A la suite du grand docteur de la grâce, il me semble difficile et réducteur de considérer lun sans lautre. Sans ces deux « béquilles » le chemin vers la lumière, ou plutôt la sagesse, devient périlleux. Parce que nous sommes à la fois des êtres de raison et de sentiment ces deux potentialités sont des atouts dans la vie, même des talents.
Pour ne pas se perdre dans laveuglement et létroitesse desprit, il faut savoir et croire tout à la fois.
La connaissance, linstruction sont des chances dans la vie. La découverte de lHistoire, par exemple, est une richesse. Elle permet de comprendre lévolution de lhomme et de nos civilisations dans le temps. La mémoire historique est aussi un garde-fou contre lobscurantisme et la barbarie. Parce quà chaque génération tout est toujours à construire, parfois hélas à reconstruire, il faut tirer parti des leçons du domaine du passé. Pour que les même erreurs ne se reproduisent pas, celles qui font glisser la civilisation vers le totalitarisme et labsence de liberté, il est indispensable de connaître les mécanismes qui font plonger lhumanité dans les ténèbres. Le chemin de la violence et du non respect dautrui est balisé dans les livres dHistoire, il est connu.
La culture sauve lHomme dune certaine façon. En élargissant le champ des connaissances, elle lui permet de voir plus loin. Prisonnière de ses bas instincts, une civilisation est vouée à léchec, à la perdition. Eclairée par la connaissance, elle trouve le chemin qui mène au salut, au bonheur. En sappuyant sur lexpérience et la sagesse des générations précédentes, lHomme progresse en évitant de reproduire des erreurs jadis fatales.
Mais lacquisition de la culture demande du temps, de lénergie, de la patience. Sur les bancs de lécole il nest pas toujours facile dapprendre. Lenfant pense souvent à autre chose. Parfois ce sont les professeurs qui ne donnent ni le goût ni lenvie. Plus tard, lorsquon a fait déjà un bout de chemin dans la vie, il nest jamais trop tard pour sinstruire. Journaux, livres, revues, internet, radio, cinéma, télévision, rencontres, les sources sont multiples.
Savoir, cest aussi pouvoir. Lignorance fait perdre un temps précieux, elle fait passer à côté de lessentiel, de ce qui peut nous aider à voir clair pour avancer. La connaissance, cest une boîte à outils pour entreprendre et réussir un ouvrage.
Savoir sans croire, cela ne suffit pas. La foi est une énergie pour aller de lavant, mais elle a besoin dêtre éclairée et tempérée par la connaissance. Une foi aveugle est la porte ouverte à toutes les dérives, aux intégrismes comme aux manipulations de toutes sortes. « La lettre tue, mais lesprit vivifie » (2 Cor. 3,6) écrit lapôtre Paul. Autrement dit il ne suffit pas de lire la Bible, ou nimporte quel texte dailleurs, mais il faut le comprendre. Ne pas sarrêter à la lettre des Ecritures, aveuglément, mais faire preuve de discernement, desprit critique et danalyse, remettre les choses dans leur contexte.
Dans la Bible, le verbe connaître exprime quelque chose de profond, cest relatif à lexpérience, à lintime. « Adam connut Eve sa femme, et elle conçut, elle enfanta » (Genèse 4,1). La connaissance dans lunivers biblique est inséparable du vécu, de ce qui est partagé pour construire et avancer. Savoir cest goûter pour le livre de la Genèse, doù lhistoire du péché originel, avec la parabole sur larbre de la connaissance du bien et du mal. Trop près du feu je me brûle, trop loin du feu je me gèle. Pour le savoir il faut en faire lexpérience. Cest lhistoire de la vie.
Les leçons apprises de nos erreurs donnent une force. Cest un bagage que lon transporte avec soi au cas où. Avec le temps cela devient du flair, de lintuition, car lesprit est agile. Il sait jongler avec tous les outils que la connaissance met à sa disposition.
La foi peut faire la différence. Là où lêtre humain ne sait plus, là où il doute de lui et de tout, quelque chose surgit parfois des profondeurs de son être, une force qui le fait aller de lavant, croire et espérer. Appelons cela présence où image de Dieu en soi, forces de la vie, instinct de survie, quels que soient les mots utilisés pour comprendre, cette énergie vitale est toujours la bienvenue, elle nous ramène vers la lumière.
Les connaissances portées par Jésus sont dabord une forme de sagesse, une force de vie et damour quil communique à ceux et celles qui le découvrent à travers la foi. Lenseignement en paraboles, les actes et les paroles du Christ, il va toujours à lessentiel, ce qui sauve et redresse. Il remet lêtre humain sur le bon chemin, celui qui sauve et rend heureux. Ceci explique quà son contact beaucoup se sentent meilleurs, parce quils puisent auprès de lui une force qui vivifie.
Lors de sa vie terrestre, Jésus ne savait peut-être pas que la terre était ronde. Dans son humanité, il était limité aux connaissances de son temps. Mais là nétait pas lessentiel. La connaissance quil véhicule cest dabord une force de bien, une vigueur de lesprit et du cur pour réussir sa vie, dans le respect dautrui et du monde dans lequel nous évoluons. Pour le Christ il est impossible de se sauver tout seul. Lêtre humain a besoin des autres comme les autres ont besoin de lui. Le salut est collectif. Cest le sens du mot église qui vient du grec ecclesia, cest à dire lassemblée.
La culture et la foi, savoir et croire, cest un équilibre subtil ! Prisonnière des dogmes, la foi est aveugle, elle senferme. Ouverte, elle est curieuse, elle sintéresse, elle progresse. Il en est de même pour la culture. Toute connaissance est partielle, elle finit toujours par être dépassée. La physique newtonienne, par exemple, est devancée aujourdhui par la physique dite quantique qui entrevoit de nouvelles lois régissant lunivers. La recherche, les découvertes, tout est relatif, « en létat actuel des connaissances » selon lexpression consacrée.
Parce quil est impossible de tout savoir, lhumilité doit être de mise. Les certitudes peuvent faire basculer dans lorgueil, le sentiment de supériorité. Quelles soient religieuses, scientifiques ou historiques, les « certitudes » doivent rester des points de repères, des balises, des panneaux indicateurs sur le chemin de nos vies.
Relisons le texte de lApôtre Paul dans sa première épître aux Corinthiens pour aller plus loin.
« Quand je parlerais les langues des hommes et des anges, si
je nai pas lamour, je suis un airain qui résonne, ou une
cymbale qui retentit.
Et quand jaurais le don de prophétie, la
science de tous les mystères et toute la connaissance, quand jaurais
même toute la foi jusquà transporter des montagnes, si je nai
pas lamour, je ne suis rien.
Et quand je distribuerais tous mes biens
pour la nourriture des pauvres, quand je livrerais même mon corps pour être
brûlé, si je nai pas lamour, cela ne me sert à
rien.
Lamour est patient, il est plein de bonté ; lamour
nest point envieux ; lamour ne se vante point, il ne senfle
point dorgueil, il ne fait rien de malhonnête, il ne cherche point
son intérêt, il ne sirrite point, il ne soupçonne
point le mal, il ne se réjouit point de linjustice, mais il se réjouit
de la vérité ; il excuse tout, il croit tout, il espère
tout, il supporte tout.
Lamour ne périt jamais. »
(1 Corinthiens 13,1-8)
Il est difficile dêtre plus clair et plus juste. Ce texte merveilleusement inspiré de Saint Paul a nourri la foi et la réflexion dinnombrables générations de chrétiens. Il est toujours dactualité aujourdhui. Quelles que soient nos certitudes, nos connaissances, nos questions et nos doutes, lorsquil fait soleil dans notre cur, tout va très bien.
« Il en faut peu pour être heureux » chante lours Baloo dans le célèbre film du « livre de la jungle ». Et sil avait raison ? Quest-ce qui compte vraiment dans notre vie pour que nous puissions réaliser ce subtil équilibre qui sappelle le bonheur ? Aujourdhui encore, cest une question très importante.
Mgr Thierry Teyssot