« Tous les saints ne sont pas saints de la même manière, » disait le Curé dArs, « il y a des saints qui nauraient pu vivre avec dautres saints... Tous ne prennent pas le même chemin. Cependant tous arrivent au même endroit. »
Chaque saint reçoit de lintelligence divine son propre « ordre de mission », ce que les Pères grecs nomment sa « politikeïa », sa vocation. En même temps un « ange gardien » particulier lui est attribué pour mener à bien cette oeuvre pour laquelle il est, dune certaine façon, prédestiné.
En règle générale, lêtre humain est surtout appelé à limitation de Jésus-Christ, mais certaines âmes comme celle du Curé dArs sont choisies, triées, isolées, mises à part pour pratiquer « limitation de Jean le Baptiste ».
A près de deux mille ans dintervalle les deux saints se ressemblent par le dépouillement et la conviction : celui qui se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage (Mathieu 3,4 et Marc 1,6) et celui qui ne mangeait quune pomme de terre bouillie et sen passait les jours de jeûne. Et cette voix incessante appelant les hommes à la conversion, qui serait étonné de la trouver jumelle chez les deux inspirés ?
Comment lange ou lesprit dElie peut-il descendre à des époques différentes et animer Jean le Baptiste et puis lAbbé Vianney et combien dautres entre ces deux là ?
Selon lEvangile, lannonce de la naissance du Précurseur procède dune initiative directe du Ciel. Lange Gabriel apparaît au prêtre Zacharie. Durant son tour de service au temple lange du Seigneur entre en contact avec lui. Il lui révèle quavec son épouse Elisabeth ils auront un fils. Ils devront lui donner le nom de Jean.
« Il sera grand aux yeux du Seigneur ; il ne boira ni vin ni liqueur fermentée ; il sera rempli du Saint-Esprit dès le sein de sa mère et ramènera de nombreux fils dIsraël au Seigneur, leur Dieu. Lui-même le précédera avec lesprit et la puissance dElie, pour ramener le cur des pères vers leurs enfants et les rebelles à la sagesse des justes, préparant au Seigneur un peuple bien disposé. » (Luc 1,16-18)
Cette prophétie de lange saccomplira en son temps. Linterdit mis sur le vin et les boissons fermentées renvoie au naziréat. Dans la Bible, le nazir est une personne qui fait vu dascétisme (Nombres 6. 1-21). Ce mot signifie « consacré » ou « séparé ». Samson et Samuel dans lAncien Testament étaient nazirs à vie.
Luc 1,80 nous dit que « lenfant croissait et son esprit se fortifiait. Et il demeura au désert, jusquau jour où il devait être manifesté à Israël. » Il existe une forme de « marginalité » chez Jean le Baptiste. Il semble à lécart de la vie sociale ordinaire. Cela ajoute du mystère à son parcours.
Comment présenter aux chrétiens de notre époque un prêtre qui déjà heurtait profondément la sienne ? Et pourtant comment ne pas en parler avec enthousiasme ?
Pour accéder à la sainteté faut-il faire de sa vie une endura cathare ? Faut-il dormir deux heures par nuit ? Faut-il ne manger quune pomme de terre bouillie et sen passer les jours de jeûne ? Faut-il porter sur le corps un cilice clouté ? Faut-il se frapper au lever avec une chaîne ? Faut-il en plein hiver dans la froidure du village dArs refuser toute chaleur ? Faut-il remplacer la paille de sa rustique couche par un fagot de sarment ? Faut-il sarracher les dents pour les vendre ? Le Curé dArs a fait tout cela.
En contemplant cette vie de prêtre il faut nous garder de deux choses : le fait de penser que cette route vers le Ciel est unique, et quil ny en a pas dautre ; le fait de penser quelle est démente.
Jésus qui changea leau en vin à Cana, qui multiplia les pains et les poissons sur la montagne, qui fit cuire des poissons pour ses Apôtres ne les incita pas à suivre la même voie que celle de Saint Jean le Baptiste qui se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage tout au long de lannée.
- « Jean est venu ne mangeant pas et ne buvant pas - le fils de lhomme est venu mangeant et buvant » (Mathieu 11,18-19).
Quel appel spécial reçurent Jean le Baptiste et Jean-Marie-Baptiste Vianney pour adhérer à une telle ascèse ? Cest un secret, pour reprendre lexpression de Jésus, cest un secret entre Dieu et eux.
Il y a tout de même plus à dire sur lascèse du curé dArs. Dabord quelle se situe sur un territoire de combat personnel. Le grappin, ce démon intime qui tourmente le saint prêtre, combien il guette la moindre erreur. La vie du curé dArs, durant des années, va être troublée par cette présence jamais exorcisée, cette présence gigantesque qui secoue les murs, qui renverse les choses, que des centaines de témoins ont pu constater et à laquelle il donne le nom de grappin.
Les historiens du Curé dArs signalent que comme Jean le Baptiste, il fut dès lenfance élevé dune façon particulière sur le plan spirituel. Lon ignore pourquoi sa mère Marie Béluse, épouse Vianney le distingua de ses frères en lui disant que son chagrin serait plus intense sil commettait le moindre péché que si cela arrivait à lun deux, mais il est probable que le Ciel Lui-même inspira ce « naziréat », à limage de Samson, du prophète Samuel et de Saint Jean-Baptiste.
Si nous pensons avec Origène et plusieurs autres Pères de lEglise que chaque être humain possède au fur et à mesure de sa progression spirituelle, un ange gardien et un démon personnel de plus en plus puissant, de plus en plus important, de plus en plus sensible dans la hiérarchie céleste, nous devons deviner que le grappin du curé dArs devait être une force maligne particulièrement extraordinaire.
Dun côté de la balance il nous faut mettre le grappin (le mot nest pas du curé dArs, il était utilisé autrefois dans toute la Bourgogne, car les aïeules enseignaient aux enfants quil était dangereux de prononcer le nom du diable, on lui donnait donc un tas de surnoms), de lautre côté de la balance un être gigantesque va faire pendant au grappin: cest le Précurseur, cest Saint Jean-Baptiste.
Il est un mot de vieux français qui nest guère utilisé que dans la vie des saints; cest le mot adombrer. Il signifiait dabord couvrir dombre, et on le retrouve dans les vieux textes pour dire que : « lEsprit-Saint adombra la Vierge Marie » (Luc 1,35). Il sagit à travers la Communion des saints dune véritable présence intérieure, dun être dans un autre le soutenant et le guidant. Qui peut nier que lesprit de Jean le Baptiste fut sur le curé dArs, durant tout son sacerdoce, comme lesprit dElie était sur Jean le Baptiste lui-même ?
Dés sa confirmation cet esprit le soutient et le guide, ladombre, lirradie de sa présence au point que lenfant fait ajouter le prénom de Baptiste à son état civil.
Jeune prêtre le curé dArs a une apparition de Saint Jean-Baptiste dans son église dArs... Le saint lui parle, ouvrant un dialogue qui ne va pas finir; il lui donne lordre de faire bâtir une chapelle dans léglise. Et cest de cette chapelle Saint Jean-Baptiste que vont rayonner la majeure partie des actions miraculeuses. Cest là quil fait installer son confessionnal.
Lon peut ressentir un certain malaise en voyant combien les livres consacrés au Curé dArs escamotent ou, en tout cas, ramènent à un second plan lapparition que fit Saint Jean-Baptiste en léglise dArs, durant la messe célébrée par lAbbé Vianney.
De telles manifestations ne sont pas si isolées dans les vies de Saints. Il arrive parfois, plus souvent quon ne le pense, que durant la célébration du Saint Mystère de la messe quelque chose se déchire dans le mur de lespace et du temps pour laisser entrevoir quelque habitant dune autre dimension.
Mais cette venue va marquer profondément la vie du Curé dArs. Alors que sélève sa prière fervente, une forme se précise du côté Evangile, cest à dire à la gauche de celui qui est en train dinvoquer lEternel, face à lOrient.
Celui qui se montre ainsi est dune stature que le pinceau dun Michel-Ange eut aimé fixer : le torse nu, le visage et le corps noircis par le soleil, la peau dun bouc autour des reins, le Précurseur vient de se rendre auprès de celui qui sétait mis jadis sous sa protection.
Cela remonte à 1806... Le jeune Vianney que ses parents avaient nommé Jean-Marie a voulu ajouter comme prénom de confirmation celui de Baptiste... Au moment de recevoir le sceau de lEsprit-Saint à travers le sacrement, cest ce saint qui fut invoqué.
- « Lesprit dElie était sur Jean le Baptiste » nous disent les Saintes Ecritures (Luc 1,17). A partir de la confirmation de celui qui fut désormais Jean-Baptiste-Marie, cest ce même esprit qui ne va cesser de se manifester.
Ouvrons le livre de lAbbé Alfred Monnin consacré au curé dArs (édition de 1864) :
- « Un jour » - dit la chronique - « il vit le saint précurseur debout au coin de lautel, du côté de lEvangile, lui faisant entendre quil voulait être particulièrement honoré dans léglise dArs et que par son intercession beaucoup de pécheurs reviendraient à Dieu » (Vie du Curé dArs - page 104).
En effet, quelques jours après la bénédiction de lautel de Saint Jean-Baptiste, il tient à ses fidèles assemblés ces propos étonnants : « Si vous saviez ce qui sest passé dans cette chapelle, vous noseriez pas y mettre les pieds. »
LEsprit dElie était sur Jean le Baptiste, nous disent les Saintes Ecritures. Quel souffle charismatique est donc passé du mont Carmel au fleuve Jourdain, du Jourdain à Ars ?
Quand nous regardons le visage émacié du très saint prêtre, que notre regard ne se fasse pas trop naïf, ce mystique nest pas - comme certains auront parfois le tort de le représenter - un être de mentalité infantile dans lequel il se produit par instant des phénomènes qui le dépassent. Il nous faut bien réaliser que nous avons affaire à un personnage très fin, très perspicace, qui a dédaigné linstruction de ce monde pour en recevoir une autre, totalement tournée vers les sciences célestes. La pointe acérée de lesprit, le Curé dArs la possède au plus haut point. A cet ultramontain qui lui demande ironiquement de le laisser saccrocher à sa soutane pour entrer au Paradis, il répond en contemplant sa bedaine fournie : « non! non! La porte du Ciel est étroite, nous resterions tous deux sans pouvoir entrer... »
Ce quil faudrait pour bien cerner Saint Jean-Baptiste-Marie Vianney cest pouvoir reconstituer tout ce que lui a enseigné oralement durant des années son guide et son initiateur lAbbé Balley. Bien imprudent celui qui réduirait son ascèse à des histoires de pommes de terres bouillies ou de cilices... LAscèse, cest une façon de se découvrir et de se maîtriser pour pousser cet « autre corps » dont parle lApôtre Paul vers des dimensions inconnues de la multitude des hommes.
Dans son livre: « Le Curé dArs » paru en 1981 aux éditions « Le Centurion » André Ravier affirme que Dieu sest servi comme instrument de ses desseins et de sa grâce dun prêtre admirable : Monsieur Balley. Et il ajoute: « Monsieur Balley joua auprès de Jean-Marie Vianney le rôle que Saint Augustin attribue au « Maître parfait » dans la formation dun disciple. »
Au bout de lexpérience ascétique, il y a des rencontres telles que celle qui eut lieu entre Jean-Baptiste-Marie, Curé dArs et Jean-Baptiste, Précurseur de Jésus. La chose est-elle possible ? Le dialogue entre Jésus, Moïse et Elie lors de lépisode du Thabor est-il possible ? Serions-nous chrétiens si nous ne croyions pas à la « Communion des Saints » (pour reprendre cette expression du Symbole des Apôtres). La chose a-t-elle réellement eut lieu ? Le nier ce serait réduire la personnalité du curé dArs à des dimensions où il ne serait plus guère intéressant de vous parler de lui.
Prenons encore le témoignage de lAbbé Alfred Monnin :
- « Que sétait-il donc passé ? Quavait vu le Curé dArs ? Cest là une de ces demi-révélations comme il lui en échappait par mégarde. Son humilité se hâtait ensuite den réparer limprudence et den atténuer les effets sur lopinion. Ce que nous savons cest que la chapelle de Saint Jean-Baptiste lui fut toujours chère et vénérable, cest là que saccomplirent les plus grands mystères de miséricorde et de réparation. Cest là que le saint prêtre accueillit les pécheurs, pendant cette longue période que lon peut appeler la période triomphale du pèlerinage. Cest là que sécoulèrent dans les obscurs travaux du confessionnal, les dernières et les plus belles années de sa vie. Cest là enfin quil a consommé son glorieux martyre. »
Pourquoi na-t-on pas mis en exergue cet aspect de sa prêtrise ? Il a vu Jean ! Il a reçu de lui une mission et des directives. Dans une certaine mesure nous pourrions dire que dans lesprit du Curé dArs, en 1822, « il vint un homme dont le nom était Jean ». Il limprégna, il ladombra - pour reprendre ce terme de vieux français qui signifiait « couvrir dombre », une ombre tutélaire, une expression plus guère utilisée que dans la vie des saints pour marquer lirradiation mystique, la présence dun être dans un autre pour le soutenir et le guider : « lEsprit-Saint adombra la Vierge Marie » (Luc 1,25) - il agit à travers lui, faisant couler dans son église dArs un Jourdain purificateur.
Lesprit de Jean le Baptiste était sur lui.
Après avoir osé écrire une telle phrase avec toute la prudence qui simpose et sans prétendre préciser le mode de tutelle du Baptiste, nous pouvons en constater les effets à travers une prodigieuse floraison de miracles dépassant lhumain.
Dailleurs rien détonnant à ce quune âme de cette trempe ait réussi à prier son saint patron jusquà ce quil sétablisse entre les deux êtres une unité daction, lun devenant le guide de lautre.
Ne craignons pas de dire que si lapôtre Paul a pu dire : « ce nest plus moi qui vis, cest le Christ qui vit en moi » (Gal. 2,20) ; le saint curé aurait pu dire : « ce nest pas moi qui agis, cest Saint Jean-Baptiste qui agit en moi. »
Et cette vision de la vie du Curé dArs explique deux choses :
Dabord cette ascèse surhumaine et la façon dont il la supporte ; il est possible quun saint accepte de vivre moins bien quun déporté de Buchenwald, mais il nest guère possible quil vive vieux tout en gardant sa tête solide...
Et surtout quil ait cette présence de chaque seconde... Le premier miracle du Curé dArs cest que nayant pratiquement ni dormi, ni mangé il ait quitté son église à vingt-trois heures et y revienne pour une messe matinale à une heure du matin... Puis, après diverses occupations, il senferme durant des heures et des heures dans son confessionnal pour écouter, conseiller, prédire, orienter des vies.
Pourquoi la tête ne vacille-t-elle pas ? Quelle énergie lui permet de continuer ainsi pendant quarante et un ans, puisque devenu Curé dArs en 1818, il est rappelé à Dieu en 1859 ?
Si quelque chose de la vitalité de Saint Jean-Baptiste ne prend pas le relais, lascèse est inexplicable.
Cela cest la première chose, la seconde cest la profusion des prodiges. Ils sont si nombreux que lEglise moderne nose plus en parler.
Citons le Chanoine Trochu page 24 de son troisième livre de faits miraculeux du Curé dArs... Cest une future religieuse qui vient le consulter :
- « Le Curé dArs venait de joindre les mains, il priait. Soudain Louise le vit sélever à peu près à un pied de hauteur. Il garda cette attitude une quinzaine de minutes. Enfin, quand sorti de son extase il eut touché terre...»
Je vous fais grâce du reste de la citation. Ce que je veux illustrer cest que des faits prodigieux saccomplissaient à travers lui.
Alors il est difficile de ne pas voir une force angélique ou surhumaine aux côtés du saint, sorte de Jourdain spirituel où il puise sans fin.
Tel jour à lAbbé Platz quil na jamais vu il dit : - « Vous venez de la part de Madame Krinner, votre paroissienne, pour me demander ce que son mari est devenu dans lautre monde.»
LAbbé Platz qui a bien été envoyé dans ce but parce que Monsieur Krinner sest suicidé est suffoqué; il répond oui, alors le Curé dArs explique que le suicide a été précédé dune période de repentir et que Dieu a pardonné. Mais, dit le Saint : « il a un long purgatoire à faire. »
Ce cas nest pas, du tout, un cas isolé... Le Curé dArs parle comme sil avait un regard permanent sur les registres du Ciel...
Quel rôle joua le Curé dArs dans la vie religieuse de son temps ? Sans fin nous le voyons diriger des vocations, conseiller, intervenir tant auprès des puissances du Ciel quauprès des puissances de ce monde.
- « Allez à Saint Sulpice », dit-il à lAbbé Boin ; « il fera un bon petit frère des Ecoles », dit-il à la tante Viannay de son petit neveu; « faites-vous franciscain », conseille-t-il à Monsieur Delor.
A Primaël Joseph, il conseille les Frères des Ecoles Chrétiennes, mais au jeune Gaben il indique lOrdre des Lazaristes, au Frère Polycarpe il prescrit lOrdre de Saint François, à Jean-Marie Corbet il déconseille lOrdre des Chartreux où dailleurs il ne restera pas.
Il conseille à celle qui va devenir la Soeur Théodora de rejoindre les Soeurs de Grand fontaine dans le Doubs; à la Soeur Regipas que lon ne veut pas recevoir au couvent de la Charité de Lyon pour raison de santé, il ordonne de retourner faire une demande et elle est prise.
Quoiquon veuille souvent présenter les choses autrement, on allait voir le Curé dArs comme on va voir un voyant ou un guérisseur.
Ce nétait pas dans un certain sens lessentiel de sa mission, mais sans cela il naurait pas vu une seule personne étrangère à sa paroisse.
A ces dons de guérisseur et de voyant succédaient, bien sur, dautres dons dont celui de prédication nétait pas le moindre... Après avoir prié tout bas, car disait-il : « Dieu nest pas sourd » ; pour les malades et les affligés, il élevait le ton jusquà des hauteurs prodigieuses pour la conversion de ceux qui « eux sont sourds ou ne veulent pas entendre ».
Et le don de conversion se faisait; ce don ayant dailleurs pour tremplin la reconnaissance de ceux qui avaient vu guérir un être cher ou qui avaient vu un problème se dénouer par une vision fulgurante sur lavenir de ces prunelles mauves.
Le Voyant, cest, nous dit la Bible, lancien nom que lon donnait au Prophète dIsraël. Quand Samuel reçoit Saül, Saül est en train de chercher les ânesses de son père, il est reçu par le Voyant dIsraël qui est le Prophète Samuel (1 Samuel 9,18-20). Cest par centaines que nous pouvons rapporter les témoignages de personnes ayant constaté lexistence de ce don chez Saint Jean-Marie-Baptiste Vianney.
Mgr Trochu, à lui seul, a consacré une pile de livres à publier une partie de ces témoignages... Je ne vais en citer ici quune faible partie.
Pierre Barbin qui vit à Arcinges se rend pour la première fois à Ars. Le Curé dArs qui se rend à la sacristie le salue par son nom, lui dit doù il vient et lui parle de problèmes quil navait jamais confié à personne.
A Mademoiselle Chrétien, de Bessenay dans le Rhône il déconseille de rentrer dans un couvent... « Dans peu de temps il sera fermé », dit-il. Ceci se passait en juin 1848; en juillet la révolution éclatait à Paris et faisait fermer le couvent.
A une jeune ouvrière amenée de Lyon par Madame Coutte, il révèle quelle est enceinte de six mois et que lenfant quelle porte sera prêtre; ce qui arriva.
Une châtelaine, amie du comte des Garets, a décidé de mettre fin à ses jours... Elle se procure une fiole de poison; mais voulant revoir le Curé dArs une dernière fois elle se rend à son église. Le saint va vers elle et lui fait retirer le flacon de sa poche : « Que voulez-vous faire de ce que vous portez sur vous; donnez-moi cela ! »
En 1854 il prédit à une anglaise que lun de ses fils serait évêque. Ce fut plus de vingt ans plus tard Monseigneur Arthur Riddel, évêque de Northampton.
Mgr Trochu rapporte lhistoire de ces deux voisines de Lyon qui dirent un jour : « Allons donc voir cette bête curieuse » ; le Curé dArs sort de son église à leur arrivée et sapprochant de leur voiture, Il déclare : « Mesdames, je viens vous montrer la bête curieuse que vous désiriez voir ».
Aux deux fils Gauchet de Namur de passage à Ars, il prédit à lun quil sera un « savant religieux », à lautre quil sera un « apôtre laïc ». Le premier Alexis devient Frère des Ecoles Chrétiennes et sera lauteur de nombreux atlas et ouvrages de géographie. Quant à son frère il ouvre une brasserie de bière en Belgique, brasserie qui devient très importante. Cest un homme dune grande charité, qui fait entrer un climat social parmi ses ouvriers, à tel point quon va le surnommer : « le saint homme de Tamines ». Il meurt après avoir fait construire une école et distribuer ses biens aux pauvres.
Un jour deux jeunes filles se présentent au Curé dArs, lune veut se faire religieuse, lautre voudrait bien se marier... Ce sont deux soeurs. A leur grande stupeur, elles sentendent dire exactement le contraire de ce quelles attendaient. A celle qui veut se marier, le Voyant dit : « tu seras religieuse » ; à lautre il déclare que sa vocation est le mariage. Elles sont tellement surprises que durant un an elles vont se ressasser la prédiction et conclure à une confusion du saint.
Lannée suivante elles retournent à léglise dArs; depuis lentrée de la chapelle Saint Jean-Baptiste le prêtre leur fait signe dapprocher et il répète la prédiction... Mais à la seconde il chuchote à loreille : « ne fais pas trop attendre Joseph » ; parole absolument incompréhensible pour la jeune fille. Ce nest quaprès lentrée de sa soeur au couvent quelle est demandée en mariage par Joseph Guimet... Ils auront seize enfants, dont le plus jeune qui en a témoigné fut le Révérend Père Guimet, provincial des Oblats de Marie Immaculée.
Madame Rabuel de Perrex est en train dattendre pour se confesser, elle est venue de Belley. Soudain le curé dArs sort du confessionnal : « mon enfant » lui dit-il, « allez-vous en tout de suite, on aura besoin de vous à la maison ». Madame Rabuel part en hâte et arrive juste à temps pour recevoir le dernier soupir de sa mère.
« Il nest pas bon que lhomme soit seul », dit la Genèse, « faisons-lui une compagne semblable à lui » (Genèse 2,18).
Quand on se trouve face à lun de ces eunuques spirituels dont le Christ a dit : « cest un secret entre Dieu et eux » (Mathieu 19,11-12) ; il serait peut-être téméraire de - selon lexpression consacrée : « chercher la femme ».
Pourtant, dans laridité de la vie érémitique, parfois un rayon de féminité se profile qui est comme une réponse de celui qui a créé le couple. Cela peut prendre des formes extrêmement différentes... Chez le Curé dArs, ce fut un visage venu du fond des siècles qui simplanta et prit vraiment la forme dun mariage mystique.
Si jétais cathare, je vous parlerai après lendura du Curé dArs de son pur amour pour sa Dame de beauté. A partir du jour où le Curé dArs connut Sainte Philomène, un nimbe de douceur sinstalla dans sa vie...
Cest le 24 mai 1802 que furent découverts des ossements dans la catacombe Sainte Priscille... Un simple loculus creusé dans la paroi de terre glaise et clos de trois briques. Sur cette paroi une inscription : « Pax tecum Philomena ». Les ossements étaient ceux dune fillette de quatorze ans ; près de la tête on trouva la petite fiole de cristal où les premiers chrétiens mettaient un peu du sang de leurs martyrs. Cest le Supérieur des Frères de Saint Jean de Dieu, le Père de Mongallon qui passant par Lyon fut reçu dans la famille Jaricot et offrit à la jeune Pauline (17 ans) un os de la relique. Pauline fit don dune partie de cet os au Curé dArs qui installa cette nouvelle relique dans son Eglise.
Quel contact télépathique sétablit entre les deux êtres ?
Monseigneur Trochu écrit, page 312 de son livre « Le Curé dArs ».
- « Non seulement elle serait aux regards de la foule, la céleste thaumaturge dont la prière obtiendrait tout miracle; entre elle et le saint prêtre se lierait une chaste et mystérieuse dilection: elle serait sa Béatrice » - ici Mgr Trochu cite le Chanoine Poulain dans « Les Parfums dArs ».
- « Elle serait sa Béatrice, son idéal, sa douce étoile, son guide, sa consolatrice, sa pure lumière ». Après Mgr Trochu et le chanoine Poulain cest lAbbé Monnin qui surenchérit en ces termes : - « Dès le début, la chère sainte répondit aux attraits de son serviteur; mais leurs coeurs allèrent sunissant de plus en plus, au point quil y avait entre eux, dans les dernières années, non plus une relation à distance, mais un commerce immédiat et direct; et dés lors le saint vivant eut avec la bienheureuse la familiarité la plus douce et la plus intime. Cest dune part la perpétuelle invocation, de lautre une assistance sensible, une sorte de présence réelle ».
Les yeux daméthyste du saint Curé avaient enfin trouvé un miroir mauve...
Mgr Thierry Teyssot