Prier, se tourner vers Dieu, c'est faire appel à la Foi. Les Evangiles, textes fondamentaux du christianisme multiplient les exemples de prières exaucées. L'épisode de la guérison des dix lépreux rapporté par Saint Luc met en évidence deux aspects essentiels de la Foi : celle qui guérit et celle qui sauve. Essayons de comprendre.

Le texte de Luc

Comme Jésus se rendait à Jérusalem, il passa par les confins de la Samarie et de la Galilée. Et alors qu'il entrait dans un village, vinrent à sa rencontre, dix lépreux qui se tinrent à distance; et, élevant la voix, ils dirent : « Maître Jésus, ayez pitié de nous! » Les ayant vus, il leur dit : « Allez vous montrer aux prêtres. » Et, comme ils y allaient, ils furent guéris. L'un d'entre eux, voyant qu'il était guéri, revint en glorifiant Dieu à haute voix, tomba à ses pieds la face contre terre et lui rendit grâces. Et c'était un Samaritain. Prenant la parole, Jésus dit : « Est-ce que les dix n'ont pas été guéris ? Et les neuf autres, où sont-ils? Ne s'est-il trouvé parmi eux que cet étranger pour revenir rendre gloire à Dieu ? » Et il lui dit : « Lève-toi, va; ta foi t'a sauvé. »

Un Acte de Foi

A la supplication de ces dix hommes qui implorent le miracle, Jésus répond en demandant un « acte de foi » : « Allez vous montrer aux prêtres. » Ce n'est pas en présence du Fils de Dieu qu'ils sont guéris, mais bien en chemin, lorsqu'ils vont se montrer aux autorités sacerdotales. Pour mieux comprendre cet Evangile il faut se souvenir que la loi de Moïse (Lévitique 14) prévoyait la possibilité pour le lépreux guéri de faire constater sa guérison par le prêtre. C'était pour lui la seule manière d'obtenir le certificat de guérison autorisant le retour à la vie sociale. Sans ce précieux sésame, le lépreux était condamné à l'exclusion.

A la douleur d'une maladie cruelle qui le dévorait peu à peu s'ajoutait le bannissement de la communauté. C'était une sorte de « double peine » qui accablait le malheureux. Le célèbre film aux onze oscars « Ben-Hur » sorti en 1959 (et dont l'action se situe aux temps du Christ) évoque à travers une séquence le calvaire de deux femmes rejetées dans la « vallée des lépreux », là où vivaient reclus les incurables et les pestiférés. Aujourd'hui en Afrique le virus Ebola condamne lui aussi des populations entières à l'exclusion et à la mort. Parfois des personnes guérissent de cette terrible fièvre hémorragique, mais pour éviter d'être « lynchées » par le réflexe de peur des populations non contaminées elles doivent présenter un certificat de guérison délivré par le médecin. Lui seul autorise le retour à la vie sociale et civile comme les autorités sacerdotales aux temps du Christ.

En envoyant les dix lépreux chercher leur précieux « passeport » Jésus nous rappelle qu'il n'est pas venu « abolir la loi, mais l'accomplir » (Mathieu 5,17), c'est à dire en faire ressortir le meilleur, ce qui fait triompher la vie... Il rend également sa liberté à l'être humain, car dit-il : « La vérité vous rendra libre » (Jean 8,32). Le Fils de Dieu incarne cette liberté et privilégie la vie par la guérison. Celle-ci a le pouvoir de restaurer l'être humain dans sa dignité. La lèpre symbolise à cette époque le péché aux yeux des populations qui la voient comme une sorte de punition divine. En guérissant les dix lépreux Jésus combat également ces archaïsmes.

Revenons au moment où Jésus envoie les dix lépreux « se montrer aux prêtres ». Ces malheureux auraient pu refuser la démarche, harceler le Fils de Dieu pour obtenir le miracle en sa seule présence. Après tout ils auraient pu douter, se dire : « on ne le lâchera pas sans guérison avérée. » Non, ces hommes font confiance à Jésus, c'est ce qu'on appelle : un acte de Foi. Ils s'en vont... Et c'est en chemin, lorsque le Christ n'est plus là, qu'ils sont miraculeusement guéris.

La Foi qui guérit, nous la retrouvons quotidiennement dans les Eglises. C'est la personne qui vient trouver le prêtre pour confier une intention de prière lors de la célébration de la messe, c'est celui ou celle qui se tourne vers le Ciel pour appeler à l'aide en espérant un coup de pouce de la Providence. C'est nous tous qui implorons le secours céleste pour sortir de l'ornière. En bref, ce sont toutes nos demandes pour la santé, la vie affective et le travail. Ces trois aspects résument l'essentiel de nos prières. La santé vient en premier parce que sans cette force de vie, l'affectivité et le travail sont sérieusement handicapés.

Alors la Foi qui guérit bien des maux oui ! C'est une nécessité vitale comme la respiration ou l'instinct de survie. La part de nous qui a l'intuition du divin se tourne vers lui et l'appelle au secours. « L'homme est un ange tombé des cieux qui se souvient » dit le poète.

Les dix lépreux vont à la rencontre du Christ porté par l'espérance : se dire qu'avec lui tout est possible. Sans doute ont-ils eu vent des guérisons reçues par d'autre avant eux ? Ils ne doutent pas, ils font confiance, la lumière est au bout du chemin.

Le Manque de Reconnaissance

Dix hommes sont guéris. Leur Foi, « celle qui guérit » a eu raison de la maladie. Un seul revient pour remercier : « Et les neuf autres, où sont-ils ? » déclare Jésus un brin agacé. L'ingratitude de ces neuf personnes est le reflet de la faiblesse humaine. L'instinct de survie, la volonté de nous en sortir nous portent à accomplir des choses surprenantes. La Foi ne soulève-t-elle pas les montagnes selon l'Evangile ? Mais précise l'Apôtre Paul, elle n'est rien sans l'amour. Demander est une chose, remercier en est une autre.

La Foi des dix lépreux ouvre la porte à leur guérison, celle du corps. Pour un en particulier, celui qui revient remercier, c'est de la « guérison de l'âme » dont il s'agit : « Ta Foi t'a sauvé » lui lance Jésus. Il ressort de cette rencontre transformé, de corps et d'esprit.

Peut-on changer dans la vie ? Peut-on évoluer ? C'est une question posée par cet Evangile. Pour le samaritain il semble que oui. Pour ses neuf autres compagnons d'infortune, l'agacement du Christ laisse supposer le contraire.

« Il faut semer beaucoup pour moissonner un peu ». C'est une phrase qu'affectionnait Mgr Truchemotte. Avec le recul de plus de trente années de prêtrise à présent, je me rends compte de la véracité de cette constatation. Quelles que soient les Eglises, les gens viennent parce qu'ils ont besoin, ce qui est tout à fait normal. Mais peu d'entre eux reviennent remercier, ou sont fidèles en amitié, dans le respect de ce qui est donné.

Une personne vient prier pour demander. Elle participe à la messe, elle entreprend une démarche de prière, elle réalise ensuite qu'il apparaît du mieux dans sa vie. Joie pour elle. Mais la Foi change-t-elle sa personne profondément, durablement ? Les soucis de la vie, le temps qui dévore et les épreuves humaines sont toujours là, en « embuscade ». Ils forment une sorte de rouleau compresseur qui hypothèque en permanence l'élan spirituel ? Rares sont ceux qui s'efforcent de garder patiemment le contact par la prière et les sacrements de la messe avec ce que Jésus appelle le « royaume ». Pourtant n'est-ce pas ce que le Sauveur nous demande : « Cherchez d'abord le royaume des cieux et sa justice, tout le reste vous sera donné par surcroît » (Mathieu 6,33) Tout le reste (nos demandes pour la vie quotidienne), demeure lié à la recherche première du « royaume des cieux », et de sa justice.

Tel ne prie plus, néglige de participer à la sainte messe. Tel est dur ou méprisant envers son prochain... S'il ne change pas, que peut faire pour lui l'Eglise ? Si quelqu'un est égoïste, cruel envers les êtres humains ou les animaux, orgueilleux ou matérialiste, il est bien difficile de l'aider par la spiritualité.

Précisons aussi que spiritualité ne signifie pas bigoterie. « Il ne suffit pas de me dire Seigneur, Seigneur pour entrer dans le royaume » (Mathieu 7,21-29) déclare Jésus, « mais il faut faire la volonté de mon père qui est aux cieux ». Donc ne pas oublier que la recherche de ce fameux royaume passe par la justice, c'est à dire une vie portée par les valeurs de l'Evangile qui sont essentiellement le respect et l'amour du prochain, afin de ne pas lui porter tort.

Le manque de reconnaissance, l'ingratitude, au fond qu'est-ce que c'est ? Un manque de savoir vivre, la culture de l'égoïsme, une forme de superficialité.

La Foi qui Sauve

Etre attentif, savoir reconnaître la chance lorsqu'elle nous gratifie dans la vie, la saisir et changer, ce n'est pas toujours facile. Il faut savoir faire preuve de discernement. Il faut aussi quelque part être éclairé. Cette lumière vient de l'intérieur. Elle révèle la meilleure part de notre humanité. Le samaritain par exemple qui revient remercier Jésus pour la guérison de sa lèpre est dans la reconnaissance. Il tombe aux pieds de Jésus en lui rendant grâce. Il est touché en profondeur par la grâce. Sa personne s'efface devant celui qui lui a sauvé la vie. Ce comportement excessif et humble tout à la fois se comprend aisément.

C'est dans de pareils moments que le divin s'empare de l'humain et lui apporte le salut. Lorsque l'homme est bouleversé en profondeur par une puissante émotion, renversé en quelque sorte, il en ressort transformé. C'est la fameuse métanoïa du vocabulaire théologique, c'est à dire le retournement complet de l'être dans une nouvelle direction, celle qui le sauve et le rend meilleur, le révèle à sa vocation. C'est le futur apôtre Paul renversé de son cheval sur le chemin de Damas ; il découvre le Christ. C'est Pierre qui lors de la pêche miraculeuse tombe à genoux aux pieds de Jésus. C'est encore le centurion romain qui entendant les dernières paroles du Christ en croix se convertit en déclarant : « Vraiment cet homme était fils de Dieu » (Mathieu 27,54).

Pour que le divin passe dans le coeur, il faut savoir rester humble, c'est le grand secret. S'oublier en quelque sorte soi-même pour voir meilleur et plus grand que soi. Ce n'est pas commun. Par orgueil l'homme ne voit souvent pas plus loin que le bout de son nez. Il agit sans penser aux conséquences. Il n'est pas attentif. « Ils ont des yeux mais ils ne voient point » déclarait Jésus (Marc 4,12).

Les neuf compagnons lépreux du samaritain ne voient que ce qui les arrange. Le Christ est la clef. Ils font tout pour l'obtenir. Une fois la guérison reçue, ils passent à autre chose, ce qui sert d'abord leurs intérêts. Il n'y a pas de place pour la reconnaissance dans leur esprit. Eux d'abord. C'est une forme d'égoïsme et un manque d'intelligence.

La foi qui guérit et la foi qui sauve, ce peut être aussi une parabole sur le monde actuel et son avenir. Une première démarche cherche la solution immédiate, à court terme. Elle suit son propre intérêt sans penser aux conséquences. Elle guérit quelque chose mais détraque ailleurs. Un autre problème se crée. La seconde voit à long terme, n'est pas égoïste et se préoccupe de ceux qui viendront après nous. Elle entrevoit les conséquences dans leur globalité.

Mgr Thierry Teyssot


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