En parcourant la Bible, si nous lisons les Actes des Apôtres et les Epîtres nous voyons que c’est par imposition des mains que se transmirent les pouvoirs spirituels donnés par le Christ. Les Eglises des premiers siècles gardaient précieusement la liste de succession allant de leurs évêques jusqu’aux Apôtres. "Vous avez une succession ? Déroulez vos rouleaux" Tertullien - IIIème siècle.

L’Eglise Gallicane, qui a maintenu le nom de l’ancienne Eglise Catholique de France est aussi une Eglise Apostolique. En effet, elle peut faire la preuve de cette succession depuis les Apôtres en passant par l’évêque Bossuet, immortel défenseur des libertés de l’Eglise Gallicane au XVIIème siècle.

Cependant, le nom glorieux de Bossuet ne doit pas faire oublier celui des hommes qui lui ont succédé comme conducteurs d’Eglise. Etablis eux aussi dans la lignée apostolique qui passe par celle de "l’aigle de Meaux" ils se sont acquittés, chacun à leur manière, de la tâche confiée par Jésus-Christ à ses Apôtres. Nous allons à travers cette étude évoquer la vie de certains d’entre eux et tenter de comprendre, comment cette succession apostolique est devenue celle de notre Eglise Gallicane.

Mgr Dominique Varlet

L’Histoire a retenu de Mgr Varlet qu’il a permis l’organisation d’une Eglise Catholique autonome indépendante de Rome en Hollande, dans la première moitié du XVIIIème siècle. La richesse de sa personnalité et la puissance de ses œuvres dépassent pourtant largement les frontières des Pays-Bas.

La flamme apostolique existe en lui bien avant sa consécration comme évêque. Il fut d’abord un missionnaire actif et large d’esprit. Né en 1678, il est ordonné prêtre en 1706 et reçu en même temps docteur en théologie de la très gallicane Sorbonne à Paris. Affecté dans un premier temps au ministère paroissial en banlieue de Paris, c’est un homme œcuménique et créatif. Avec le pasteur de la paroisse d’Asnières il s’emploie à une réforme liturgique de la messe qui donne une grande importance à l’homélie, mais cette tentative novatrice lui attire les foudres des bénédictins du Bec-Hellouin. Qu’à cela ne tienne, le Père Varlet décide de prendre le large. Il fréquente le séminaire des Missions étrangères à Paris et part à la recherche de la brebis perdue auprès des indiens d’Amérique. Il souhaite travailler d’une façon créative et neuve au salut des âmes.

Embarqué à la Rochelle et après un passage aux Antilles le voici en Louisiane dès le 6 juin 1713, avec mandat ecclésial de restaurer la missions des indiens Tamarôas. De 1713 à 1718 il vit et évangélise en Nouvelle-France, des rives du Mississipi en remontant vers l’Illinois, longeant les grands lacs Huron et Erié, doublant les chutes du Niagara et suivant le Saint Laurent jusqu’au Québec. Il vit avec la tribu des Tamarôas, s’adaptant à leur mode de vie semi-nomade, sous le tipi, en forêt, célébrant des offices sans décorum ni artifice, renouant avec l’esprit originel des premiers chrétiens, laissant libre cours à son intelligence et à sa remarquable capacité d’innovation et d’improvisation. Les hivers sont doux au sud, redoutables au nord. Dans les quelques lettres adressées à ses proches il commente ce qu’il vit et expérimente dans ce nouveau monde. Il apprend également la langue des tribus iroquoises et algonquines dont il partage l’existence. Il s’efforce d’y exprimer la réalité des mystères sacrés du christianisme qui rayonnent à travers sa personne, dans le respect des usages locaux. Son ouverture d’esprit et sa détermination demeurent intactes.

Lors d’un séjour dans la ville de Québec en 1718 il est rappelé en France par sa hiérarchie. Son travail est apprécié en haut lieu. A son arrivée le 14 novembre à Paris ses supérieurs lui font part de sa nomination comme évêque coadjuteur de l’évêque de Babylone. Il doit voyager jusqu’en Perse pour prendre ses nouvelles fonctions d’évêque missionnaire. La dureté et le péril des conditions de voyage à l’époque n’impressionnent guère Mgr Varlet qui en a vu d’autres en Nouvelle-France. Consacré évêque à Paris le 19 février 1719 dans la chapelle des Missions étrangères il quitte la capitale et prend la direction de la Perse à partir du 18 mars. Le voyage prévoit de passer par la Russie. Sur la route de Saint Petersbourg Mgr Varlet fait une halte à Amsterdam. Il y apprend que six cent quatre personnes n’ont pu recevoir le sacrement de confirmation. Le siège épiscopal d’Utrecht est vacant suite à un conflit de l’Eglise locale avec Rome. Touché par la détresse spirituelle qui règne dans la ville, l’évêque missionnaire procède à la célébration de toutes les confirmations dans la cathédrale. Le peuple lui en est reconnaissant. Il repart pour la Russie, s’arrête à Moscou le 10 juillet, descend la Volga, traverse la mer Caspienne et arrive enfin en Perse où il s’établit à Shamaké (aujourd’hui République d’Azerbaïdjan). Le 26 mars 1720 il apprend que le Vatican l’a suspendu de ses fonctions depuis le 7 mai 1719. La hiérarchie romaine n’a ni accepté, ni pardonné le geste de bienveillance épiscopale de Mgr Varlet pour les confirmands de l’Eglise d’Utrecht.

De retour en Europe il s’établit en France où il tente vainement de faire annuler la suspense qui pèse sur lui. En gallican convaincu il fait appel au Concile général de l’Eglise. Rappelons que les principes fondateurs de l’Eglise Gallicane enseignent depuis le Moyen-âge la supériorité du concile (assemblée des évêques) sur le pape. Le Vatican se montre intraitable. Mgr Varlet trouve alors refuge en Hollande où il rédige des textes d’appel au Concile général qui le font connaître dans toute l’Europe. Pendant ce temps l’Eglise de Hollande est toujours sans évêque malgré l’élection épiscopale du chanoine Steenoven par le chapitre de la cathédrale d’Utrecht. Contrairement aux principes de l’Eglise des premiers siècles (celui qui doit commander à tous doit être élu par tous) Rome refuse d’accepter ce vote. Le Saint Siège veut imposer un candidat. C’est alors que Mgr Varlet, en homme libre et dans la seule fidélité à la voix de sa conscience consacre évêque Corneille Steenoven comme nouvel archevêque d’Utrecht.

Le bruit fait autour de ce sacre épiscopal retentit dans toute l’Europe. Le Vatican lance la sentence d’excommunication. Dans les milieux gallicans Mgr Varlet devient celui qui ose traduire en acte ce que de nombreux évêques imaginaient accomplir, sans être capables de l’assumer eux-mêmes... Il y a du caractère chez Mgr Varlet. Dans les forêts du Nouveau monde, avec les tribus indiennes et devant contrer l’adversité d’une nature souvent hostile il avait beaucoup appris, sur lui-même et sur la nature humaine. La décision fut-elle facile à prendre ?

"Ainsi se débattait sous l'angoisse cette malheureuse âme. Dix-huit cents ans avant cet homme infortuné, l'être mystérieux, en qui se résument toutes les saintetés et toutes les souffrances de l'humanité, avait aussi lui, pendant que les oliviers frémissaient au vent farouche de l'infini, longtemps écarté de la main l'effrayant calice qui lui apparaissait ruisselant d'ombre et débordant de ténèbres dans les profondeurs pleines d'étoiles." (Victor Hugo - Les Misérables - chapitre "Tempête sous un crâne")

Mgr Varlet demeure jusque dans l’éternité celui qui a osé, pour une cause juste !

Il s’éteint le 14 mai 1742 au Pays-Bas, après avoir vécu dix-huit années dans la communion de l’Eglise à laquelle il avait donné une continuité épiscopale. Il écrit dans son Apologie que cette Eglise était - à son arrivée - aussi abandonnée que la mission des indiens Tamarôas qu’il avait relevée dans le nouveau monde... Une pointe de nostalgie se retrouve dans ses lettres : "Je regrette parfois les bois de l’Amérique" (lettre à sa sœur le 31 décembre 1733). L’esprit missionnaire et œcuménique ne l’a jamais abandonné. Il a œuvré à des pourparlers d’union avec l’Eglise Orthodoxe Russe et tenté de créer une Mission chrétienne en Indochine indépendante du Vatican.

Mgr Jan-Michal Kowalski

Le nom de cet évêque polonais reste inséparable de celui de l’Eglise Catholique des Mariavites dont il a eu la charge durant plusieurs décennies. Avant de développer son histoire et celle de son Eglise rappelons qu’il fut consacré évêque le 5 octobre 1909 par l’Eglise Catholique autonome indépendante de Hollande, Eglise qui avait reçu - nous venons de le voir - la succession apostolique des mains de Mgr Varlet au XIIIème siècle.

Le catholicisme mariavite provient d’un mouvement de réforme opéré dans l’Eglise polonaise vers la fin du XIXème siècle. Il avait pour but de relever la spiritualité du clergé. L’alcoolisme faisait des ravages parmi les prêtres et les évêques outrepassaient leurs droits.

Avant de devenir une Eglise à part entière les mariavites furent d’abord un ordre de religieux et religieuses franciscaines suivant la règle du Poverelo d’Assise, dans l’Eglise Catholique Romaine.

Son fondateur est une fondatrice : Marie-Françoise Kozlowska (dite Matezca, la petite mère). Elle aurait reçu le 2 août 1893 une révélation de Notre Seigneur Jésus-Christ lui demandant de propager le culte du Saint Sacrement et l’imitation des vertus de la Vierge Marie. C’est donc une spiritualité centrée sur l’eucharistie et la dévotion mariale. D’ailleurs mariavite vient de maria-vita (littéralement la vie de Marie).

Très vite le mouvement progresse en Pologne, nation dont la piété mariale est légendaire. La population se sent mariavite et soutient cet idéal de réveil catholique. Par contre la hiérarchie catholique romaine déclenche des persécutions dès 1903. En 1906 le pape Pie X excommunie les prêtres, religieux, religieuses et quarante-quatre mille fidèles mariavites.

La rupture est donc consommée avec Rome. Mais l’Eglise Catholique autonome indépendante de Hollande vole au secours de la petite sœur mariavite. Par la consécration épiscopale du Supérieur général du mouvement - le Père Jan-Michal Kowalski - les mariavites sont régulièrement constitués en Eglise Catholique autonome et indépendante dés 1909.

L’Eglise connaît un bel essor au cours des années suivantes. Mgr Kowalski consacre plusieurs évêques, introduit le mariage des prêtres à partir de 1922-24, la communion sous les deux espèces (1922), le sacerdoce féminin (1929), le sacerdoce du peuple de Dieu (1930), la communion des petits enfants (1930), la suppression des titres ecclésiastiques (1930), la suppression des prérogatives du clergé (1930), la simplification des cérémonies et des règles de Carême (1931-33). L’évêque Kowalski était une sorte de précurseur très en avance sur son époque…

Cependant ces réformes suscitent peu à peu la controverse au sein des mariavites, en particulier l’instauration du sacerdoce féminin. Les opposants deviennent nombreux. En 1935 c’est le schisme, l’Eglise se divise, Mgr Kowalski se retire à Felicjanow avec le clergé qui lui reste fidèle. Les opposants font de Plock leur nouveau siège.

La montée du nazisme en Europe et le déclenchement de la seconde guerre mondiale porteront un coup fatal à Mgr Kowalski. Il sera interné au camp de concentration de Dachau où il mourra martyr en 1942, à l’âge de 74 ans.

Mgr Fatome

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Le 4 septembre 1938 Mgr Kowalski consacrait évêque régionnaire de France de l’Eglise Catholique des Mariavites le Père Paul Marie Marc Fatome sous le nom de Père Marc.

Avant de devenir évêque catholique mariavite Mgr Fatome fut d’abord ordonné prêtre vers la fin de l’année 1905 par l’Eglise Catholique autonome et indépendante de Suisse. Cette Eglise, organisée comme beaucoup d’autres en réaction au dogme de l’infaillibilité papale de 1870 possédait un évêque consacré dans la succession apostolique de Mgr Varlet via l’Eglise de Hollande.

Né le 31 décembre 1873 à Cherbourg-Equeurdreville (Manche), Paul Marie Marc Fatome passe d’abord par le séminaire catholique-romain de Coutances où il reçoit les Ordres mineurs. Il continue ensuite ses études à la faculté vieille-catholique de Berne (Suisse). En 1907, lorsque Mgr Vilatte vient au secours du mouvement des cultuelles et tente de fédérer le courant gallican il se place sous sa juridiction et participe en avril 1907 à l’apostolat en Corrèze (Saint Cyr la Roche). Il a trente-cinq fidèles. Il remplace l’Abbé Bellet, ancien curé catholique-romain de l’Isère, parti ensuite en Angleterre. Le Père Fatome s’occupe également d’une autre paroisse à Beyssac.

L’échec du mouvement des cultuelles le conduit en Suisse où il est demandé par trente chefs de famille pour diriger la paroisse vieille-catholique d’Antavaux-Forel, près du lac de Neuchâtel. Il repart en France et réussit à organiser à partir de 1911 une paroisse à Nantes au 1 rue de la Hunaudais. Vient la grande guerre de 1914-18 où l’abbé Fatome, mobilisé comme brancardier gagne par son courage en faveur des blessés la croix de guerre.

Après l’armistice il reprend le ministère dans sa paroisse : huit mariages et quatre baptêmes sont célébrés en 1919. Au cours d’un voyage effectué en Pologne en 1922 il entre en contact avec l’Eglise Catholique des Mariavites. Le 15 avril 1935 il lance un bulletin tiré à quatre cents exemplaires : Le Catholique Français. Sa paroisse fonctionne bien. Il suscite des vocations et annonce l’envoi de trois étudiants au séminaire vieux-catholique d’Amersfoort en Hollande. En décembre de la même année il fête ses trente ans de sacerdoce au cours d’une cérémonie solennelle. L’abbé n’a rien perdu de son énergique vigueur. Déjà en 1928, E. Gascoin dans son livre "Les Religions Inconnues" le présente comme un gallican convaincu, vieux mais plein de fougue. La croix de guerre qu’il a gagnée au cours de la guerre de 1914-1918 en est un signe et il lui a fallu persévérance et ténacité pour développer sa paroisse nantaise depuis 1911.

Ses contacts (initiés en 1922) et son admiration pour l’idéal spirituel (eucharistie et dévotion mariale) de l’Eglise Catholique des Mariavites expliquent qu’il ait été chargé par Mgr Kowalski de développer, en terre gallicane, cette Eglise. En 1938 Paul Marie Marc Fatome en devient responsable pour la France par la consécration épiscopale reçue des mains du vieil évêque polonais (4 septembre 1938). Devenu évêque il organise les vocations. Plus besoin d’envoyer en Hollande les séminaristes qui se confient à lui (il avait rompu avec Utrecht dès 1936).

Il ne semble pas que Mgr Fatome ait adhéré à toutes les particularités des réformes mariavites opérées sous l’épiscopat de Mgr Kowalski. Ainsi pendant l’occupation allemande (seconde guerre mondiale) il héberge une religieuse polonaise mariavite. Celle-ci souhaite célébrer la messe selon l’usage de son Eglise, mais son hôte s’y oppose.

Le clergé formé et ordonné par Mgr Fatome ne paraît pas non plus avoir adhéré à toutes les spécificités du mariavitisme. La spiritualité centrée sur l’eucharistie et la dévotion mariale faisait l’unanimité. Pour le reste on gardait une certaine distance. Ceci explique le fait que le successeur nantais de Mgr Fatome, Gaston Perrier (consacré évêque le 5 avril 1949) ait rompu avec l’Eglise Mariavite après la mort de son père spirituel (28 août 1951). Mgr Perrier déclara aussitôt une association cultuelle sous le nom d’Eglise Catholique et Apostolique de France. Il est évident qu’en tant que français son catholicisme penchait naturellement du côté gallican…

Du reste, nous avons en notre possession une lettre manuscrite de l’Abbé Jean Douteau, vicaire général de Mgr Perrier à partir de 1951. Sur cette lettre qui date de 1945 l’Abbé Douteau signe : prêtre de l’Eglise Gallicane. Avait-il reçu la prêtrise des mains de Mgr Fatome ? Cela semble probable. Son nom ne figure pas sur les listes du clergé de l’Eglise Gallicane de Gazinet dirigée par Mgr Giraud à la même époque. Par contre, le nom du chanoine Fournié (prêtre ordonné par Mgr Giraud) figure sur le document et indique de possibles relations d’amitiés entre les deux Eglises.

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Mais s’il y eut des prêtres prenant leur distance avec le mariavitisme, d’autres comme les Abbés Lagrue et André avaient adopté toutes les spécificités de cette Eglise. Ils ne suivirent pas Mgr Perrier à Nantes. Signalons encore que le futur Mgr Tugdual, à l’origine du réveil d’une Eglise Celtique de Bretagne dans les années soixante fut séminariste de Mgr Fatome et ordonné prêtre par lui en 1950.

Même s’il ne partageait pas toutes les réformes du mariavitisme Mgr Fatome avait le sens de l’Eglise. La consécration épiscopale reçue jadis des mains de Mgr Kowalski l’obligeait à prêter secours au siège de Felicjanow en cas de besoin. Hors au lendemain de la seconde guerre mondiale, le clergé resté fidèle aux réformes du vieil évêque polonais avait difficilement survécu. Il fallait presque repartir de zéro. Le 9 octobre 1949 Mgr Fatome consacra évêque régionnaire d’Allemagne de l’Eglise Catholique des Mariavites Helmut Norbert Paulus Maas. D’après l’ouvrage de Jan Steperov "La Succession Apostolique dans les Eglises Catholiques" (1992) Mgr Maas fut également vicaire apostolique de cette Eglise pour l’Europe centrale et consacra en 1956 le nouveau Supérieur Général de Felicjanow, Josef Rafael Wojciechowski comme archevêque-primat des mariavites.

Le Lien avec l’Eglise Gallicane

Après la disparition de Mgr Fatome (28 août 1951) il n’y avait plus d’évêque catholique mariavite en France. Jean-Andreas Prévost fut consacré évêque par Mgr Maas le 9 août 1953 comme nouvel évêque régionnaire de France et vicaire apostolique d’Europe occidentale.

A partir de là commence mon témoignage personnel. J’ai correspondu avec Mgr Prévost sur une période d’un an (1989-1990) alors qu’il préparait sous le pseudonyme de Jan Steperov son ouvrage sur "La Succession Apostolique dans les Eglises Catholiques" (édité en 1992). Le Frère évêque Prévost (c’est ainsi qu’il se désignait par fidélité aux réformes opérées sous l’épiscopat de Mgr Kowalski - dont la suppression des titres ecclésiastiques - année 1930) m’avait écrit que l’Eglise dont il avait eu la charge en France avait connu un "succès temporaire", qu’il "s’en était retiré en 1968 pour raisons professionnelles" (travail en Algérie de 1968 à 1984). Il était revenu en France pour prendre sa retraite. Il a été rappelé à Dieu il y a quelques années.

Avant d’être consacré en 1953 évêque catholique des mariavites pour la France le Frère Prévost fonda en 1951 le journal "La Vie Nouvelle" (revue trimestrielle d’informations mariavites chrétiennes). Il a travaillé avec le Frère Michel Lagrue, l’un des prêtres de Mgr Fatome resté fidèle au mariavitisme en France.

Le 5 mai 1956 Mgr Prévost (assisté de Mgr Maas) consacra évêque en la cathédrale américaine du Quai d’Orsay à Paris Joseph Robert Bonnet, et ce à la demande de l’archevêque de l’Eglise Vieille Catholique d’Amérique Mgr William Henry Francis Brothers (en même temps représentant officiel de l’Eglise Catholique des Mariavites aux U.S.A. depuis 1920). Mgr Bonnet fut consacré comme représentant en France de l’Eglise Vieille-Catholique d’Amérique et évêque régionnaire du Maroc de l’Eglise Catholique des Mariavites, où il créa une mission pour les Musulmans, secondé par la soeur Cécile Duvillard. Comme nous avions pu déjà le pressentir sous l’épiscopat de Mgr Fatome, le mariavitisme français restait ouvert en direction d’autres courants : gallicans ou vieux-catholiques.

Quatorze années plus tard Mgr Bonnet transmettait la consécration épiscopale à Mgr Patrick Truchemotte, évêque-élu de l’Eglise Gallicane, assurant ainsi la continuité de la succession apostolique au sein de notre Eglise (12 septembre 1970). Mgr Truchemotte, qui avait rassemblé pour son élection épiscopale les signatures de 600 fidèles d’Aquitaine aurait du être consacré par le patriarche gallican Mgr Irénée. Le brusque rappel à Dieu de ce dernier (juin 1970) l’obligea à se tourner vers Mgr Bonnet pour l’accomplissement du rite. Dans une lettre du 5 septembre 1970 celui-ci lui écrivit :

- "Ma femme ayant reçu votre coup de téléphone de Bordeaux, concernant votre sacre épiscopal à Paris. Sachant que vous êtes très sérieux dans votre ministère, j’accepte de me mettre à votre disposition. Je sais également que vous ne désirez point avoir la charge d’évêque pour porter du violet, être mitré et crossé, mais que votre seul désir est le service de Dieu dans l’Eglise de Dieu. On fait souvent trop d’évêques sans discernement, c’est pourquoi je reste très souvent à l’écart. Je suis avant tout un missionnaire, qui malgré mon âge travaille chaque jour pour le Seigneur. Il y a plus de quarante années que je travaille de la même façon, et avec la même conviction - sauver des âmes - et avec de vrais résultats."

La lettre de Mgr Bonnet est un précieux document. Le papier à entête conservé dans les archives de notre Eglise indique Eglise Vieille Catholique d’Amérique - archevêque Mgr William H. Francis, Woodstock N. Y. (U.S.A.) - Missions de France et d’Afrique - Mgr Robert J. Bonnet, évêque. Suivent deux adresses : l’une pour le Maroc à Rabat au nom de Mgr Bonnet, l’autre pour la France à Paris au nom de son épouse, Cécile Duvillard (qui avait reçu le diaconat des mains de Mgr Prévost - celui-ci nous l’avait indiqué dans une lettre datée du 15 avril 1989).

Consécration épiscopale de Mgr Truchemotte par Mgr Bonnet
12 septembre 1970
Eglise du Bon Secours de Paris
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En Conclusion

Depuis le Christ imposant ses mains vénérables aux apôtres, jusqu’aux évêques d’aujourd’hui existe une chaîne de transmission ininterrompue : la succession apostolique.

Pour que cette succession soit, il faut et il suffit, au moins pour la plupart des théologiens :

1) Que l’évêque accomplisse la tâche des Apôtres, car on ne peut réduire la transmission du caractère épiscopal au seul acte mécanique d’imposition des mains.

2) Qu’il y ait une succession ininterrompue entre lui et les Apôtres, succession marquée par l’imposition des mains de l’évêque précédent, en remontant jusqu’aux Apôtres et au Christ. "Vous avez une succession ? Déroulez vos rouleaux" Tertullien - IIIème siècle.

Certaines Eglises chrétiennes (courants protestants en particulier) n’accordent pas d’importance à la succession apostolique. La validité des ministres du culte dépend pour elles de la reconnaissance du pasteur par l’assemblée. Le signe de l’imposition des mains existe au cours de la cérémonie, mais la présence de toute l’assemblée (ecclésia, église) fait (valide) le pasteur. Ce point de vue est aussi respectable. N’oublions pas que Dieu est toujours (si je puis m’exprimer ainsi) "l’opérateur invisible", "l’Esprit souffle où il veut" enseigne l’Evangile (Jean 3,8), la Foi de l’Eglise supplée…

Inversement il existe des courants ésotériques et occultistes qui, en dehors de toute Eglise, affirment transmettre "validement" la succession apostolique. Cela nous semble une déviation grave de l’esprit du sacrement. Dieu seul est juge, mais n’oublions pas que l’évêque est établi comme successeur des apôtres pour gouverner l’Eglise, évangéliser, baptiser, présider l’eucharistie, etc. S’il n’y croit pas, s’il ne sait pas en quoi consiste sa mission cela n’a pas de sens…

Parmi d’autres déviations de l’esprit du sacrement il a été relevé que certains évêques se font reconsacrer plusieurs fois, comme certains prêtres se font réordonner plus d’une fois. Je me souviens de Mgr Truchemotte me déclarant : "Toute reconsécration ou réordination est une insulte à l’Esprit-Saint". Dans des cas très particuliers (doute sur la validité d’un sacrement) l’Eglise admet que celui-ci puisse être réitéré, "sous-condition" (c’est le terme employé en théologie). Cela ne devrait être qu’exceptionnel. Le concile œcuménique de Nicée (325) accepta et réintégra dans sa propre hiérarchie le clergé mélécien et novatien. Les Pères du Concile ne voulurent pas réitérer le sacrement de l’Ordre… Ils craignirent le jugement de Dieu !

Dans un courrier du 31 janvier 1990 Mgr Prévost m’avait communiqué l’extrait d’un texte qu’il avait signé en 1963 et publié dans la revue mariavite "La Vie Nouvelle" :

- "Précisons également que la réception d’une consécration "sub conditione" (sous-condition) n’est pas reconnue par nous pour se prétendre de la "ligne mariavite". Les seuls évêques actuels non-mariavites pouvant prétendre à la "succession Bossuet" par Kowalski sont : NNSS Gaston Perrier, Julien Erni, Mauro Fusi, Alfio Sgroi et Robert Bonnet et ceux consacrés par ceux-ci, mais non "sub conditione", seulement "prima impositione" (première imposition des mains)."

Ces précisions peuvent être utiles.

En terminant cette étude je me remémore la journée du 7 juin 1987, jour de Pentecôte à Clérac. Le clergé et les fidèles d’Aquitaine m’avaient élu évêque en remplacement de Mgr Patrick Truchemotte, rappelé à Dieu le 12 décembre 1986. Mgr Agostinho Pereira, évêque de notre Eglise Gallicane au Portugal et consacré le 7 juillet 1985 à Porto par notre patriarche Mgr Patrick m’imposait les mains pour me transmettre la charge épiscopale. Cet instant reste à jamais gravé dans mon esprit et dans mon coeur. En aucun cas plus tard, je n’ai douté de ce qui m’avait été transmis ce jour dans l’Esprit-Saint.


Précisions

1) Concernant Mgr Varlet je me suis servi du livre suivant : "Dominique-Marie Varlet, Lettres du Canada et de la Louisiane (1713-1724)", édité en 1985 par les Presses de l’Université du Québec. Cet ouvrage de 112 pages largement documenté expose toute l’histoire de Mgr Varlet.


2) Jusqu’en octobre 2005 je croyais qu’il était impossible de remonter le fil de notre succession apostolique au-delà de l’année 1655, date de la consécration épiscopale d’Antonio Barberini. De nouvelles recherches montrent que cette lignée apostolique est aujourd’hui répertoriée jusqu’à l’année 1541, date de la consécration de l’évêque Scipione Rebiba.

A consulter sur les sites internet suivants : http://www.catholic-hierarchy.org et http://mysite.verizon.net/res7gdmc/aposccs/index.html (site de l’historien Charles Bransom).

Selon Charles Bransom, spécialisé depuis plus de quarante ans dans la recherche des lignées épiscopales existant dans le monde, 90% des 4700 évêques catholiques-romains aujourd’hui en activité font remonter leur épiscopat jusqu’à Scipione Rebiba !

Il en est ainsi de l’actuel Pape Benoît XVI et de son prédécesseur Jean-Paul II.

L’intense activité sacramentelle du Pape Benoît XIII - l’un des successeurs de Mgr Rebiba, qui a consacré 139 évêques - explique ce pourcentage étonnant.

Aucun acte d’enregistrement de la consécration épiscopale de Scipione Rebiba n’a été découvert jusqu’à présent. Charles Bransom indique sur son site internet : "Il est d’usage de croire que Rebiba a été consacré par Gian Petro Cardinal Carafa qui devint pape sous le nom de Paul IV".

Mais aucun document n’a été trouvé pour vérifier cette hypothèse; ce qui ne veut pas dire qu’il n’existe pas ou n’a pas existé. Les archives du Vatican sont pour l’instant dans l’incapacité d’affirmer ou d’infirmer cette hypothèse.

On peut trouver surprenant que le Vatican ne puisse prouver la validité de sa succession apostolique au-delà du seizième siècle. Un coup d’oeil rapide sur les sites internet d’autres Eglises (orthodoxes, syriennes, etc) ne permet pas d’être plus avancé. Les seules successions qui sont indiquées sont des successions patriarcales, comme pour l’Eglise Catholique Romaine avec la liste de ses papes.

Cette constatation remet-elle en cause la validité de la théorie classique de la succession apostolique ? "Pour qu’un évêque soit validement consacré, il faut qu’il reçoive l’imposition des mains d’un autre évêque dont la succession remonte sans interruption jusqu’à un Apôtre institué par Jésus-Christ." La question peut-être posée. Cela ne signifie pas que cette succession n’existe pas ou plus, cela indique seulement qu’elle ne peut être prouvée matériellement.

C’est peut-être très bien comme cela. Certaines Eglises chrétiennes se passent de succession apostolique et annoncent la Bonne Nouvelle de l’Evangile de façon remarquable. Elles méritent, autant que d’autres, notre respect. Le christianisme est d’abord un courant de foi et d’amour vivant. Il ne faut jamais l’oublier.


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