Nous croyons que le Christ est le Fils de Dieu venu en chair parmi les hommes. On admet donc facilement que par sa nature divine il émane de lui une sagesse rare. Je voudrais ici exprimer un autre point de vue, complémentaire, celui de sa nature humaine. La lecture des Evangiles donne le sentiment que Jésus s’exprimait comme une personne ayant une solide connaissance de ce qu’il y a dans l’homme.

Comme nous Jésus a dû apprendre à marcher, à parler, à se mesurer aux autres. Il a eu une famille qui a compté pour lui. Sa personnalité s’est construite avec le vécu des expériences qui ont nourri et bâti l’homme, l’adulte qu’il est devenu. Il est important de ne jamais l’oublier pour comprendre le Christ.

Le Temps de Noël

Les Evangiles ne livrent pas tout, il disent simplement l’essentiel. A nous ensuite d’ouvir les yeux pour comprendre et ne pas passer à côté de ce qui est important. En premier il faut bien réaliser que le mystère de la venue du Christ est d’abord celui de son incarnation. Dieu se fait fait homme, il prend un visage, il devient l’un d’entre nous pour vivre notre vie.

Et il ne veut pas tricher !

C’est un des aspects du temps de Noël. Sa famille ne fait pas partie des nantis, de ceux qui vivent dans le luxe et l’oisiveté. La phrase de Luc (2,7) "il n’y avait pas de place pour eux dans l’hôtellerie" témoigne de la situation sociale de Joseph et Marie : un artisan modeste avec sa jeune épouse. Humbles parmi les humbles, ni princes, ni puissants, l’âne comme monture à défaut du carrosse, mais, c’est le plus important : des personnes solides et équilibrées.

Vivre dans une société où il faut sans arrêt faire face à l’adversité forge le caractère. Enceinte Marie doit fuir dans les montagnes pour échapper à la peine de mort prévue pour la femme adultère. Elle trouve refuge chez sa cousine Elisabeth. Le courant miraculeux intervient sous la forme d’un songe envoyé à Joseph pour l’informer de l’origine divine de la grossesse.

Etait-ce facile d’y croire ? Par la foi tout est possible. D’autres se seraient rendormis sans y prêter attention. Lui respectait sa fiancée, l’aimait malgré ce qu’il avait d’abord cru être : une trahison. Mais il avait refusé de porter la nouvelle sur la place publique. Dans un village par contre où tout finit par se savoir la méchanceté de certains se déchaîne contre la jeune femme. La loi de Moïse, impitoyable pour la femme adultère, leur sert de prétexte pour tenter d’assouvir leurs noirs desseins.

Le courant miraculeux fait taire les féroces, mais pour combien de temps ?

"Pas de place pour eux à l’hôtellerie", c’est le moment de la naissance de l’enfant. Obligés de "camper" dans une étable, ses parents se débrouillent et font face. Marie met au monde "son fils premier né" (Luc 2,7). Le refuge est de courte durée, Hérode en veut à la vie de l’enfant et envoie ses soldats massacrer les nouveaux nés de Bethléem et des environs. Le courant miraculeux intervient de nouveau. C’est une nécessité, il y a urgence, le mal est toujours en embuscade. Un songe est envoyé à Joseph pour le prévenir. Il marque le début de la fuite en Egypte.

La sainte famille y parvient. Auparavant les Mages avec leurs généreuses offrandes sont les bienvenus. Intervention là aussi du courant miraculeux ! Sans cette aide providentielle, ni le voyage, ni le séjour en Egypte ne sont possibles pour le couple en fuite avec l’enfant. Ils y resteront deux années environ, jusqu’à la mort du tyran Hérode, celui-là même qui fit assassiner ses deux fils craignant qu’ils ne prennent sa place. Par quoi tenait-il à l’humanité ?

Joseph est à nouveau prévenu par un songe que le danger est écarté. Nouvelle et dernière intervention du courant miraculeux si l’on en croit les Evangiles. Le songe est un moyen précieux d’initiation dans l’univers biblique. La différence entre le rêve et le songe ? Le premier vient de nous, le second est inspiré par Dieu. Remarquons qu’en ce qui concerne Joseph c’est toujours par le canal du songe que le divin intervient. Pour Marie à Nazareth, lors de l’Annonciation, c’est à l’état de veille qu’elle reçoit la visite de l’ange Gabriel. Différence de charismes en vue d’un dessein familial commun : protéger, guider, veiller sur l’enfant jusqu’à l’âge adulte.

La Femme Adultère

En dehors de l’épisode de Jésus perdu au temple et retrouvé vers l’âge de douze ans les Evangiles sont muets sur la jeunesse du Christ. Volonté du Fils de Dieu de ne rien livrer sur la construction de sa personnalité ? Respect de sa vie privée ? Nous devons rester sur des points d’interrogation.

Pourtant, avec un peu de recul et de réflexion, certaines réalités se découvrent. Jésus adulte dans ses paroles et dans ses attitudes nous renseigne sur l’enfant. Par exemple, dans l’épisode où le Fils de Dieu sauve la vie à la femme adultère (Jean 8,3-11), le Sauveur ne répond pas immédiatement au piège tendu par les scribes et les pharisiens. Un peu étonnant de sa part ? Habituellement la parole fuse instantanément, laissant ses contradicteurs pantois et déconcertés, comme pour la question de l’impôt dû à César : "rendez à César ce qui appartient à César et à Dieu ce qui est à Dieu" (Luc 20,25). Ce silence momentané du Christ dans l’épisode de la femme adultère devait raviver certaines blessures, celles qui sont les plus terribles parce qu’elles remontent à la petite enfance...

La rumeur, les ragots, les calomnies entendues sur le compte de sa mère à Nazareth ont dû le poursuivre longtemps... Les mêmes qui auraient voulu la lapidation de Marie au début de sa grossesse ont dû sévir autrement par la suite, ils étaient restés sur leur faim ! La méchanceté n’a pas de limite chez certaines personnes, et les enfants ont des oreilles pour entendre et un coeur pour sentir.

Adulte, dans l’énergie du caractère et de l’accomplissement de sa mission, Jésus se penche sur le sol et se met à écrire. C’est la seule fois où les Evangiles nous montrent le Sauveur en train d’écrire quelque chose : un moment de nostalgie, le souvenir d’un enfant meurtri par des ragots, un tracé sur le sable vite emporté par le vent ? peut-être le prénom de sa mère : Marie ! Puis le Fils de Dieu se redresse et déclare avec force et autorité: "que celui qui est sans péché lui jette la première pierre" (Jean 8,7) Ils s’en allèrent tous à commencer par les plus âgés nous dit Saint Jean. Une vie de sauvée, une blessure qui se referme. L’enfant n’était sans doute pas loin de l’adulte, à cet instant.

La Paille et la Poutre

Relever, critiquer, s’appesantir sur les défauts du prochain, le charger de tous les travers du monde, le Christ a été témoin de ces attitudes négatives et outrancières. Avec de la finesse, de l’humour, un brin d’ironie et une remarquable lucidité, le Fils de Dieu nous fait remarquer que si l’être humain est prompt à accabler, il oublie de se regarder lui-même... Et de faire le ménage devant sa porte !

"Pourquoi vois-tu la paille qui est dans l’œil de ton frère et n’aperçois-tu pas la poutre qui est dans ton œil à toi ! Ou comment peux-tu dire à ton frère : Frère, laisse-moi ôter la paille qui est dans ton œil, toi qui ne vois pas la poutre qui est dans le tien ? Hypocrite, ôte premièrement la poutre de ton œil, et alors tu verras comment ôter la paille qui est dans l’œil de ton frère." (Évangile de Luc, 6,41)

Ne pas juger, ne pas condamner, pardonner. C’est la base même de l’enseignement du Christ. Avez-vous remarqué dans la vie que celui ou celle qui a souffert du jugement des autres est moins disposé à charger le prochain ? Peut-être ceux qui sont plus sensibles que la moyenne souffrent davantage du jugement porté sur eux ? Comme la sensibilité marche de concert avec le coeur, on peut imaginer que Jésus, avec son esprit débordant de générosité a été plus que d’autres attentif à l’expression de sentiments hostiles et malveillants.

Pour sourire un instant : ôter la poutre d’un oeil ! Enormité de la poutre, petitesse de l’oeil; une poussière, un grain de sable suffisent à nous faire frotter les yeux, empêchent de voir; alors une poutre dans l’oeil ? On ne distingue même plus le visage... Un obstacle implacable sur le discernement ! Jésus savait choisir ses images. Il y a du vécu derrière cet enseignement. On comprend aussi qu’il n’aimait pas les hypocrites.

Le Pharisien et le Publicain

En vertu de quelle autorité l’être humain s’arroge-t-il le droit de juger ? Qui est-il pour condamner autrui ? "Il dit encore (Jésus), à l’adresse de certains qui se flattaient d’être des justes et n’avaient que mépris pour les autres cette parabole. Deux hommes montèrent au temple pour prier, l’un était pharisien, et l’autre publicain. Le pharisien, debout, priait ainsi en lui-même : Mon Dieu, je te rends grâces de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes, qui sont rapaces, injustes, adultères, ou même comme ce publicain; je jeûne deux fois la semaine, je donne la dîme de tous mes revenus. Le publicain, se tenant à distance, n’osait même pas lever les yeux au ciel; mais il se frappait la poitrine, en disant: Mon Dieu, aie pitié du pécheur que je suis ! Je vous le dis, celui-ci descendit dans sa maison justifié, plutôt que l’autre. Car quiconque s’élève sera abaissé, et celui qui s’abaisse sera élevé." (Luc 18,9-14)

L’orgueil de ceux qui se croient l’élite, parfaits, supérieurs aux autres est croqué dans cette parabole. C’est le mépris du prochain qui est également rejeté par le Christ. A l’école de la vie, le Sauveur nous fait encore sentir la valeur de l’humilité.

A parcourir ces textes, Jésus apparaît forcément comme une personne ayant une profonde connaissance de la psychologie humaine, et ce : de l’intérieur ! L’Apôtre Jean n’a-t-il pas écrit "qu’il (Jésus) n’avait pas besoin de témoignage sur l’homme : car lui-même connaissait ce qu’il y a dans l’homme." (Jean 2,25) L’injustice et l’hypocrisie le révoltent. Il n’est pas indifférent, ne vit pas dans une bulle ou une tour d’ivoire, il se sent concerné. Découvrir le Christ, c’est plonger au coeur de l’humain !

Le Coût de la Vie

Jésus savait parfaitement le prix et la valeur des choses. Dans son enseignement cela se retrouve à maintes reprises. "Quelle femme, si elle a dix pièces, et qu’elle en perde une, n’allume une lampe, ne balaie la maison, et ne cherche avec soin, jusqu’à ce qu’elle la retrouve ? Lorsqu’elle l’a retrouvée, elle appelle ses amies et ses voisines, et dit: Réjouissez-vous avec moi, car j’ai retrouvé la pièce que j’avais perdue." (Luc 15,8-9)

Elevé dans une famille riche où l’on ne fait pas attention à l’argent, le Sauveur ne nous aurait pas donné cette parabole. Appartenant à un milieu modeste, comme la grande majorité des fils et des filles de Galilée à cette époque, Joseph et Marie devaient certainement compter, et composer avec un budget non élastique.

Dans l’épisode de la multiplication des pains, après que la foule eut mangé et fut rassasiée, il fait ramasser par ses disciples les morceaux qui restent dans douze corbeilles, pour que rien ne soit perdu. (Jean 6,12-13)

Il est sensible à l’indigence de la pauvre veuve qui donne au temple tout ce qu’elle a pour vivre.

"Jésus, ayant levé les yeux, vit les riches qui mettaient leurs offrandes dans le tronc. Il vit aussi une pauvre veuve, qui y mettait deux petites pièces. Et il dit: Je vous le dis en vérité, cette pauvre veuve a mis plus que tous les autres; car c’est de leur superflu que tous ceux-là ont mis des offrandes dans le tronc, mais elle a mis de son nécessaire, tout ce qu’elle avait pour vivre." (Luc 21,1-4)

Regard sur l’Enfant

L’épisode de Jésus perdu au temple et retrouvé vers l’âge de douze ans révèle un côté "Gavroche" chez le fils de Joseph et Marie. Il me semble que cela n’est pas suffisamment relevé dans les commentaires évangéliques habituels. D’abord il fausse compagnie à ses parents pour en savoir plus sur le mystère de sa filiation divine. Il se rend dans le temple de Jérusalem et interroge les spécialistes religieux, les docteurs de la loi. C’est au temple d’ailleurs que ses parents le retrouveront, ivres d’inquiétude et d’angoisse, après trois jours de recherches. Et sans doute allèrent-ils y prier ne sachant plus comment faire pour le retrouver...

Ce que je tiens surtout à faire remarquer, c’est que l’enfant est capable de se débrouiller tout seul pendant trois jours et trois nuits pour manger, dormir et échapper le cas échéant aux prédateurs en tous genre... Il faut le souligner. Cela nous éclaire sur la personnalité et la maturité d’un être déjà bien formé à l’école de la vie...

Adulte, Jésus révèle beaucoup de tendresse pour les enfants. "Le royaume des cieux appartient à ceux qui leur ressemble" (Mathieu 18,3-4) et, "leurs anges voient sans cesse la face de mon père qui est aux cieux" (Mathieu 18,10).

Il se montre très dur envers celui qui scandaliserait un enfant. "Il vaudrait mieux pour lui qu’on suspendît à son cou une meule de moulin, et qu’on le jetât au fond de la mer" (Mathieu 18,6)

Ces propos tranchent avec la douceur et la compassion habituelle du Sauveur, mais cela montre la force et la détermination de son caractère. Les colères du Christ sont légendaires, autant lorsqu’il chasse les marchands du temple en renversant les tables des changeurs (Jean 2,15) que lorsqu’il dénonce l’hypocrisie des pharisiens en les qualifiant de serpents et de race de vipères (Mathieu 23,33)

Reconnaissance du Travail

La grande particularité de l’enseignement du Christ consiste en l’utilisation de paraboles. Ces petites histoires très imagées, en forme de comparaison, renvoient toujours vers autre chose... Elles sont un prétexte pour découvrir ce que Jésus appelle : le royaume ; royaume des cieux, royaume de Dieu.

En parcourant ces paraboles on ne peut manquer de remarquer la simplicité et la pertinence des images utilisées par Jésus. Elles font toujours mouche. Elles sont l’expression de la plus belle forme de l’intelligence, celle qui va à l’essentiel et qui est accessible à tout le monde.

Le Sauveur savait choisir ses images en fonction de son auditoire. Il s’adressait à des cultivateurs, des pêcheurs, des éleveurs, des marchands, des mères de famille, etc. Alors il utilise des mots qui ont un sens pour ceux qui l’écoutent, des mots en relation avec le monde du travail et la vie de tous les jours :

"Le royaume des cieux est semblable à un homme qui a semé une bonne semence dans son champ." (Mathieu 13,24)
"Le royaume des cieux est semblable à un grain de sénevé qu’un homme a pris et semé dans son champ." (Mathieu 13,31)
"Le royaume des cieux est semblable à du levain qu’une femme a pris et mis dans trois mesures de farine, jusqu’à ce que la pâte soit toute levée." (Mathieu 13,33)
"Le royaume des cieux est encore semblable à un trésor caché dans un champ. L’homme qui l’a trouvé le cache; et, dans sa joie, il va vendre tout ce qu’il a, et achète ce champ." (Mathieu 13,44)
"Le royaume des cieux est encore semblable à un marchand qui cherche de belles perles." (Mathieu 13,45)
"Le royaume des cieux est encore semblable à un filet jeté dans la mer et ramassant des poissons de toute espèce." (Mathieu 13,47)
"C’est pourquoi, tout scribe instruit de ce qui regarde le royaume des cieux est semblable à un maître de maison qui tire de son trésor des choses nouvelles et des choses anciennes." (Mathieu 13,52)
"Je vous le dis en vérité, si vous ne vous convertissez et si vous ne devenez comme les petits enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux. C’est pourquoi, quiconque se rendra humble comme ce petit enfant sera le plus grand dans le royaume des cieux." (Mathieu 18,3-4)
"C’est pourquoi, le royaume des cieux est semblable à un roi qui voulut faire rendre des comptes à ses serviteurs." (Mathieu 18,23)
"Car le royaume des cieux est semblable à un maître de maison qui sortit dès le matin, afin de louer des ouvriers pour sa vigne." (Mathieu 20,1)
"Le royaume des cieux est semblable à un roi qui fit des noces pour son fils." (Mathieu 22,2)
"Alors le royaume des cieux sera semblable à dix vierges qui, ayant pris leurs lampes, allèrent à la rencontre de l’époux." (Mathieu 25,1)

La richesse de la pensée du Christ ressort de cet ensemble. Capable de pénétrer tous les milieux, s’adressant à toutes et à tous, Jésus étonne par l’acuité de son sens de l’observation. Attentif au monde qui l’entoure, il se sert de ce qu’il voit pour faire passer le message divin et l’incarner dans la vie de tous les jours. La révélation chrétienne est fondamentalement liée au mystère de l’incarnation !

Il est aussi très important de comprendre et de remarquer qu’avant de commencer vers une trentaine d’années sa vie publique, enseignement et miracles, le Christ a travaillé. Formé par Joseph qui lui a transmis son art et ses conseils, Jésus a subvenu aux besoins de sa famille comme tout être humain. Et cette vie de travailleur a apporté sa pierre de construction à l’édification de la personnalité humaine du Fils de Dieu !

"N’est-ce pas le charpentier, le fils de Marie, le frère de Jacques, de José, de Jude et de Simon ? Et ses soeurs ne sont-elles pas ici parmi nous ? Et il était pour eux une occasion de chute." (Marc 6,3)

Importance de Joseph

Comment rendre hommage à Jésus sans évoquer Joseph ? Celui qui a vu le Christ a contemplé d’une certaine manière Joseph... Les hommages à Marie sont multiples dans les textes ou les prières des Eglise, c’est tout à fait normal puisqu’il s’agit de sa mère et qu’elle a tant fait pour lui. Mais Joseph, c’est trop souvent à mon sens le "saint de l’oubli". On le regarde de loin, on l’ignore parfois. Le socle de base de Jésus c’est pourtant Marie ET Joseph. Ce sont ses parents. Ils ont chacun à leur façon transmis à leur fils des valeurs et une éthique qui ont favorisé l’éclosion de la personnalité du Fils de Dieu. Regarder Jésus adulte, c’est découvrir dans sa personne un reflet de Joseph et de Marie.

Le métier de charpentier demande de l’adresse et de la force. Il faut supporter la chaleur durant l’été, le froid pendant l’hiver. Si la charpente doit être solide, le charpentier doit l’être également. C’est un travail parfois dur et exigeant mais essentiel à la vie des hommes. Comment se loger sans un toit au-dessus de sa tête ?

A nouveau, et dans le monde du travail cette fois, le mystère du Christ se révèle comme étant celui de l’incarnation...

Ouverture aux Autres

Souvent critiqué parce qu’il fréquentait les publicains et les pécheurs, Jésus est en fait ouvert à tous : riches ou pauvres, humbles ou puissants, ouvriers ou notables, le Fils de Dieu ne rejette personne. Le salut est offert à tous, sans distinction entre les gens. Même ses adversaires lui reconnaissent cette qualité : "Et ils vinrent lui dire : Maître, nous savons que tu es vrai, et que tu ne t’inquiètes de personne; car tu ne tiens pas compte de la condition des gens, et tu enseignes la voie de Dieu selon la vérité." (Marc 12,14)

Le Christ surprend toujours, il est là où on ne l’attend pas. C’est le signe d’une grande ouverture d’esprit. A l’adresse du centurion romain, officier d’une armée d’occupation venu le rencontrer pour demander la guérison de son serviteur le Fils de Dieu déclare : "Je n’ai jamais vu une si grande foi dans tout Israël !" (Mathieu 8,10) Quelle leçon pour les apôtres ! N’avaient-ils pas déjà été choisis et appelés ? Quelle indépendance d’esprit de la part de Jésus ! Les mauvaises langues auraient pu le soupçonner de collaboration avec l’occupant romain.

- "Le vent souffle où il veut, tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient, ni où il va. Ainsi en est-il de tout homme qui est né de l’Esprit." (Jean 3,8)

Toujours dans l’Evangile, on découvre l’amitié profonde unissant Jésus avec une riche famille de propriétaires terriens : Lazare et ses deux soeurs, Marthe et Marie-Madeleine. Le Fils de Dieu allait souvent prendre ses repas chez eux. C’est Lazare qu’il ressuscitera d’entre les morts une semaine avant son entrée messianique à Jérusalem. Le lendemain de cette arrivée triomphale commémorée dans l’Eglise par la fête des Rameaux, Jésus, Lazarre, Marthe, Marie-Madeleine et les Apôtres seront réunis au domaine de Béthanie pour un repas étrange et rempli d’émotion : d’un côté des curieux viendront voir Lazare que Jésus avait ressuscité, et peut-être le questionner sur l’au-delà de cette vie... De l’autre il y aura ce geste d’amour de Marie-Madeleine qui oignit Jésus d’un parfum de nard pur de grand prix, épisode qui bouleversera le Sauveur au point qu’il déclarera : "partout où sera prêché cet Evangile dans le monde entier, on racontera aussi, en mémoire d’elle, ce qu’elle vient de faire." (Mathieu 26,13) - "Dieu non des philosophes et des savants, disait le grand Pascal, mais Dieu sensible au coeur."

Un Témoignage Essentiel

Le coeur, c’est à dire le domaine de la sensibilité et de l’émotion, est au centre du message et de l’action de Jésus. C’est certainement ce qui donne cette force et cette largeur d’esprit à son humanité : "Pourquoi votre maître mange-t-il avec les publicains et les gens de mauvaise vie ? Ce que Jésus ayant entendu, dit : Ce ne sont pas ceux qui se portent bien qui ont besoin de médecin, mais les malades. Allez donc apprendre le sens de cette parole : c’est la miséricorde que je désire, et non le sacrifice. Car je ne suis pas venu appeler des justes, mais des pécheurs." (Mathieu 9,11-13)

Les paraboles de la brebis perdue, de l’enfant prodigue, ou encore celle du bon samaritain nous disent, avec beaucoup de délicatesse et d’originalité la tendresse et la miséricorde du Christ. Il est impossible de se dire chrétien sans prendre la réelle mesure de cet enseignement. On est là dans l’essentiel :

- "Qui est mon prochain ? Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho. Il tomba au milieu des brigands, qui le dépouillèrent, le chargèrent de coups, et s’en allèrent, le laissant à demi mort. Un prêtre, qui par hasard descendait par le même chemin, ayant vu cet homme, passa outre. Un lévite, qui arriva aussi dans ce lieu, l’ayant vu, passa outre. Mais un samaritain, qui voyageait, étant venu là, fut touché de compassion lorsqu’il le vit. Il s’approcha, et banda ses plaies, en y versant de l’huile et du vin; puis il le mit sur sa propre monture, le conduisit à une hôtellerie, et prit soin de lui. Le lendemain, il tira deux deniers, les donna à l’hôte, et dit : Aie soin de lui, et ce que tu dépenseras de plus, je te le rendrai à mon retour. Lequel de ces trois te semble avoir été le prochain de celui qui était tombé au milieu des brigands ? C’est celui qui a exercé la miséricorde envers lui, répondit le docteur de la loi. Et Jésus lui dit: Va, et toi, fais de même." (Luc 10-29,37)

- "Les pharisiens et les scribes murmuraient, disant : Cet homme accueille des gens de mauvaise vie, et mange avec eux. Mais il leur dit cette parabole: Lequel d’entre vous, s’il a cent brebis, et qu’il en perde une, ne laisse les quatre-vingt-dix-neuf autres dans le désert pour aller après celle qui est perdue, jusqu’à ce qu’il la retrouve ? Lorsqu’il l’a retrouvée, il la met avec joie sur ses épaules, et, de retour à la maison, il appelle ses amis et ses voisins, et leur dit: Réjouissez-vous avec moi, car j’ai retrouvé ma brebis qui était perdue. De même, je vous le dis, il y aura plus de joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se repent, que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n’ont pas besoin de repentir." (Luc 15,4-7)

- "Il dit encore: Un homme avait deux fils. Le plus jeune dit à son père: Mon père, donne-moi la part de bien qui doit me revenir. Et le père leur partagea son bien. Peu de jours après, le plus jeune fils, ayant tout ramassé, partit pour un pays éloigné, où il dissipa son bien en vivant dans la débauche. Lorsqu’il eut tout dépensé, une grande famine survint dans ce pays, et il commença à se trouver dans le besoin. Il alla se mettre au service d’un des habitants du pays, qui l’envoya dans ses champs garder les cochons. Il aurait bien voulu se rassasier des carouges que mangeaient les cochons, mais personne ne lui en donnait. Rentrant alors en lui-même, il se dit: Combien de journaliers chez mon père ont du pain en abondance, et moi, ici, je meurs de faim! Je me lèverai, j’irai vers mon père, et je lui dirai: Mon père, j’ai péché contre le ciel et contre toi, je ne suis plus digne d’être appelé ton fils; traite-moi comme l’un de tes journaliers. Et il se leva, et alla vers son père. Comme il était encore loin, son père le vit et fut touché de compassion, il courut se jeter à son cou et l’embrassa. Le fils lui dit: Mon père, j’ai péché contre le ciel et contre toi, je ne suis plus digne d’être appelé ton fils. Mais le père dit à ses serviteurs: Apportez vite la plus belle robe, et l’en revêtez; mettez-lui un anneau au doigt, et des souliers aux pieds. Amenez le veau gras, et tuez-le. Mangeons et réjouissons-nous; car mon fils que voici était mort, et il est revenu à la vie; il était perdu, et il est retrouvé. Et ils commencèrent à se réjouir. Or, le fils aîné était dans les champs. Lorsqu’il revint et approcha de la maison, il entendit la musique et les danses. Il appela un des serviteurs, et lui demanda ce que c’était. Ce serviteur lui dit: Ton frère est de retour, et, parce qu’il l’a retrouvé en bonne santé, ton père a tué le veau gras. Il se mit en colère, et ne voulut pas entrer. Son père sortit, et le pria d’entrer. Mais il répondit à son père: Voici, il y a tant d’années que je te sers, sans avoir jamais transgressé tes ordres, et jamais tu ne m’as donné un chevreau pour que je me réjouisse avec mes amis. Et quand ton fils est arrivé, celui qui a mangé ton bien avec des prostituées, c’est pour lui que tu as tué le veau gras! Mon enfant, lui dit le père, tu es toujours avec moi, et tout ce que j’ai est à toi; mais il fallait bien festoyer et se réjouir, parce que ton frère que voici était mort et qu’il est revenu à la vie, parce qu’il était perdu et qu’il est retrouvé." (Luc 15,11-32)

C’est l’évangéliste Luc qui rapporte ces trois paraboles. Lui seul a inscrit dans son Evangile ces trois perles du Christ. Mathieu, Marc et Jean ont fait l’impasse sur ces trois récits. Mais Luc était médecin selon la Tradition, donc à priori plus sensible que d’autres, par son métier, à la souffrance humaine. En écoutant Jésus donner ses enseignements il a relevé ce qui lui semblait important, ce qui le touchait peut-être davantage que ses compagnons. La Tradition en fait également un artiste, un peintre. Il aurait représenté plusieurs fois avec son pinceau Marie, la mère de Jésus. Cet aspect artistique de sa personnalité fait ressortir une nouvelle fois une sensibilité plus marquée que la moyenne. Il est donc bien vrai que ce n’est pas seulement avec l’oreille que nous écoutons, ou avec les yeux que nous regardons... C’est le coeur qui donne l’interprétation.

Et c’est une puissance à la base même de l’enseignement du Christ, de sa divinité et surtout de son humanité !

Monseigneur Thierry Teyssot


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