Le don de prendre toutes sortes de formes appartenait à Protée, fils de l'Océan, bien avant que d'être l'apanage de l'ogre du "Chat Botté"; il n'était pas le seul et nous lisons dans la Fable grecque et latine que le fils de Nestor Périclimène avait reçu de Neptune ce pouvoir que la théologie désigne comme celui des "âmes informantes".

Si nous parcourons le livre des Métamorphoses d'Ovide, nous découvrons bien d'autres cas de transformations. Si nous bavardions un court instant avec l'audacieux Petit Poucet, celui-ci nous confierait bien vite qu'il est un peu cousin de ce Thésée qui fut, avec six autres jeunes gens, condamné par Minos à servir de nourriture au terrible Minautore. Ce Thésée n'avait pas de petits cailloux pour se retrouver dans le Labyrinthe, mais il s'en sortit pourtant par un moyen un peu semblable: le fil conducteur offert par Ariane.

Et si les bottes qui furent volées à l'Ogre par le même petit débrouillard avaient droit à la parole, elles diraient qu'elles sortent de la même antique et industrieuse fabrique qui fournissait jadis ce modèle d'ailettes détachables que portait Mercure aux talons et qu'il légua à Persée.

Au demeurant - si nous en croyons Perrault - le Petit Poucet se spécialisa dans le transport des messages, tout comme Mercure fut le messager des dieux.

Il fut peut-être un temps où les sept fils du bûcheron Guillaume étaient de la même famille que les sept filles de l'ogre: c'était en la ville de Thèbes où Niobé, fille de Tantale et Reine de ce pays, avait quatorze enfants... Sept fils et sept filles ... Apollon tua les sept garçons et Diane les sept filles. Dans un autre cycle Perrault nous fait retrouver ces figures symboliques, mais avec un autre destin.

Le gros mouton de l'Infante qui l'aida à fuir en traînant son cabriolet savait nous dit Perrault tous les chemins... Nous ne pouvons pas penser qu'il ne soit pas de la race de ce bélier célèbre à la toison d'or qui mena en son temps Phyxus et Hellé loin de Thèbes.

Le symbolisme de la mythologie ne saurait donc point être étranger à notre conteur, il sait que l'on peut remplacer une victime humaine par une biche, le cuisinier le fera pour l'infante de son conte, mais Diane pour une fois sensible à la pitié l'avait fait pour Iphigénie.

Mais pour autant les Contes de Perrault ne sont pas une restitution déguisée de la Fable antique, ils ont autre chose, bien autre chose à dire et s'ils reprennent parfois quelques uns des hiéroglyphes primitifs, c'est dans un sens tout différent qu'il faut les interpréter.

Ceci dit, il faudrait sans doute demander - mais à qui ? - si d'autres divinités, orientales celles-ci ne sont pas venues apporter quelques présents au conteur: Mithra le premier n'a t-il pas donné son bonnet phrygien au Petit Chaperon Rouge et la rencontre du loup n'est-elle pas tout simplement le passage à un grade initiatique plus élevé dans les frères (sacrati) du Sol Invictus (le Soleil Invaincu)... ?

Au départ de l'ogre, il n'y a aucun doute que nous ne rencontrions le dieu du monde infernal Orcus, avaleur de cadavre qui était à l'origine un dieu-loup... Mais à cette idée primaire la mythologie grecque et romaine mêle déjà l'idée du temps qui détruit tout et se dévore lui-même. La lutte des héros de Perrault sera donc un combat contre Chronos: tentative de l'humanité d'échapper à l'illusion temporelle. Le Pluton romain est souvent figuré avec une peau de loup.

Pour donner le beau rôle à un chat, il faut sans doute s'en aller à l'école des prêtres d'Isis, le chat de l'Egypte antique s'identifiait à la déesse Bastet que l'on représentait un un couteau à la patte... Un couteau pour transpercer le serpent-dragon Apophis.

"L'antique Gaule vous presse" déclarait Perrault à la Comtesse de M... et c'est, sans doute, dans notre propre mythologie qu'il faudrait aller chercher les racines les plus secrètes de ses récits. Au demeurant le conseiller qui renforce le roi, père de Peau d'Ane, dans l'idée d'épouser sa fille n'est ni un prêtre de Jupîter, ni un père des pères de Mithra, mais un vieux druide bien gaulois et la fée de la Belle au Bois dormant a très bien pu apprendre l'art difficile d'atteler les dragons auprès de sainte Marthe, de Saint Loup ou de saint Hilaire de Poitiers... Tous maîtres en la matière.

Et les fées ont leur place dans les pages de l'album mythologique, il est peut-être tout de même bon de souligner que l'une des héroïnes portant ce nom dans les contes de Perrault semble avoir l'ourlet tout en bas de sa robe un tantinet humide.

En effet, quand dans la version en vers de Peau d'Ane, la première écrite l'infante se rend auprès de sa marraine, nous aprrenons - et cela va nous être bien utile - que le domicile de cette fée se trouve: "Loin, dans une grotte à l'écart, de nacre et de corail richement étoffée".

De la nacre, du corail: si nous ne sommes pas sous les eaux de la mer nous en sommes en tout cas tout près. Cette fée - et cela contraste avec la version en prose - qui fera, plus tard, de la fée une fée florale: la fée des lilas.

La marraine du conte en vers ne serait-elle pas de la race des naïades et des ondines ?

La mythologie greco-romaine faisait peupler les bords des lacs et des rivières, les rivages de l'océan de ces nymphes des eaux jolies, parfois cruelles, toujours douées de pouvoirs supranaturels. Entrevues par le voyageur à travers le rideau fantastique d'un brouillard irééel ces fées aux multiples sortilèges ont d'ordinaire assez mauvaise réputation.

- Reste, lui dit-elle, et je te donnerai
L'opale magique et l'anneau doré
Et ce qui vaut mieux que gloire et fortune,
Ma robe d'argent tissée au clair de la lune."

La fée qui conseille l'infante n'est pas de ces tentatrices. Pourtant son jeu n'est pas non plus de la plus grande pureté. Ne fait-elle pas jouer à sa filleule un rôle de coquette envers son père: "offre-moi ceci;" "offre-moi cela", jusqu'à ce qu'elle finisse - comme le fit Salomé pour Hérode Antipas - par demander une vie... Salomée sur le conseil d'Hérodiade, l'infante sur le conseil de sa marraine.

La nacre et le corail qui tapissent la grotte de la fée méritent quelque attention. La nacre est l'emblême de Métra, fille d'Erysicthon qui, nous dit la mythologie, ayant coupé une forêt consacrée aux dieux, fut puni d'une faim horrible et insatiable. Afin de nourrir ce père toujours affamé Métra dut se livrer à la prostitution, mais afin ne ne pas lasser sa clientèle elle eut l'idée de demander au dieu de la mer le même don qu'il avait jadis accordé à son fils Prothée: se transformer à volonté... Mais alors que Prothée, comme l'ogre de Perrault, se transformait à loisir en lion, en taureau, en sanglier ou en souris; Métra, maîtresse idéale, prenait toutes les formes de femmes que désiraient ses amants, modifiant la couleur de ses yeux ou celle de sa peau, grandissant ou rapetissant à la demande, prenant ou perdant de la poitrine ou des hanches, ressemblant - sur demande - à telle ou telle femme décrite par le demandeur.

Le corail, lui, est né de gouttes de sang versé par la méduse.

En effet quand le glaive de Persée trancha la tête de cette gorgone, les gouttes de sang qui jaillirent créèrent à la fois le corail et - d'un même coup - le cheval Pégase.

Ilest bon aussi d'ajouter que le corail présente la rare particularité de faire coïncider en sa nature les trois règnes: animal, végétal puis minéral.

Ce serait bien mal connaître Perrault - et nous allons le constater tout au long des pages de cette étude - que de penser que c'est par hasard que l'on retrouve sur les parois de cette grotte féérique ce corail et cette nacre.

Nous pensons que comme Mélusine devait régulièrement se "retremper" pour retrouver sa forme humaine, ainsi la fée de Peau d'Ane se retrempait en sa grotte.

Et, bien entendu, nous pourrions encore longuement nous interroger sur les sources mythologiques des contes de Perrault, mais il y a tant d'autres choses à découvrir que nous ne pouvons rester plus longtemps dans le labyrinthe de la fable antique... Il nous faut mainteant cingler vers d'autres horizons.

En avant toute !


Avertissement de l'auteur:

Nous tenons aussi à bien préciser que cette étude n'est pas un ouvrage dogmatique, qu'elle ne saurait en rien apporter quelque chose de neuf concernant la doctrine de l'Eglise, et qu'enfin si quelque proposition risquait de toucher à l'une des affirmations du Credo nous la renions d'avance volontiers, rien ne nous semblant plus important que la défense de ce qui a été révélé par le Christ.

Mais la lecture de la parabole des talents nous a convaincu qu'il est en l'être humain des possibilités que l'on ne doit pas laisser sans emploi.

En lisant Perrault, nous ne pouvions pas éviter de voir ce qui pour nous était si clair: d'abord que les contes portaient en eux un ensemble de leçons à l'usage de ceux qui ont des oreilles pour entendre; ensuite que cet ensemble de leçons tournait autour de la doctrine de l'Odos.

Au demeurant cette méthode existait bien avant Perrault et nous avions lu dans les Cahiers d'Etudes Cathares du regretté Déodat Roché que les évêques de cette doctrine avaient souvent confié à des contes la transmission de leurs secrètes traditions. Après avoir découvert que les écrits de Perrault étaient d'experts camouflages, il ne nous restait plus qu'à partir en chasse.

Le Petit Chaperon Rouge


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