Dans lactualité religieuse des semaines suivantes il y eut lexcommunication par larchevêque catholique de Recife de léquipe médicale et de la mère dune fillette brésilienne de neuf ans. Rappelons que cette enfant avait été violée par son beau-père et portait des jumeaux après ce viol. Léquipe médicale a pratiqué un avortement, sauvant ainsi la vie de lenfant. A neuf ans, le corps humain ne peut supporter cette grossesse. Le beau-père violeur, lui, na pas été excommunié... Larchevêque sest justifié en disant que le viol était un péché moins grave que lavortement...
Plus tard vinrent les déclarations du pape Benoît XVI condamnant lusage du préservatif en Afrique alors que lépidémie du Sida décime le continent africain et ajoutant que lusage de ce même préservatif "aggrave le problème".
Le tapage médiatique et le scandale déclenché par toutes ces affaires ont amené de nombreux chrétiens à se poser des questions. Dans nos paroisses gallicanes les fidèles et le clergé ont exprimé leur avis. Il peut être intéressant de connaître le point de vue gallican sur toutes ces questions.
En préambule à ces réflexions rappelons que lusage des excommunications a été supprimé dans lEglise Gallicane, et ce depuis la Profession de Foi de Gazinet dont une première ébauche a été publiée vers 1930, puis en 1946 : "Nous bannissons de lEglise Gallicane les excommunications qui représentent à nos yeux des usurpations du Clergé."
Cette méthode, encore en usage dans certaines Eglises, nous semble à des années lumières de lesprit de lEvangile. Jésus nest pas venu juger et exclure, mais sauver. Il est important de le préciser avant daller plus loin.
Le chrétien se réfère toujours à lEvangile et à sa conscience. Le message du Christ est à lorigine du christianisme et de ses valeurs. Hors lenseignement en parabole du Dieu Sauveur et le témoignage de sa vie révèlent en premier la compassion. Le christianisme est fondamentalement un courant damour vivant : tendresse, miséricorde, bonté, tolérance, indulgence, confiance sont autant de qualificatifs sappliquant parfaitement à la vie de Jésus.
Certes il y eut des moments où la colère du Christ sest révélée, mais ce fut toujours pour lutter contre linjustice et lhypocrisie, notamment celle de ceux qui "lient de pesants fardeaux sur les épaules des autres, mais ne les remuent pas, eux-mêmes, du petit doigt", pour reprendre la célèbre expression de Jésus.
Ainsi dans laffaire de la fillette brésilienne violée par son beau-père nous pensons que la réaction de larchevêque catholique était vraiment disproportionnée et dune grande dureté. Cétait ajouter une souffrance à une autre, charger de culpabilité ceux qui avaient fait preuve de bon sens (la maman et léquipe médicale). Hors le premier devoir de lEglise est la compassion. Quest-ce quune Eglise qui juge et excommunie avant de chercher à comprendre, à accueillir et à accompagner la souffrance des êtres humains ? Léquipe médicale et la maman ont fait preuve dun grand courage. Ils ont pris leurs responsabilités, écouté leur conscience et sauvé la fillette. La décision ne devait pas être facile à prendre.
En matière davortement notre Eglise a pris position depuis longtemps sur le sujet. Nous ne souhaitons pas apparaître comme des "partisans inconditionnels de lavortement" car cest un sujet grave, et la multiplicité des moyens contraceptifs (pilule, préservatif, etc) devrait empêcher de nombreuses grossesses non désirées... La loi Veil de 1975 autorisant en France lavortement nous semble une réponse nécessaire du législateur pour éviter les avortements clandestins pratiqués jusque là avec leur cortège de mort et de mutilation.
Voici un extrait du texte que nous avions publié en 1988 :
- "Par principe et au nom du respect de la vie une Eglise ne peut encourager linterruption volontaire de grossesse. Un chrétien ne peut banaliser ce problème et absoudre à lavance les consciences. Lavortement ne saurait être une solution de facilité, car le foetus ne peut être considéré comme un objet encombrant dont il est facile de se débarrasser.
Ceci étant dit, certaines situations doivent nous faire réfléchir
:
- Femme enceinte après un viol.
- Certitude de mettre au monde
un enfant anormal.
- Adolescente immature et irresponsable se trouvant
enceinte.
- Situation sociale et professionnelle dramatique, etc.
Bien évidemment chaque cas est particulier, et lavortement ne peut être la solution systématique...
Il appartient à la conscience de chacun, aidée des conseils du médecin, du prêtre, de lassistante sociale, de la famille de trouver les solutions permettant denvisager raisonnablement la venue au monde de lenfant.
Cest là en fait le coeur du problème...
Comment accepter la naissance dun enfant non désiré ?
Comment sensibiliser une famille réticente à épauler la future maman ?
Comment régler le problème dune situation matérielle archi précaire ?
Autant de questions qui doivent forcer les Eglises à tenir compte de toutes ces réalités avant de jeter lanathème avec force et véhémence."
Il est facile de jeter la pierre, mais les conseilleurs ne sont pas toujours les payeurs... Il faut en être conscient. La femme souffre depuis la nuit des temps de bien des maux qui viennent de lhomme. Cest elle qui porte la vie et supporte le jugement des hommes, si souvent durs envers elle.
Ouvrons lEvangile. Lorsque on présente à Jésus la femme adultère en lui demandant sil faut appliquer la peine inhumaine prévue par la loi de Moïse (la mort par lapidation) celui-ci lui sauve la vie. "Que celui qui na jamais péché lui jette la première pierre" déclare-t-il. Ils sen allèrent tous à commencer par les plus âgés, Jésus demeura seul avec elle et lui fit comprendre quil ne la condamnait pas.
Lattitude de Jésus ne consiste pas pour autant en une approbation inconditionnelle de ladultère. La dernière parole quil adresse à la femme est : "va, et désormais ne pèche plus". Mais le Sauveur connaît la fragilité de la nature et de la condition humaine.
Il est certain que pour des couples profondément unis dans lamour, la question de ladultère ne se pose pas. "Ils ne sont plus deux mais une seule chair" déclare le Christ en désignant cet accomplissement. Certains couples vivent cet idéal dans une harmonie et une complémentarité qui sont de magnifiques témoignages. Par contre, pour dautres, ce nest pas aussi merveilleux. Pour éviter la violence, pour trouver un peu de tendresse, on va voir ailleurs...
Là où le Sauveur ne condamne pas faut-il que lEglise condamne ? Non, ce serait contraire à lesprit de lEvangile qui nous demande ne pas juger et de ne pas condamner. LEglise montre un idéal. A lêtre humain ensuite de trouver la force de le vivre et de sen approcher.
Dans lEglise Gallicane nous faisons nôtre la célèbre formule du grand Pascal : "La vraie morale se passe de morale". Nous croyons que la morale est davantage le problème de la société que de lEglise. La vocation de lEglise se situe sur un autre plan. Témoigner de lamour et de lidéal, alimenter par la lumière de lEvangile la conscience de lêtre humain pour quil puisse prendre ses responsabilités.
Concrètement, il nous semble que lEglise na pas vocation à mettre son nez dans le lit des hommes et des femmes, pas plus quelle na à prendre position pour ou contre le préservatif. Cest une question de société. Il existe une épidémie, le sida, ce virus est à lorigine de millions de morts, la société doit sen protéger. Les médecins et les responsables de la santé publique sont à leur place lorsquils interviennent sur le sujet, la mission de lEglise est ailleurs : témoigner de lEvangile, dans la foi, lespérance et lamour.
Rappelons la devise de notre Eglise Gallicane : être le plus proche possible dune ligne déquilibre et de bon sens. Lorsque un être humain peut trouver cet équilibre dans sa vie il devient le plus heureux des hommes. LEglise du XXIème siècle devrait aider les hommes à trouver cet équilibre dans un monde en perpétuel bouleversement. Dans cet esprit, nos chapelles gallicanes ont pour mission dêtre des pôles de rayonnement spirituel. Elles ont vocation à être des foyers bienfaisants et chaleureux où il fait bon vivre et où lon peut découvrir la richesse du message du Christ. Et nos prêtres doivent être des hommes solides dans la vie, pour supporter le poids des souffrances et des doutes de ceux qui viennent à eux pour trouver un peu de lumière, avec des raisons de croire et despérer.
Disons également quelques mots au sujet de la liberté religieuse, notamment à propos de la levée de lexcommunication de lévêque négationniste et révisionniste et de ses trois collègues, par le Vatican. La Foi nest pas un repli sur soi et la montée des intégrismes de tous bords doit nous inciter à être vigilants. LHistoire nous apprend que rien nest jamais définitivement acquis, même la liberté... Le Vatican règle ses affaires à sa manière, cest son choix. Constatons simplement quavec laffaire des intégristes réintégrés Rome revient très, très en arrière. Il ny a pas que la question anecdotique de la messe en latin dans cette affaire, cest juste la partie émergée de liceberg. Derrière il y a le refus de la liberté de conscience affichée par lencyclique Syllabus du Pape Pie IX et revendiquée par les intégristes, le pape qui a fait produire le dogme de linfaillibilité : là cela devient carrément grave. Les intégristes portent également dans leur panthéon le pape Pie X. Souvenons-nous que ce dernier avait condamné le mouvement des cultuelles et la loi de laïcité de 1905 dans lencyclique Gravissimo.
Si la laïcité était remise en cause dans notre pays et si un tel courant religieux était lié au pouvoir politique cela deviendrait critique pour la liberté en général. Cest cette nébuleuse intégriste qui a fait interdire lEglise Gallicane sous le gouvernement de Vichy pendant la seconde guerre mondiale et fait assassiner Mgr Chevillon à Lyon. La laïcité est une garantie de paix civile dans notre pays où toutes les religions peuvent cohabiter ensemble, à partir du moment où elles respectent les lois de la République. Et pourquoi y ajouter ce nouveau qualificatif de "positive", comme entendu lors du voyage du pontife romain à Paris ? Cela sous entendrait quil existe une laïcité négative, laquelle ? Celle qui permet à notre Eglise dexister aujourdhui ? Soyons vigilants et le cas échéant prêts à défendre notre liberté de penser et de croire, nos particularismes, nos convictions. La liberté de penser est celle des enfants de Dieu.
Dans la messe gallicane de Gazinet il y a cette phrase après la consécration : "Le Christ nous a délivré de lesclavage de la loi pour nous faire héritiers de la promesse dans la sainte liberté des enfants de Dieu". Pour nous, un chrétien doit agir en homme libre et écouter sa conscience. Et même sil se trompait quelque part, du moment quil a la charité en lui ce ne serait pas grave.