Dans un communiqué mis en ligne le 3 février nous avions dénoncé la volonté affichée par le Vatican d’ouvrir la porte à un évêque ouvertement négationniste et révisionniste en levant son excommunication.

Dans l’actualité religieuse des semaines suivantes il y eut l’excommunication par l’archevêque catholique de Recife de l’équipe médicale et de la mère d’une fillette brésilienne de neuf ans. Rappelons que cette enfant avait été violée par son beau-père et portait des jumeaux après ce viol. L’équipe médicale a pratiqué un avortement, sauvant ainsi la vie de l’enfant. A neuf ans, le corps humain ne peut supporter cette grossesse. Le beau-père violeur, lui, n’a pas été excommunié... L’archevêque s’est justifié en disant que le viol était un péché moins grave que l’avortement...

Plus tard vinrent les déclarations du pape Benoît XVI condamnant l’usage du préservatif en Afrique alors que l’épidémie du Sida décime le continent africain et ajoutant que l’usage de ce même préservatif "aggrave le problème".

Le tapage médiatique et le scandale déclenché par toutes ces affaires ont amené de nombreux chrétiens à se poser des questions. Dans nos paroisses gallicanes les fidèles et le clergé ont exprimé leur avis. Il peut être intéressant de connaître le point de vue gallican sur toutes ces questions.

Bannissement des Excommunications

En préambule à ces réflexions rappelons que l’usage des excommunications a été supprimé dans l’Eglise Gallicane, et ce depuis la Profession de Foi de Gazinet dont une première ébauche a été publiée vers 1930, puis en 1946 : "Nous bannissons de l’Eglise Gallicane les excommunications qui représentent à nos yeux des usurpations du Clergé."

Cette méthode, encore en usage dans certaines Eglises, nous semble à des années lumières de l’esprit de l’Evangile. Jésus n’est pas venu juger et exclure, mais sauver. Il est important de le préciser avant d’aller plus loin.

Importance de la Compassion

Le chrétien se réfère toujours à l’Evangile et à sa conscience. Le message du Christ est à l’origine du christianisme et de ses valeurs. Hors l’enseignement en parabole du Dieu Sauveur et le témoignage de sa vie révèlent en premier la compassion. Le christianisme est fondamentalement un courant d’amour vivant : tendresse, miséricorde, bonté, tolérance, indulgence, confiance sont autant de qualificatifs s’appliquant parfaitement à la vie de Jésus.

Certes il y eut des moments où la colère du Christ s’est révélée, mais ce fut toujours pour lutter contre l’injustice et l’hypocrisie, notamment celle de ceux qui "lient de pesants fardeaux sur les épaules des autres, mais ne les remuent pas, eux-mêmes, du petit doigt", pour reprendre la célèbre expression de Jésus.

Ainsi dans l’affaire de la fillette brésilienne violée par son beau-père nous pensons que la réaction de l’archevêque catholique était vraiment disproportionnée et d’une grande dureté. C’était ajouter une souffrance à une autre, charger de culpabilité ceux qui avaient fait preuve de bon sens (la maman et l’équipe médicale). Hors le premier devoir de l’Eglise est la compassion. Qu’est-ce qu’une Eglise qui juge et excommunie avant de chercher à comprendre, à accueillir et à accompagner la souffrance des êtres humains ? L’équipe médicale et la maman ont fait preuve d’un grand courage. Ils ont pris leurs responsabilités, écouté leur conscience et sauvé la fillette. La décision ne devait pas être facile à prendre.

L’Eglise Gallicane et l’Avortement

En matière d’avortement notre Eglise a pris position depuis longtemps sur le sujet. Nous ne souhaitons pas apparaître comme des "partisans inconditionnels de l’avortement" car c’est un sujet grave, et la multiplicité des moyens contraceptifs (pilule, préservatif, etc) devrait empêcher de nombreuses grossesses non désirées... La loi Veil de 1975 autorisant en France l’avortement nous semble une réponse nécessaire du législateur pour éviter les avortements clandestins pratiqués jusque là avec leur cortège de mort et de mutilation.

Voici un extrait du texte que nous avions publié en 1988 :

- "Par principe et au nom du respect de la vie une Eglise ne peut encourager l’interruption volontaire de grossesse. Un chrétien ne peut banaliser ce problème et absoudre à l’avance les consciences. L’avortement ne saurait être une solution de facilité, car le foetus ne peut être considéré comme un objet encombrant dont il est facile de se débarrasser.

Ceci étant dit, certaines situations doivent nous faire réfléchir :
- Femme enceinte après un viol.
- Certitude de mettre au monde un enfant anormal.
- Adolescente immature et irresponsable se trouvant enceinte.
- Situation sociale et professionnelle dramatique, etc.

Bien évidemment chaque cas est particulier, et l’avortement ne peut être la solution systématique...

Il appartient à la conscience de chacun, aidée des conseils du médecin, du prêtre, de l’assistante sociale, de la famille de trouver les solutions permettant d’envisager raisonnablement la venue au monde de l’enfant.

C’est là en fait le coeur du problème...

Comment accepter la naissance d’un enfant non désiré ?

Comment sensibiliser une famille réticente à épauler la future maman ?

Comment régler le problème d’une situation matérielle archi précaire ?

Autant de questions qui doivent forcer les Eglises à tenir compte de toutes ces réalités avant de jeter l’anathème avec force et véhémence."

Souffrance de la Femme

Il est facile de jeter la pierre, mais les conseilleurs ne sont pas toujours les payeurs... Il faut en être conscient. La femme souffre depuis la nuit des temps de bien des maux qui viennent de l’homme. C’est elle qui porte la vie et supporte le jugement des hommes, si souvent durs envers elle.

Ouvrons l’Evangile. Lorsque on présente à Jésus la femme adultère en lui demandant s’il faut appliquer la peine inhumaine prévue par la loi de Moïse (la mort par lapidation) celui-ci lui sauve la vie. "Que celui qui n’a jamais péché lui jette la première pierre" déclare-t-il. Ils s’en allèrent tous à commencer par les plus âgés, Jésus demeura seul avec elle et lui fit comprendre qu’il ne la condamnait pas.

L’attitude de Jésus ne consiste pas pour autant en une approbation inconditionnelle de l’adultère. La dernière parole qu’il adresse à la femme est : "va, et désormais ne pèche plus". Mais le Sauveur connaît la fragilité de la nature et de la condition humaine.

Il est certain que pour des couples profondément unis dans l’amour, la question de l’adultère ne se pose pas. "Ils ne sont plus deux mais une seule chair" déclare le Christ en désignant cet accomplissement. Certains couples vivent cet idéal dans une harmonie et une complémentarité qui sont de magnifiques témoignages. Par contre, pour d’autres, ce n’est pas aussi merveilleux. Pour éviter la violence, pour trouver un peu de tendresse, on va voir ailleurs...

Là où le Sauveur ne condamne pas faut-il que l’Eglise condamne ? Non, ce serait contraire à l’esprit de l’Evangile qui nous demande ne pas juger et de ne pas condamner. L’Eglise montre un idéal. A l’être humain ensuite de trouver la force de le vivre et de s’en approcher.

L’Eglise et la Morale

Dans l’Eglise Gallicane nous faisons nôtre la célèbre formule du grand Pascal : "La vraie morale se passe de morale". Nous croyons que la morale est davantage le problème de la société que de l’Eglise. La vocation de l’Eglise se situe sur un autre plan. Témoigner de l’amour et de l’idéal, alimenter par la lumière de l’Evangile la conscience de l’être humain pour qu’il puisse prendre ses responsabilités.

Concrètement, il nous semble que l’Eglise n’a pas vocation à mettre son nez dans le lit des hommes et des femmes, pas plus qu’elle n’a à prendre position pour ou contre le préservatif. C’est une question de société. Il existe une épidémie, le sida, ce virus est à l’origine de millions de morts, la société doit s’en protéger. Les médecins et les responsables de la santé publique sont à leur place lorsqu’ils interviennent sur le sujet, la mission de l’Eglise est ailleurs : témoigner de l’Evangile, dans la foi, l’espérance et l’amour.

Rappelons la devise de notre Eglise Gallicane : être le plus proche possible d’une ligne d’équilibre et de bon sens. Lorsque un être humain peut trouver cet équilibre dans sa vie il devient le plus heureux des hommes. L’Eglise du XXIème siècle devrait aider les hommes à trouver cet équilibre dans un monde en perpétuel bouleversement. Dans cet esprit, nos chapelles gallicanes ont pour mission d’être des pôles de rayonnement spirituel. Elles ont vocation à être des foyers bienfaisants et chaleureux où il fait bon vivre et où l’on peut découvrir la richesse du message du Christ. Et nos prêtres doivent être des hommes solides dans la vie, pour supporter le poids des souffrances et des doutes de ceux qui viennent à eux pour trouver un peu de lumière, avec des raisons de croire et d’espérer.

L’Eglise et la Liberté

Disons également quelques mots au sujet de la liberté religieuse, notamment à propos de la levée de l’excommunication de l’évêque négationniste et révisionniste et de ses trois collègues, par le Vatican. La Foi n’est pas un repli sur soi et la montée des intégrismes de tous bords doit nous inciter à être vigilants. L’Histoire nous apprend que rien n’est jamais définitivement acquis, même la liberté... Le Vatican règle ses affaires à sa manière, c’est son choix. Constatons simplement qu’avec l’affaire des intégristes réintégrés Rome revient très, très en arrière. Il n’y a pas que la question anecdotique de la messe en latin dans cette affaire, c’est juste la partie émergée de l’iceberg. Derrière il y a le refus de la liberté de conscience affichée par l’encyclique Syllabus du Pape Pie IX et revendiquée par les intégristes, le pape qui a fait produire le dogme de l’infaillibilité : là cela devient carrément grave. Les intégristes portent également dans leur panthéon le pape Pie X. Souvenons-nous que ce dernier avait condamné le mouvement des cultuelles et la loi de laïcité de 1905 dans l’encyclique Gravissimo.

Si la laïcité était remise en cause dans notre pays et si un tel courant religieux était lié au pouvoir politique cela deviendrait critique pour la liberté en général. C’est cette nébuleuse intégriste qui a fait interdire l’Eglise Gallicane sous le gouvernement de Vichy pendant la seconde guerre mondiale et fait assassiner Mgr Chevillon à Lyon. La laïcité est une garantie de paix civile dans notre pays où toutes les religions peuvent cohabiter ensemble, à partir du moment où elles respectent les lois de la République. Et pourquoi y ajouter ce nouveau qualificatif de "positive", comme entendu lors du voyage du pontife romain à Paris ? Cela sous entendrait qu’il existe une laïcité négative, laquelle ? Celle qui permet à notre Eglise d’exister aujourd’hui ? Soyons vigilants et le cas échéant prêts à défendre notre liberté de penser et de croire, nos particularismes, nos convictions. La liberté de penser est celle des enfants de Dieu.

Dans la messe gallicane de Gazinet il y a cette phrase après la consécration : "Le Christ nous a délivré de l’esclavage de la loi pour nous faire héritiers de la promesse dans la sainte liberté des enfants de Dieu". Pour nous, un chrétien doit agir en homme libre et écouter sa conscience. Et même s’il se trompait quelque part, du moment qu’il a la charité en lui ce ne serait pas grave.


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