "cosmique" du retour du Christ, c’est à dire à l’échelle du cosmos tout entier selon la prophétie. Là encore il faut prendre garde de ne fermer la porte à aucune interprétation. Admettons que le cosmos ne résiste pas à la brusque irruption, à cette sorte de "déflagration" du Christ apparaissant dans tout l’éclat de sa puissance et de sa gloire. Le texte indique que "les étoiles tomberont du ciel", le "soleil s’obscurcira", les "puissances des cieux seront ébranlées", etc. Mais le Christ est - selon d’autres Evangiles - déjà parmi nous et en permanence, depuis sa résurrection et "jusqu’à la fin du monde" (Mathieu 28,20). Il l’est dans notre amour, dans l’eucharistie, dans nos prières et dans notre foi. Comment faut-il comprendre cette prophétie ? Dans le sens d’une nouvelle création, d’un autre univers, d’une régénération de celui-ci ? Autant de questions dont nous n’avons pas les réponses. La prophétie ne donne que des clés, mais elles ouvrent de nombreuses portes.

Allons plus loin encore. Si l’on croit à la dimension cosmique de ce retour, concernerait-il seulement notre système solaire ou tout l’univers ? La vie existe-elle ailleurs, sommes-nous seuls dans l’espace-temps ou le Christ est-il venu pour d’autres mondes, pour des êtres semblables à nous, créés aussi "à son image et à sa ressemblance" (Genèse 1,27) sur d’autres planètes ? Les mêmes causes produisant les mêmes effets le processus d’évolution de la vie doit être sensiblement le même dans tout l’univers, pour autant qu’il y ait de l’eau, de l’air et une température compatible avec l’apparition de la vie.

Les "puissances des cieux ébranlées" sont-elles des galaxies ou des forces angéliques ? Si l’être humain est créé à l’image de Dieu le monde animal et végétal pourrait être un reflet du monde angélique ? La Bible montre des anges à tête de lion, de taureau, d’aigle, etc. La mise à sac des ressources naturelles de notre planète par la recherche effrénée du profit pourrait "ébranler ces puissances des cieux"… C’est à dire la multitude des anges établis par la Trinité divine comme gardiens du temple de la vie sur notre jolie planète bleue.

On le voit, il n’est pas facile de donner une interprétation absolue de cette prophétie. Cela en fait sa richesse et son intérêt. Les derniers versets du texte nous invitent à savoir interpréter les signes des temps avec la parabole du figuier. Il est impossible de fixer une date puisque selon le verset trente-six : "nul ne connaît le jour et l’heure". Que faut-il entendre par : "cette génération qui ne passera point, que tout cela n'arrive" ? L’Apôtre Paul et les premiers chrétiens croyaient dur comme fer au retour du Christ de leur vivant. Soixante générations ont passé depuis cette époque… Donc le terme même de génération renvoie forcément à autre chose : une ère zodiacale ? Ou simplement ; tant qu’il y aura des chrétiens sur la terre ? Pourquoi pas dans dix mille ans encore…

"Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront point " déclare solennellement Jésus en point final à cette prophétie. Faut-il comprendre que les bouleversements et catastrophes annoncés s’accompliront quoi qu’il arrive ? C’est à dire même si l’Humanité œuvre dans le bon sens. L’épisode biblique de Jonas montre que la volonté divine peut se raviser et modifier des prophéties qui semblaient pourtant inéluctables. L’espérance est une grande vertu chrétienne, elle ne saurait croire que le bon berger de la parabole, celui qui accueille à bras ouverts l’enfant prodigue prévoit le malheur de ses enfants dans tous les cas. En revanche il peut mettre en garde contre la folie d’un monde mettant en danger l’équilibre même de la création et de la vie. Une prophétie peut être un avertissement, une indication à ne pas dépasser certaines limites, comme des parents qui préviennent leurs enfants.

Souvenons-nous encore de la parabole du bon grain et de l’ivraie. A ceux qui voient notre époque tout en noir rappelons par exemple que les progrès de la médecine ont permis de doubler l’espérance de vie en France sur les deux cents dernières années. L’omniprésence de la société de consommation agace, mais elle rend bien des services dont nous ne pourrions pas nous passer aujourd’hui.

Laissons la conclusion au texte inspiré de l’Apôtre Paul, dans sa première épître aux Corinthiens : "Aujourd'hui nous voyons au moyen d'un miroir, d'une manière obscure" (1 Cor. 13,12). Il précise encore: "L’amour ne passera jamais. Les prophéties ? Elles disparaîtront. Les langues ? Elles se tairont. La science ? Elle disparaîtra. Car imparfaite est notre science, imparfaite aussi notre prophétie." (1 Cor. 13,8-9)

Enfin terminons avec ces mots du grand Victor Hugo : "Dieu sait ce qu’il fait au milieu de ses grandes étoiles".


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