Comme nous Jésus a dû apprendre à marcher, à parler, à se mesurer aux autres. Il a eu une famille qui a compté pour lui. Sa personnalité sest construite avec le vécu des expériences qui ont nourri et bâti lhomme, ladulte quil est devenu. Il est important de ne jamais loublier pour comprendre le Christ.
Les Evangiles ne livrent pas tout, il disent simplement lessentiel. A nous ensuite douvir les yeux pour comprendre et ne pas passer à côté de ce qui est important. En premier il faut bien réaliser que le mystère de la venue du Christ est dabord celui de son incarnation. Dieu se fait fait homme, il prend un visage, il devient lun dentre nous pour vivre notre vie.
Et il ne veut pas tricher !
Cest un des aspects du temps de Noël. Sa famille ne fait pas partie des nantis, de ceux qui vivent dans le luxe et loisiveté. La phrase de Luc (2,7) "il ny avait pas de place pour eux dans lhôtellerie" témoigne de la situation sociale de Joseph et Marie : un artisan modeste avec sa jeune épouse. Humbles parmi les humbles, ni princes, ni puissants, lâne comme monture à défaut du carrosse, mais, cest le plus important : des personnes solides et équilibrées.
Vivre dans une société où il faut sans arrêt faire face à ladversité forge le caractère. Enceinte Marie doit fuir dans les montagnes pour échapper à la peine de mort prévue pour la femme adultère. Elle trouve refuge chez sa cousine Elisabeth. Le courant miraculeux intervient sous la forme dun songe envoyé à Joseph pour linformer de lorigine divine de la grossesse.
Etait-ce facile dy croire ? Par la foi tout est possible. Dautres se seraient rendormis sans y prêter attention. Lui respectait sa fiancée, laimait malgré ce quil avait dabord cru être : une trahison. Mais il avait refusé de porter la nouvelle sur la place publique. Dans un village par contre où tout finit par se savoir la méchanceté de certains se déchaîne contre la jeune femme. La loi de Moïse, impitoyable pour la femme adultère, leur sert de prétexte pour tenter dassouvir leurs noirs desseins.
Le courant miraculeux fait taire les féroces, mais pour combien de temps ?
"Pas de place pour eux à lhôtellerie", cest le moment de la naissance de lenfant. Obligés de "camper" dans une étable, ses parents se débrouillent et font face. Marie met au monde "son fils premier né" (Luc 2,7). Le refuge est de courte durée, Hérode en veut à la vie de lenfant et envoie ses soldats massacrer les nouveaux nés de Bethléem et des environs. Le courant miraculeux intervient de nouveau. Cest une nécessité, il y a urgence, le mal est toujours en embuscade. Un songe est envoyé à Joseph pour le prévenir. Il marque le début de la fuite en Egypte.
La sainte famille y parvient. Auparavant les Mages avec leurs généreuses offrandes sont les bienvenus. Intervention là aussi du courant miraculeux ! Sans cette aide providentielle, ni le voyage, ni le séjour en Egypte ne sont possibles pour le couple en fuite avec lenfant. Ils y resteront deux années environ, jusquà la mort du tyran Hérode, celui-là même qui fit assassiner ses deux fils craignant quils ne prennent sa place. Par quoi tenait-il à lhumanité ?
Joseph est à nouveau prévenu par un songe que le danger est écarté. Nouvelle et dernière intervention du courant miraculeux si lon en croit les Evangiles. Le songe est un moyen précieux dinitiation dans lunivers biblique. La différence entre le rêve et le songe ? Le premier vient de nous, le second est inspiré par Dieu. Remarquons quen ce qui concerne Joseph cest toujours par le canal du songe que le divin intervient. Pour Marie à Nazareth, lors de lAnnonciation, cest à létat de veille quelle reçoit la visite de lange Gabriel. Différence de charismes en vue dun dessein familial commun : protéger, guider, veiller sur lenfant jusquà lâge adulte.
En dehors de lépisode de Jésus perdu au temple et retrouvé vers lâge de douze ans les Evangiles sont muets sur la jeunesse du Christ. Volonté du Fils de Dieu de ne rien livrer sur la construction de sa personnalité ? Respect de sa vie privée ? Nous devons rester sur des points dinterrogation.
Pourtant, avec un peu de recul et de réflexion, certaines réalités se découvrent. Jésus adulte dans ses paroles et dans ses attitudes nous renseigne sur lenfant. Par exemple, dans lépisode où le Fils de Dieu sauve la vie à la femme adultère (Jean 8,3-11), le Sauveur ne répond pas immédiatement au piège tendu par les scribes et les pharisiens. Un peu étonnant de sa part ? Habituellement la parole fuse instantanément, laissant ses contradicteurs pantois et déconcertés, comme pour la question de limpôt dû à César : "rendez à César ce qui appartient à César et à Dieu ce qui est à Dieu" (Luc 20,25). Ce silence momentané du Christ dans lépisode de la femme adultère devait raviver certaines blessures, celles qui sont les plus terribles parce quelles remontent à la petite enfance...
La rumeur, les ragots, les calomnies entendues sur le compte de sa mère à Nazareth ont dû le poursuivre longtemps... Les mêmes qui auraient voulu la lapidation de Marie au début de sa grossesse ont dû sévir autrement par la suite, ils étaient restés sur leur faim ! La méchanceté na pas de limite chez certaines personnes, et les enfants ont des oreilles pour entendre et un coeur pour sentir.
Adulte, dans lénergie du caractère et de laccomplissement de sa mission, Jésus se penche sur le sol et se met à écrire. Cest la seule fois où les Evangiles nous montrent le Sauveur en train décrire quelque chose : un moment de nostalgie, le souvenir dun enfant meurtri par des ragots, un tracé sur le sable vite emporté par le vent ? peut-être le prénom de sa mère : Marie ! Puis le Fils de Dieu se redresse et déclare avec force et autorité: "que celui qui est sans péché lui jette la première pierre" (Jean 8,7) Ils sen allèrent tous à commencer par les plus âgés nous dit Saint Jean. Une vie de sauvée, une blessure qui se referme. Lenfant nétait sans doute pas loin de ladulte, à cet instant.
Relever, critiquer, sappesantir sur les défauts du prochain, le charger de tous les travers du monde, le Christ a été témoin de ces attitudes négatives et outrancières. Avec de la finesse, de lhumour, un brin dironie et une remarquable lucidité, le Fils de Dieu nous fait remarquer que si lêtre humain est prompt à accabler, il oublie de se regarder lui-même... Et de faire le ménage devant sa porte !
"Pourquoi vois-tu la paille qui est dans lil de ton frère et naperçois-tu pas la poutre qui est dans ton il à toi ! Ou comment peux-tu dire à ton frère : Frère, laisse-moi ôter la paille qui est dans ton il, toi qui ne vois pas la poutre qui est dans le tien ? Hypocrite, ôte premièrement la poutre de ton il, et alors tu verras comment ôter la paille qui est dans lil de ton frère." (Évangile de Luc, 6,41)
Ne pas juger, ne pas condamner, pardonner. Cest la base même de lenseignement du Christ. Avez-vous remarqué dans la vie que celui ou celle qui a souffert du jugement des autres est moins disposé à charger le prochain ? Peut-être ceux qui sont plus sensibles que la moyenne souffrent davantage du jugement porté sur eux ? Comme la sensibilité marche de concert avec le coeur, on peut imaginer que Jésus, avec son esprit débordant de générosité a été plus que dautres attentif à lexpression de sentiments hostiles et malveillants.
Pour sourire un instant : ôter la poutre dun oeil ! Enormité de la poutre, petitesse de loeil; une poussière, un grain de sable suffisent à nous faire frotter les yeux, empêchent de voir; alors une poutre dans loeil ? On ne distingue même plus le visage... Un obstacle implacable sur le discernement ! Jésus savait choisir ses images. Il y a du vécu derrière cet enseignement. On comprend aussi quil naimait pas les hypocrites.
En vertu de quelle autorité lêtre humain sarroge-t-il le droit de juger ? Qui est-il pour condamner autrui ? "Il dit encore (Jésus), à ladresse de certains qui se flattaient dêtre des justes et navaient que mépris pour les autres cette parabole. Deux hommes montèrent au temple pour prier, lun était pharisien, et lautre publicain. Le pharisien, debout, priait ainsi en lui-même : Mon Dieu, je te rends grâces de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes, qui sont rapaces, injustes, adultères, ou même comme ce publicain; je jeûne deux fois la semaine, je donne la dîme de tous mes revenus. Le publicain, se tenant à distance, nosait même pas lever les yeux au ciel; mais il se frappait la poitrine, en disant: Mon Dieu, aie pitié du pécheur que je suis ! Je vous le dis, celui-ci descendit dans sa maison justifié, plutôt que lautre. Car quiconque sélève sera abaissé, et celui qui sabaisse sera élevé." (Luc 18,9-14)
Lorgueil de ceux qui se croient lélite, parfaits, supérieurs aux autres est croqué dans cette parabole. Cest le mépris du prochain qui est également rejeté par le Christ. A lécole de la vie, le Sauveur nous fait encore sentir la valeur de lhumilité.
A parcourir ces textes, Jésus apparaît forcément comme une personne ayant une profonde connaissance de la psychologie humaine, et ce : de lintérieur ! LApôtre Jean na-t-il pas écrit "quil (Jésus) navait pas besoin de témoignage sur lhomme : car lui-même connaissait ce quil y a dans lhomme." (Jean 2,25) Linjustice et lhypocrisie le révoltent. Il nest pas indifférent, ne vit pas dans une bulle ou une tour divoire, il se sent concerné. Découvrir le Christ, cest plonger au coeur de lhumain !
Jésus savait parfaitement le prix et la valeur des choses. Dans son enseignement cela se retrouve à maintes reprises. "Quelle femme, si elle a dix pièces, et quelle en perde une, nallume une lampe, ne balaie la maison, et ne cherche avec soin, jusquà ce quelle la retrouve ? Lorsquelle la retrouvée, elle appelle ses amies et ses voisines, et dit: Réjouissez-vous avec moi, car jai retrouvé la pièce que javais perdue." (Luc 15,8-9)
Elevé dans une famille riche où lon ne fait pas attention à largent, le Sauveur ne nous aurait pas donné cette parabole. Appartenant à un milieu modeste, comme la grande majorité des fils et des filles de Galilée à cette époque, Joseph et Marie devaient certainement compter, et composer avec un budget non élastique.
Dans lépisode de la multiplication des pains, après que la foule eut mangé et fut rassasiée, il fait ramasser par ses disciples les morceaux qui restent dans douze corbeilles, pour que rien ne soit perdu. (Jean 6,12-13)
Il est sensible à lindigence de la pauvre veuve qui donne au temple tout ce quelle a pour vivre.
"Jésus, ayant levé les yeux, vit les riches qui mettaient leurs offrandes dans le tronc. Il vit aussi une pauvre veuve, qui y mettait deux petites pièces. Et il dit: Je vous le dis en vérité, cette pauvre veuve a mis plus que tous les autres; car cest de leur superflu que tous ceux-là ont mis des offrandes dans le tronc, mais elle a mis de son nécessaire, tout ce quelle avait pour vivre." (Luc 21,1-4)
Lépisode de Jésus perdu au temple et retrouvé vers lâge de douze ans révèle un côté "Gavroche" chez le fils de Joseph et Marie. Il me semble que cela nest pas suffisamment relevé dans les commentaires évangéliques habituels. Dabord il fausse compagnie à ses parents pour en savoir plus sur le mystère de sa filiation divine. Il se rend dans le temple de Jérusalem et interroge les spécialistes religieux, les docteurs de la loi. Cest au temple dailleurs que ses parents le retrouveront, ivres dinquiétude et dangoisse, après trois jours de recherches. Et sans doute allèrent-ils y prier ne sachant plus comment faire pour le retrouver...
Ce que je tiens surtout à faire remarquer, cest que lenfant est capable de se débrouiller tout seul pendant trois jours et trois nuits pour manger, dormir et échapper le cas échéant aux prédateurs en tous genre... Il faut le souligner. Cela nous éclaire sur la personnalité et la maturité dun être déjà bien formé à lécole de la vie...
Adulte, Jésus révèle beaucoup de tendresse pour les enfants. "Le royaume des cieux appartient à ceux qui leur ressemble" (Mathieu 18,3-4) et, "leurs anges voient sans cesse la face de mon père qui est aux cieux" (Mathieu 18,10).
Il se montre très dur envers celui qui scandaliserait un enfant. "Il vaudrait mieux pour lui quon suspendît à son cou une meule de moulin, et quon le jetât au fond de la mer" (Mathieu 18,6)
Ces propos tranchent avec la douceur et la compassion habituelle du Sauveur, mais cela montre la force et la détermination de son caractère. Les colères du Christ sont légendaires, autant lorsquil chasse les marchands du temple en renversant les tables des changeurs (Jean 2,15) que lorsquil dénonce lhypocrisie des pharisiens en les qualifiant de serpents et de race de vipères (Mathieu 23,33)
La grande particularité de lenseignement du Christ consiste en lutilisation de paraboles. Ces petites histoires très imagées, en forme de comparaison, renvoient toujours vers autre chose... Elles sont un prétexte pour découvrir ce que Jésus appelle : le royaume ; royaume des cieux, royaume de Dieu.
En parcourant ces paraboles on ne peut manquer de remarquer la simplicité et la pertinence des images utilisées par Jésus. Elles font toujours mouche. Elles sont lexpression de la plus belle forme de lintelligence, celle qui va à lessentiel et qui est accessible à tout le monde.
Le Sauveur savait choisir ses images en fonction de son auditoire. Il sadressait à des cultivateurs, des pêcheurs, des éleveurs, des marchands, des mères de famille, etc. Alors il utilise des mots qui ont un sens pour ceux qui lécoutent, des mots en relation avec le monde du travail et la vie de tous les jours :
"Le royaume des cieux est semblable à un homme qui a semé
une bonne semence dans son champ." (Mathieu 13,24)
"Le
royaume des cieux est semblable à un grain de sénevé quun
homme a pris et semé dans son champ." (Mathieu 13,31)
"Le
royaume des cieux est semblable à du levain quune femme a pris et
mis dans trois mesures de farine, jusquà ce que la pâte soit
toute levée." (Mathieu 13,33)
"Le royaume des
cieux est encore semblable à un trésor caché dans un champ.
Lhomme qui la trouvé le cache; et, dans sa joie, il va vendre
tout ce quil a, et achète ce champ." (Mathieu 13,44)
"Le
royaume des cieux est encore semblable à un marchand qui cherche de
belles perles." (Mathieu 13,45)
"Le royaume des cieux
est encore semblable à un filet jeté dans la mer et ramassant des
poissons de toute espèce." (Mathieu 13,47)
"Cest
pourquoi, tout scribe instruit de ce qui regarde le royaume des cieux est
semblable à un maître de maison qui tire de son trésor des
choses nouvelles et des choses anciennes." (Mathieu 13,52)
"Je
vous le dis en vérité, si vous ne vous convertissez et si vous ne
devenez comme les petits enfants, vous nentrerez pas dans le royaume des
cieux. Cest pourquoi, quiconque se rendra humble comme ce petit enfant
sera le plus grand dans le royaume des cieux." (Mathieu 18,3-4)
"Cest
pourquoi, le royaume des cieux est semblable à un roi qui voulut faire
rendre des comptes à ses serviteurs." (Mathieu 18,23)
"Car
le royaume des cieux est semblable à un maître de maison qui sortit
dès le matin, afin de louer des ouvriers pour sa vigne."
(Mathieu 20,1)
"Le royaume des cieux est semblable à un roi
qui fit des noces pour son fils." (Mathieu 22,2)
"Alors
le royaume des cieux sera semblable à dix vierges qui, ayant pris leurs
lampes, allèrent à la rencontre de lépoux."
(Mathieu 25,1)
La richesse de la pensée du Christ ressort de cet ensemble. Capable de pénétrer tous les milieux, sadressant à toutes et à tous, Jésus étonne par lacuité de son sens de lobservation. Attentif au monde qui lentoure, il se sert de ce quil voit pour faire passer le message divin et lincarner dans la vie de tous les jours. La révélation chrétienne est fondamentalement liée au mystère de lincarnation !
Il est aussi très important de comprendre et de remarquer quavant de commencer vers une trentaine dannées sa vie publique, enseignement et miracles, le Christ a travaillé. Formé par Joseph qui lui a transmis son art et ses conseils, Jésus a subvenu aux besoins de sa famille comme tout être humain. Et cette vie de travailleur a apporté sa pierre de construction à lédification de la personnalité humaine du Fils de Dieu !
"Nest-ce pas le charpentier, le fils de Marie, le frère de Jacques, de José, de Jude et de Simon ? Et ses soeurs ne sont-elles pas ici parmi nous ? Et il était pour eux une occasion de chute." (Marc 6,3)
Comment rendre hommage à Jésus sans évoquer Joseph ? Celui qui a vu le Christ a contemplé dune certaine manière Joseph... Les hommages à Marie sont multiples dans les textes ou les prières des Eglise, cest tout à fait normal puisquil sagit de sa mère et quelle a tant fait pour lui. Mais Joseph, cest trop souvent à mon sens le "saint de loubli". On le regarde de loin, on lignore parfois. Le socle de base de Jésus cest pourtant Marie ET Joseph. Ce sont ses parents. Ils ont chacun à leur façon transmis à leur fils des valeurs et une éthique qui ont favorisé léclosion de la personnalité du Fils de Dieu. Regarder Jésus adulte, cest découvrir dans sa personne un reflet de Joseph et de Marie.
Le métier de charpentier demande de ladresse et de la force. Il faut supporter la chaleur durant lété, le froid pendant lhiver. Si la charpente doit être solide, le charpentier doit lêtre également. Cest un travail parfois dur et exigeant mais essentiel à la vie des hommes. Comment se loger sans un toit au-dessus de sa tête ?
A nouveau, et dans le monde du travail cette fois, le mystère du Christ se révèle comme étant celui de lincarnation...
Souvent critiqué parce quil fréquentait les publicains et les pécheurs, Jésus est en fait ouvert à tous : riches ou pauvres, humbles ou puissants, ouvriers ou notables, le Fils de Dieu ne rejette personne. Le salut est offert à tous, sans distinction entre les gens. Même ses adversaires lui reconnaissent cette qualité : "Et ils vinrent lui dire : Maître, nous savons que tu es vrai, et que tu ne tinquiètes de personne; car tu ne tiens pas compte de la condition des gens, et tu enseignes la voie de Dieu selon la vérité." (Marc 12,14)
Le Christ surprend toujours, il est là où on ne lattend pas. Cest le signe dune grande ouverture desprit. A ladresse du centurion romain, officier dune armée doccupation venu le rencontrer pour demander la guérison de son serviteur le Fils de Dieu déclare : "Je nai jamais vu une si grande foi dans tout Israël !" (Mathieu 8,10) Quelle leçon pour les apôtres ! Navaient-ils pas déjà été choisis et appelés ? Quelle indépendance desprit de la part de Jésus ! Les mauvaises langues auraient pu le soupçonner de collaboration avec loccupant romain.
- "Le vent souffle où il veut, tu entends sa voix, mais tu ne sais ni doù il vient, ni où il va. Ainsi en est-il de tout homme qui est né de lEsprit." (Jean 3,8)
Toujours dans lEvangile, on découvre lamitié profonde unissant Jésus avec une riche famille de propriétaires terriens : Lazare et ses deux soeurs, Marthe et Marie-Madeleine. Le Fils de Dieu allait souvent prendre ses repas chez eux. Cest Lazare quil ressuscitera dentre les morts une semaine avant son entrée messianique à Jérusalem. Le lendemain de cette arrivée triomphale commémorée dans lEglise par la fête des Rameaux, Jésus, Lazarre, Marthe, Marie-Madeleine et les Apôtres seront réunis au domaine de Béthanie pour un repas étrange et rempli démotion : dun côté des curieux viendront voir Lazare que Jésus avait ressuscité, et peut-être le questionner sur lau-delà de cette vie... De lautre il y aura ce geste damour de Marie-Madeleine qui oignit Jésus dun parfum de nard pur de grand prix, épisode qui bouleversera le Sauveur au point quil déclarera : "partout où sera prêché cet Evangile dans le monde entier, on racontera aussi, en mémoire delle, ce quelle vient de faire." (Mathieu 26,13) - "Dieu non des philosophes et des savants, disait le grand Pascal, mais Dieu sensible au coeur."
Le coeur, cest à dire le domaine de la sensibilité et de lémotion, est au centre du message et de laction de Jésus. Cest certainement ce qui donne cette force et cette largeur desprit à son humanité : "Pourquoi votre maître mange-t-il avec les publicains et les gens de mauvaise vie ? Ce que Jésus ayant entendu, dit : Ce ne sont pas ceux qui se portent bien qui ont besoin de médecin, mais les malades. Allez donc apprendre le sens de cette parole : cest la miséricorde que je désire, et non le sacrifice. Car je ne suis pas venu appeler des justes, mais des pécheurs." (Mathieu 9,11-13)
Les paraboles de la brebis perdue, de lenfant prodigue, ou encore celle du bon samaritain nous disent, avec beaucoup de délicatesse et doriginalité la tendresse et la miséricorde du Christ. Il est impossible de se dire chrétien sans prendre la réelle mesure de cet enseignement. On est là dans lessentiel :
- "Qui est mon prochain ? Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho. Il tomba au milieu des brigands, qui le dépouillèrent, le chargèrent de coups, et sen allèrent, le laissant à demi mort. Un prêtre, qui par hasard descendait par le même chemin, ayant vu cet homme, passa outre. Un lévite, qui arriva aussi dans ce lieu, layant vu, passa outre. Mais un samaritain, qui voyageait, étant venu là, fut touché de compassion lorsquil le vit. Il sapprocha, et banda ses plaies, en y versant de lhuile et du vin; puis il le mit sur sa propre monture, le conduisit à une hôtellerie, et prit soin de lui. Le lendemain, il tira deux deniers, les donna à lhôte, et dit : Aie soin de lui, et ce que tu dépenseras de plus, je te le rendrai à mon retour. Lequel de ces trois te semble avoir été le prochain de celui qui était tombé au milieu des brigands ? Cest celui qui a exercé la miséricorde envers lui, répondit le docteur de la loi. Et Jésus lui dit: Va, et toi, fais de même." (Luc 10-29,37)
- "Les pharisiens et les scribes murmuraient, disant : Cet homme accueille des gens de mauvaise vie, et mange avec eux. Mais il leur dit cette parabole: Lequel dentre vous, sil a cent brebis, et quil en perde une, ne laisse les quatre-vingt-dix-neuf autres dans le désert pour aller après celle qui est perdue, jusquà ce quil la retrouve ? Lorsquil la retrouvée, il la met avec joie sur ses épaules, et, de retour à la maison, il appelle ses amis et ses voisins, et leur dit: Réjouissez-vous avec moi, car jai retrouvé ma brebis qui était perdue. De même, je vous le dis, il y aura plus de joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se repent, que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui nont pas besoin de repentir." (Luc 15,4-7)
- "Il dit encore: Un homme avait deux fils. Le plus jeune dit à son père: Mon père, donne-moi la part de bien qui doit me revenir. Et le père leur partagea son bien. Peu de jours après, le plus jeune fils, ayant tout ramassé, partit pour un pays éloigné, où il dissipa son bien en vivant dans la débauche. Lorsquil eut tout dépensé, une grande famine survint dans ce pays, et il commença à se trouver dans le besoin. Il alla se mettre au service dun des habitants du pays, qui lenvoya dans ses champs garder les cochons. Il aurait bien voulu se rassasier des carouges que mangeaient les cochons, mais personne ne lui en donnait. Rentrant alors en lui-même, il se dit: Combien de journaliers chez mon père ont du pain en abondance, et moi, ici, je meurs de faim! Je me lèverai, jirai vers mon père, et je lui dirai: Mon père, jai péché contre le ciel et contre toi, je ne suis plus digne dêtre appelé ton fils; traite-moi comme lun de tes journaliers. Et il se leva, et alla vers son père. Comme il était encore loin, son père le vit et fut touché de compassion, il courut se jeter à son cou et lembrassa. Le fils lui dit: Mon père, jai péché contre le ciel et contre toi, je ne suis plus digne dêtre appelé ton fils. Mais le père dit à ses serviteurs: Apportez vite la plus belle robe, et len revêtez; mettez-lui un anneau au doigt, et des souliers aux pieds. Amenez le veau gras, et tuez-le. Mangeons et réjouissons-nous; car mon fils que voici était mort, et il est revenu à la vie; il était perdu, et il est retrouvé. Et ils commencèrent à se réjouir. Or, le fils aîné était dans les champs. Lorsquil revint et approcha de la maison, il entendit la musique et les danses. Il appela un des serviteurs, et lui demanda ce que cétait. Ce serviteur lui dit: Ton frère est de retour, et, parce quil la retrouvé en bonne santé, ton père a tué le veau gras. Il se mit en colère, et ne voulut pas entrer. Son père sortit, et le pria dentrer. Mais il répondit à son père: Voici, il y a tant dannées que je te sers, sans avoir jamais transgressé tes ordres, et jamais tu ne mas donné un chevreau pour que je me réjouisse avec mes amis. Et quand ton fils est arrivé, celui qui a mangé ton bien avec des prostituées, cest pour lui que tu as tué le veau gras! Mon enfant, lui dit le père, tu es toujours avec moi, et tout ce que jai est à toi; mais il fallait bien festoyer et se réjouir, parce que ton frère que voici était mort et quil est revenu à la vie, parce quil était perdu et quil est retrouvé." (Luc 15,11-32)
Cest lévangéliste Luc qui rapporte ces trois paraboles. Lui seul a inscrit dans son Evangile ces trois perles du Christ. Mathieu, Marc et Jean ont fait limpasse sur ces trois récits. Mais Luc était médecin selon la Tradition, donc à priori plus sensible que dautres, par son métier, à la souffrance humaine. En écoutant Jésus donner ses enseignements il a relevé ce qui lui semblait important, ce qui le touchait peut-être davantage que ses compagnons. La Tradition en fait également un artiste, un peintre. Il aurait représenté plusieurs fois avec son pinceau Marie, la mère de Jésus. Cet aspect artistique de sa personnalité fait ressortir une nouvelle fois une sensibilité plus marquée que la moyenne. Il est donc bien vrai que ce nest pas seulement avec loreille que nous écoutons, ou avec les yeux que nous regardons... Cest le coeur qui donne linterprétation.
Et cest une puissance à la base même de lenseignement du Christ, de sa divinité et surtout de son humanité !
Monseigneur Thierry Teyssot