Pour beaucoup de personnes rationalité et religion, science et croyance, connaissance et foi sont en opposition. « Il faut choisir son camp » déclarent même certains. Pourquoi exprimer des avis aussi tranchés ? N’existe-t-il pas des ponts reliant ces différents chemins de l’esprit ? « Je crois pour comprendre et je comprends pour mieux croire », déclarait Saint Augustin dans ses sermons.

A la suite du grand docteur de la grâce, il me semble difficile et réducteur de considérer l’un sans l’autre. Sans ces deux « béquilles » le chemin vers la lumière, ou plutôt la sagesse, devient périlleux. Parce que nous sommes à la fois des êtres de raison et de sentiment ces deux potentialités sont des atouts dans la vie, même des talents.

Pour ne pas se perdre dans l’aveuglement et l’étroitesse d’esprit, il faut savoir et croire tout à la fois.

Culture Nécessaire

La connaissance, l’instruction sont des chances dans la vie. La découverte de l’Histoire, par exemple, est une richesse. Elle permet de comprendre l’évolution de l’homme et de nos civilisations dans le temps. La mémoire historique est aussi un garde-fou contre l’obscurantisme et la barbarie. Parce qu’à chaque génération tout est toujours à construire, parfois hélas à reconstruire, il faut tirer parti des leçons du domaine du passé. Pour que les même erreurs ne se reproduisent pas, celles qui font glisser la civilisation vers le totalitarisme et l’absence de liberté, il est indispensable de connaître les mécanismes qui font plonger l’humanité dans les ténèbres. Le chemin de la violence et du non respect d’autrui est balisé dans les livres d’Histoire, il est connu.

La culture sauve l’Homme d’une certaine façon. En élargissant le champ des connaissances, elle lui permet de voir plus loin. Prisonnière de ses bas instincts, une civilisation est vouée à l’échec, à la perdition. Eclairée par la connaissance, elle trouve le chemin qui mène au salut, au bonheur. En s’appuyant sur l’expérience et la sagesse des générations précédentes, l’Homme progresse en évitant de reproduire des erreurs jadis fatales.

Mais l’acquisition de la culture demande du temps, de l’énergie, de la patience. Sur les bancs de l’école il n’est pas toujours facile d’apprendre. L’enfant pense souvent à autre chose. Parfois ce sont les professeurs qui ne donnent ni le goût ni l’envie. Plus tard, lorsqu’on a fait déjà un bout de chemin dans la vie, il n’est jamais trop tard pour s’instruire. Journaux, livres, revues, internet, radio, cinéma, télévision, rencontres, les sources sont multiples.

Savoir, c’est aussi pouvoir. L’ignorance fait perdre un temps précieux, elle fait passer à côté de l’essentiel, de ce qui peut nous aider à voir clair pour avancer. La connaissance, c’est une boîte à outils pour entreprendre et réussir un ouvrage.

Confiance pour Avancer

Savoir sans croire, cela ne suffit pas. La foi est une énergie pour aller de l’avant, mais elle a besoin d’être éclairée et tempérée par la connaissance. Une foi aveugle est la porte ouverte à toutes les dérives, aux intégrismes comme aux manipulations de toutes sortes. « La lettre tue, mais l’esprit vivifie » (2 Cor. 3,6) écrit l’apôtre Paul. Autrement dit il ne suffit pas de lire la Bible, ou n’importe quel texte d’ailleurs, mais il faut le comprendre. Ne pas s’arrêter à la lettre des Ecritures, aveuglément, mais faire preuve de discernement, d’esprit critique et d’analyse, remettre les choses dans leur contexte.

Dans la Bible, le verbe connaître exprime quelque chose de profond, c’est relatif à l’expérience, à l’intime. « Adam connut Eve sa femme, et elle conçut, elle enfanta » (Genèse 4,1). La connaissance dans l’univers biblique est inséparable du vécu, de ce qui est partagé pour construire et avancer. Savoir c’est goûter pour le livre de la Genèse, d’où l’histoire du péché originel, avec la parabole sur l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Trop près du feu je me brûle, trop loin du feu je me gèle. Pour le savoir il faut en faire l’expérience. C’est l’histoire de la vie.

Les leçons apprises de nos erreurs donnent une force. C’est un bagage que l’on transporte avec soi au cas où. Avec le temps cela devient du flair, de l’intuition, car l’esprit est agile. Il sait jongler avec tous les outils que la connaissance met à sa disposition.

La foi peut faire la différence. Là où l’être humain ne sait plus, là où il doute de lui et de tout, quelque chose surgit parfois des profondeurs de son être, une force qui le fait aller de l’avant, croire et espérer. Appelons cela présence où image de Dieu en soi, forces de la vie, instinct de survie, quels que soient les mots utilisés pour comprendre, cette énergie vitale est toujours la bienvenue, elle nous ramène vers la lumière.

L’Exemple du Christ

Les connaissances portées par Jésus sont d’abord une forme de sagesse, une force de vie et d’amour qu’il communique à ceux et celles qui le découvrent à travers la foi. L’enseignement en paraboles, les actes et les paroles du Christ, il va toujours à l’essentiel, ce qui sauve et redresse. Il remet l’être humain sur le bon chemin, celui qui sauve et rend heureux. Ceci explique qu’à son contact beaucoup se sentent meilleurs, parce qu’ils puisent auprès de lui une force qui vivifie.

Lors de sa vie terrestre, Jésus ne savait peut-être pas que la terre était ronde. Dans son humanité, il était limité aux connaissances de son temps. Mais là n’était pas l’essentiel. La connaissance qu’il véhicule c’est d’abord une force de bien, une vigueur de l’esprit et du cœur pour réussir sa vie, dans le respect d’autrui et du monde dans lequel nous évoluons. Pour le Christ il est impossible de se sauver tout seul. L’être humain a besoin des autres comme les autres ont besoin de lui. Le salut est collectif. C’est le sens du mot église qui vient du grec ecclesia, c’est à dire l’assemblée.

Un Equilibre Subtil

La culture et la foi, savoir et croire, c’est un équilibre subtil ! Prisonnière des dogmes, la foi est aveugle, elle s’enferme. Ouverte, elle est curieuse, elle s’intéresse, elle progresse. Il en est de même pour la culture. Toute connaissance est partielle, elle finit toujours par être dépassée. La physique newtonienne, par exemple, est devancée aujourd’hui par la physique dite quantique qui entrevoit de nouvelles lois régissant l’univers. La recherche, les découvertes, tout est relatif, « en l’état actuel des connaissances » selon l’expression consacrée.

Parce qu’il est impossible de tout savoir, l’humilité doit être de mise. Les certitudes peuvent faire basculer dans l’orgueil, le sentiment de supériorité. Qu’elles soient religieuses, scientifiques ou historiques, les « certitudes » doivent rester des points de repères, des balises, des panneaux indicateurs sur le chemin de nos vies.

Relisons le texte de l’Apôtre Paul dans sa première épître aux Corinthiens pour aller plus loin.

« Quand je parlerais les langues des hommes et des anges, si je n’ai pas l’amour, je suis un airain qui résonne, ou une cymbale qui retentit.
Et quand j’aurais le don de prophétie, la science de tous les mystères et toute la connaissance, quand j’aurais même toute la foi jusqu’à transporter des montagnes, si je n’ai pas l’amour, je ne suis rien.
Et quand je distribuerais tous mes biens pour la nourriture des pauvres, quand je livrerais même mon corps pour être brûlé, si je n’ai pas l’amour, cela ne me sert à rien.
L’amour est patient, il est plein de bonté ; l’amour n’est point envieux ; l’amour ne se vante point, il ne s’enfle point d’orgueil, il ne fait rien de malhonnête, il ne cherche point son intérêt, il ne s’irrite point, il ne soupçonne point le mal, il ne se réjouit point de l’injustice, mais il se réjouit de la vérité ; il excuse tout, il croit tout, il espère tout, il supporte tout.
L’amour ne périt jamais. »
(1 Corinthiens 13,1-8)

Il est difficile d’être plus clair et plus juste. Ce texte merveilleusement inspiré de Saint Paul a nourri la foi et la réflexion d’innombrables générations de chrétiens. Il est toujours d’actualité aujourd’hui. Quelles que soient nos certitudes, nos connaissances, nos questions et nos doutes, lorsqu’il fait soleil dans notre cœur, tout va très bien.

« Il en faut peu pour être heureux » chante l’ours Baloo dans le célèbre film du « livre de la jungle ». Et s’il avait raison ? Qu’est-ce qui compte vraiment dans notre vie pour que nous puissions réaliser ce subtil équilibre qui s’appelle le bonheur ? Aujourd’hui encore, c’est une question très importante.

Mgr Thierry Teyssot


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