Saint Christoly de Bordeaux

Son église - Son culte - Ses traditions

Ci-contre vous pouvez voir le dessin à la plume que fit en 1903 Emilien Piganeau. A cette époque on venait de détruire les derniers vestiges de l'antique église Saint Christoly fermée au culte depuis la Révolution. Le tracé de Piganeau représentait le dernier morceau de porche avant qu'il ne s'effondre sous la pioche des démolisseurs.

Essayons de décrire cet édifice tel qu'il existait au temps du culte gallican à Bordeaux:
l'église Saint Christoly était composée d'un clocher, d'une nef à trois travées enfin d'un bas-côté nord plus étroit et moins long que la nef, une cour au nord large d'environ 4,80 mètres permettait les réunions de pèlerins. Cette église de style ogival faisait 28,50 mètres de long sur 13 mètres de large. En ce qui concerne le clocher, il s'agissait sans doute d'une tour carrée terminée par une flèche toute semblable à celle de l'ancienne église Saint Projet que les touristes peuvent voir à Bordeaux près de la fontaine de ce nom.

Pourquoi Saint Christoly ?

Il s'agit bien entendu du culte de Saint Christophe, (Christophotus = Porte Christ). Le nom de Saint Christoly qui en est la forme gasconne se retrouve avec quelques variantes dans de nombreux sanctuaires d'Aquitaine.
Citons par exemple Saint Christoly de Médoc, Saint Christoly de Blaye, puis Saint Christophe des Bardes (près Saint Emilion), Saint Christophe de la Double et Saint Christophe de Daignac (canton de Coutras), Saint Christophe de Baron (canton de Branne), Saint Christophe de Bellebat (canton de Targon), Saint Christophe de Courpiac (même canton), Saint Christophe de Caudrot (près Saint Macaire) et enfin Saint Christophe de Léogats (arrondissement de Bazas).

On peut légitiment penser que la forme: Christ-Oly - peut avoir comme première origine les mots chrestos = oint et olli = huile; en ce cas il nous faudrait penser que très primitivement cette église était l'une de celle où l'on confectionnait les krismas ou huiles d'onctions pour l'aide aux malades et aux affligés selon les rituels gallicans. L'on sait combien l'Eglise Bordelaise distribuait ces huiles charismatiques: huile de Saint Antoine contre la peste, huile de Saint Fort pour la protection des enfants, huile de Saint Sérapion, de Saint Côme, de Saint Léonce, etc.

Le dieu Mercure

Selon une tradition vénérable, avant la construction de cette église vers le XIIIème siècle un autre sanctuaire existait déjà et ce qui semble confirmer ceci est la découverte - lors des travaux de préparation de l'actuel centre commercial Saint Christoly de Bordeaux - des traces d'un culte du dieu du commerce, de l'éloquence et des voyageurs et messagers.

Fouilles à Saint Christoly avant la construction du centre commercial. Dédicace à Mercure. "...fils d'annicianus, au dieu Mercure Auguste, s'est acquitté de son voeu de son plein gré et à juste titre." Peut-être la base d'une statue où d'un autel (entre le Ier et le IIIème siècle).

Il est probable que la première communauté chrétienne de Bordeaux eut souci de continuer les protections du sanctuaire païen comme nous le voyons faire un peu partout dans la Gaule. Saint Christophe était tout indiqué pour reprendre cet héritage. En effet si nous regardons la vie de ce Saint telle que nous la conte Jacques de Voragine dans la Légende Dorée, Saint Christophe, ce bon géant né en Syrie parcourut le monde, porta de nombreux voyageurs - souvent des commerçants - sur son dos pour leur faire passer un gué et devint un éloquent prédicateur qui fit de nombreuses conversions. Quoi de plus logique de voir dans ce quartier de l'antique Burdigala l'onction du dieu Mercure faire place à celle de Saint Christophe.

Piganeau nous a retracé une des statues de Saint Christoly au Moyen-Age telle qu'elle se trouvait peinte en vert et rouge au porche de Léogats.

Mais il semble bien que les traits du fragment retrouvé dans les ruines de l'église Saint Christoly et que nous publions ci-dessous représente exactement l'idée que s'en faisait la piété bordelaise médiévale.

Bénédiction

Essayons en pensée de nous reporter au 25 juillet de l'an 1484 date de la fête de Saint Christoly à Bordeaux. Le curé de la paroisse est alors Jean du Vilar, il n'est nommé que depuis un mois par Monseigneur André d'Espinay son évêque. La foule des pèlerins venus de toute la région est nombreuse car tout à l'heure Monsieur l'Abbé du Vilar va bénir une grande corbeille de médailles et un baril d'huile sous l'invocation de Saint Christoly. Mais auparavant il faut assister à la grand messe chantée où selon le rituel gallican on échangera le baiser de paix, où l'on communiera sous les deux espèces du corps et du sang du Christ, où l'on aura mis les bras en croix au Notre Père, etc.

Après la lecture de l'Evangile présenté sous le chandelier à sept branches Monsieur le curé Jean du Jean du Vilar est monté en chaire et a prêché sur ce colosse qui durant les premières années de sa vie a cherché sa voie et celui qu'il serait digne de servir, après s'être mis au service de Seigneurs très puissants, de grands rois, de chefs de guerre, de magiciens réputés, et de Satan lui-même; il les trouva tous indignes d'êtres choisis pour maîtres. Ce n'est que ce tout petit enfant qu'il transporta un jour qui put lui montrer qu'il avait vraiment la Force, la Puissance et la Gloire. Et puisque nous sommes dans l'église Saint Christoly jetons un regard autour de nous:

Trésors d'architecture

Là haut sous les voûtures entrecroisées ces clefs de voûte formant des rosaces à six branches, emblème de sagesse; ces colonnes aux chapiteaux ornés de palmettes, cette console à tête d'homme barbu, cette pierre creusée qui contient sans doute la fiole d'huile pour l'onction des malades, elle est ornée de volutes feuillagées; enfin ce bénitier surmontant une tête d'homme et ces prières aux volutes serpentines.

Mais notre interrogation sera bien grande en voyant dans l'église une très belle statue de femme aux longs cheveux ondulant en tresses tombant jusqu'à mi poitrine, au corsage échancré sur la gorge que recouvre une guimpe peinte en rouge ainsi que le bas de sa robe et portant un manteau de couleur verte avec une ceinture de perle; sans doute Sainte Aquiline, l'une des deux prostituées converties par Saint Christophe. Nous reproduisons ici ce qui restait en 1904 de la statue de Sainte Aquiline.

Cette étude serait incomplète si nous n'expliquions pas comment fut fermée l'église Saint Christoly:
en 1790 Monseigneur Champion de Cicé étant parti avec les immigrés son vicaire général Monseigneur Pacareau fut élu évêque constitutionnel et métropolitain du Sud-Ouest et sacré le 3 avril 1791. Il prit la décision de faire fermer un certain nombre d'église dont Saint Projet et Saint Christoly après en avoir fait transporter à Saint André les hosties consacrées. Par la suite l'édifice fut confié à la Société des Surveillants zélés de la Constitution qui y tint ces séances. Après quoi Saint Christoly fut vendu comme bien national puis divisé en habitations et en ateliers. Enfin en 1904 comme nous l'écrivions au début de cet article les derniers vestiges furent rasés.

Que reste-t-il à Bordeaux du culte de Saint Christoly ?

1°) Au siège de l'Eglise Gallicane un dossier qui contient la liste des curés et quelques documents d'archives.
2°) La médaille et le krisma bénis rituellement chaque 25 juillet.
3°) Une bénédiction des automobiles faites ce jour là.

Il nous a paru intéressant de noter les frairies et corporations qui tenaient leurs cérémonies dans cette église:
c'était les ouvriers orfèvres et argentiers ainsi que les soyeux qui s'y rendaient tous les quinze août lors de la fête gallicane de l'Assomption instituée en notre ville par Monseigneur Arthus de Montauban sur l'ordre du roi Louis XI. C'était aussi les drapiers, peigneurs de laine et sargeurs qui se réunissaient à Saint Christoly pour les vêpres de la Saint Blaise.

Jetons un dernier regard sur cette tête de Saint Christophe telle quelle fut taillée par les artistes du Moyen-Age; cette époque attachait une grâce toute particulière à la contemplation de ces sculptures: "Christopotum Videns Postea Tutus eas" disait le vieil adage latin c'est-à-dire à peut près "Regarde Christophe et va en sécurité."

La contemplation et la vénération de l'image de Saint Christophe apportait le charisme de préserver des accidents graves et de la mort subite.

Si Saint Christoly était bien Saint Christophe il l'était à travers la vision et la dévotion toute particulière que lui portait l'église de Bordeaux. Une vie dégagée de certaines légendes orientales mais sans la sécheresse du Martyrologue Romain: ce que l'Iconographie bordelaise avait retenu, était un personnage où l'on retrouvait le Samson de la Bible, l'Hercule de la Mythologie, peut-être un peu du Pantagruelle du folklore gaulois mais le tout transfiguré par la lumière de l'Evangile.

Qu'y avait-il d'historique dans l'histoire de notre Saint Christoly ? Sans doute un Témoin géant de la Foi. Ce qui est certain c'est les milliers de faveurs du ciel que nos pères obtinrent en le priant.

L'Eglise Romaine semble avoir beaucoup varié dans le culte du Saint puisque en 1912 le pape Pie X érigeait une archiconfrérie de Saint Christophe mais en 1970 le pape Paul VI le rayait du calendrier romain en le déclarant purement légendaire. Cette dernière décision aurait fort scandalisé les 28 curés connus de Saint Christoly de Bordeaux et scandalise encore tous ceux qui portent en France et dans le monde la médaille de Saint Christophe.


Sommaire