"Potest qui sciens est, multo stellarum effectus avertere, quandi naturam earum noverit: ac seipsum ante illorum eventu praeparare" (Le Savant peut éviter plusieurs événements astrologiques lorsqu'il aura connu leur nature, et se préparer à leur venue)
Ptolémée - Centiloque

C'est en méditant cet aphorisme que je me suis préparé à agir au moment où la vieille fée a lancé sa malédiction. Je savais que l'être humain ne porte jamais rien d'irrémédiable, ni astre maléfique, ni voult pernicieux.

Mais il est bon d'avoir en ce monde un défenseur attentif.

Je me méfiais de cette ancienne, sa réclusion avait fait aigrir le contenu de son coeur. Je me réfugiais donc - pour voir venir - derrière ce que Perrault appelle la Tapisserie et que d'autres nomment le Voile d'Isis... C'est à dire un continuum où mon ancêtre malfaisante ne pouvait deviner ma présence.

J'écoutais les voeux de mes commères:

La Beauté, c'est un moyen pour la femme de collaborer à l'oeuvre artistique du Créateur; la fée Lundi glissa sur la Princesse une aura irréelle de lunaire clarté... Dès cet instant et pour toujours elle fut: la Belle.

L'Esprit fut le cadeau de la fée Mardi, mais pas n'importe quel esprit, il est des gens qui ont un esprit caustique, tortueux, méchamment acéré qui déchire et lacère... Cet esprit là les mène à leur perte. Alors la fée précisa: "de l'esprit comme un ange".

La Grâce vient ensuite. Je m'attendais à ce présent de la part de la fée Mercredi, elle est la soeur du dieu Mercure qui ne serait pas bon commerçant s'il ne rayonnait de façon gracieuse. Mercure n'est-il pas d'ailleurs dans notre paganisme l'aspect pré-chrétien de l'archange Gabriel, le Messager qui dit à Marie: " je te salue, pleine de Grâce".

La Danse vint en quatrième présent, elle est prière et expression, David dansait devant l'Arche de l'Eternel. C'est la fée Jeudi qui fit ce si merveilleux cadeau, la fée de Jupiter... D'après certains textes apocryphes Jésus - après la Cène - dansa la danse cosmique de la marche des planètes avec ses Apôtres.

Le Chant suit naturellement la Danse, c'est un présent complémentaire que déposa sur le berceau la fée Vendredi, elle tenait ce pouvoir de la déesse Vénus dont le passage est recouvert des cantiques d'amour de ses admirateurs.

La Musique est aussi un pouvoir merveilleux entre les mains des habitants de la Terre. La fée Samedi savait qu'elle porte en elle le ferment de liberté et de liesse dont les Saturnales, les festivités du dieu Saturne furent longtemps l'expression.

Je regardais le visage de la vieille fée, j'y vis passer les plus vils des sentiments: chaque cadeau l'atteignait comme une pierre lancée.

Elle n'avait que sa haine... Elle regardait l'enfant comme une araignée regarde sa proie... En un instant elle fut l'araignée venimeuse et implacable... Je songeais au mythe d'Athéna, la Raison divine frappant Arachné de son fuseau parce qu'elle opposait son art décadent à l'Art Royal; la main percée par le fuseau de la déesse, Arachné fit comme Judas elle se pendit... Mais Pallas-Athena lui sauva la vie, elle devint l'araignée.

Vous comprenez maintenant l'histoire du fuseau.

Qu'y pouvais-je ? En ce monde où chaque acte engendre un acte de même nature, la princesse ne pouvait éviter la malédiction du fuseau. Mais j'étais la fée Dimanche, j'avais en moi le pouvoir solaire de tout réveiller, de tout désengourdir. Je ne pouvais supprimer l'hiver, je pouvais préparer le printemps.
Alors je sortis de sous ma tapisserie et je parlais.

Ce que le conteur n'a pas pu dire c'est qu'il y eut lutte dans le cosmos entre l'araignée et moi.

Elle dessina dans les tissus de l'intemporel sa main percée d'où coulait son sang de Lydienne.

Moi - la fée Dimanche - je présentais une autre main percée, puis une seconde main, puis deux pieds, puis un coeur. Un crucifix inscrivit soudain son message de clémence.

J'obtins un simple sommeil d'un siècle... Jusqu'à l'arrivée du Prince... Ainsi elle aurait quinze ou seize ans quand il viendrait.

- "Exercet saepe vires stella, quo in loco nullas habet vires, lucrum inexpectatum nato afferens" (une planète exerce souvent sa puissance où elle n'en a point, apportant à l'homme un bonheur qui n'était pas attendu).

Ainsi parle encore Ptolémée dans le Centiloque et, certes, l'aspect de la carte du ciel du Prince charmant ne pouvait comporter sa rencontre avec la très belle princesse endormie. Il a fallu que nous autres fées nous arrangions très sérieusement les horoscopes... Celui de la Princesse s'interrompant pour cent ans pour reprendre sous d'autres configurations, celui du Prince comportant un amour qui n'était pas écrit dans le Ciel.

Prenez garde que de tels bouleversements arrivent plus souvent qu'on ne veut le croire. Sinon l'érudit Ptolémée ne se serait pas étonné des exceptions dans lesquelles le bonheur surgit dans des configurations zodiacales où nul ne pouvait l'attendre. C'est dû à l'action des jeunes fées qui se cachent derrière les tapisseries du visible.

Les Fées


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