Avec l'arrivée du troisième millénaire la science développe un pouvoir technique extraordinaire, elle intervient maintenant au coeur du mystère de la vie. Des expressions comme clonage à visée thérapeutique ou clonage reproductif montrent à l'évidence que la technologie médicale est en passe de franchir un cap nouveau. Pourquoi faire, pour quel projet de société, pour quels bénéficiaires ?

Autant de questions que nous aimerions aborder dans cet article à l'heure où l'Assemblée nationale vient d'adopter en première lecture un projet de loi sur la bioéthique le 22 janvier 2002. C'est dire l'importance de ces questions qui concernent tous les citoyens et sur lesquelles les Eglises chrétiennes doivent réfléchir.

En deux mille ans de christianisme la théologie a été établie une fois pour toutes, le Credo est là pour nous rappeler les vérités essentielles de la Foi. Par contre les questions de bioéthique sont comme un défi majeur lancé aux chrétiens du XXIème siècle; définir la frontière de l'inacceptable sans fermer la porte au progrès, telle est l'interrogation d'aujourd'hui.

Préambule Biblique

Commençons par un rapide survol de la Genèse. L'expression "tu enfanteras dans la douleur" adressée à la femme après le péché originel (Genèse 3,16) désigne-t'il une loi divine ou une fatalité absolue ? Non bien sur. Il est du devoir de l'humanité de chercher des solutions médicales pour supprimer la souffrance. La loi d'amour instituée par le Christ Jésus est une invitation à la liberté et à l'amélioration de la qualité de la vie.

Ce principe étant posé continuons notre survol du Livre des livres avec maintenant un symbole venu du paradis. Il s'agit de "l'arbre de vie" (Genèse 2,9), source de vie éternelle selon la Genèse. Mon confrère et ami l'évêque Jean Blusseau me faisait remarquer combien l'aspect de la fameuse molécule d'ADN, avec ses deux brins enroulés l'un autour de l'autre en hélice, renvoie au symbole de l'arbre de vie. Comment en effet ne pas l'évoquer ! N'oublions pas que cette molécule d'ADN constitue le support génétique de tout être vivant, autrement dit elle porte la vie en transportant nos gènes. Elle contient toutes les informations qui permettent le développement harmonieux de nos cellules, donc de la vie.

Ainsi dans l'univers infiniment petit des molécules nous pouvons retrouver l'icône d'une réalité mystérieuse mentionnée par la Bible, celle de l'arbre de vie. "Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas" révèle le langage des alchimistes.

Quittons maintenant la Genèse pour nous intéresser aux prophéties énoncées par Jésus durant la dernière semaine de sa vie terrestre, en particulier celle qui annonce son retour glorieux à la fin des temps: "Quand vous verrez l'abomination de la désolation s'établir dans le lieu saint" (Mathieu 24,15). Dans la pensée du Christ, le temple n'est pas un édifice matériel: "Détruisez ce temple, et en trois jours je le relèverai" (Jean 2,19) avait prophétisé le Seigneur. Il parlait évidemment de son corps qu'il ressusciterait le matin de Pâques. L'Apôtre Paul écrit également aux membres de l'Eglise de Corinthe: "Vous êtes le temple de Dieu" (1 Corinthiens 3,16). Autrement dit, toucher au "temple de l'Esprit-Saint" qu'est l'être humain n'est pas un acte innocent. Pour un chrétien il est inconcevable de profaner le sanctuaire de la vie, créé selon la Genèse "à l'image et à la ressemblance de Dieu" (Genèse 1,27). Pour autant il nous semble qu'il n'est pas interdit de le comprendre, pour mieux l'aimer, le guérir et le respecter.

La liberté est l'un des dons accordé par Dieu à l'humanité. L'exercice de cette liberté suppose la responsabilité et la conscience: "tout est permis, mais tout n'est pas utile" écrit l'Apôtre Paul (1 Corinthiens 10,23). Les dangers, voire les méfaits d'une science sans conscience et sans repères sont évidents.

La recherche dans les "gènes" de ce que nous pourrions appeler l'infiniment petit de la matière a engendré la bombe atomique au XXème siècle. Il ne faudrait pas qu'en essayant de "malmener l'arbre de vie", la nouvelle science déclenche une réaction en chaîne d'une autre nature, dans le domaine du vivant cette fois... D'où les avertissements du Seigneur sur "l'abomination de la désolation".

La nécessité d'une éthique indépendante des seules réalités économiques et de la fameuse loi du marché s'impose pour le chrétien. "Que sert à l'homme de gagner l'univers s'il vient à perdre son âme ?" enseigne l'Evangile (Mathieu 16,26).

Le Mystère des Origines

Au commencement, il y a l'embryon. Avant l'embryon, seules existent deux cellules sexuelles: l'ovule de la femme et le spermatozoïde de l'homme. De la rencontre de ces deux cellules naît l'embryon, dont tout le patrimoine génétique est présent dans l'oeuf ainsi obtenu.

Très vite cet oeuf va se multiplier pour que se développe une nouvelle vie. Nos ancêtres étaient dans l'ignorance de ces réalités, ils ne savaient pas. La science a depuis levé le voile, percé le mystère. De la fusion du spermatozoïde et de l'ovule, qui dure une dizaine d'heures, une cellule au patrimoine génétique nouveau apparaît. Et - n'oublions pas - chaque personne vivant sur cette terre a été cette cellule de départ au commencement, comme Notre Seigneur Jésus-Christ.

Faut-il appeler être humain cet oeuf qui très vite se multiplie pour que se développe une nouvelle vie ? A-t'on le droit de le manipuler, de le considérer comme un matériau de recherche, c'est le coeur du problème ? Toute la question est là. Que faut-il en penser ?

Certains argumentent que pour parler de vie humaine il faut attendre plusieurs jours; attendre le nombre symbolique de sept jours pour que l'oeuf, alors composé d'une trentaine de cellules se divise en deux (embryon et placenta), et s'accroche à la muqueuse utérine; attendre deux fois sept = quatorze jours, moment à partir duquel l'oeuf ne peut plus se diviser en deux embryons jumeaux; attendre l'aube du vingtième jour, lorsque se constitue le système nerveux.

La vie humaine est-elle suspendue à ces définitions, à ces seuils froidement techniques ? N'est-elle pas autre chose, en vertu d'un caractère sacré et divin qui fait l'homme ? Et qu'est-ce que l'âme ?

Clonage

Le clonage, comme son nom l'indique, cherche à reproduire un être humain identique à l'original. Techniquement, cela consiste à enlever le noyau de l'ovule et à le remplacer par le noyau d'une cellule (non sexuelle), prélevée sur le corps du donneur. Ensuite, il reste à enclencher le processus de division cellulaire en utilisant une décharge électrique. L'oeuf issu de cette manipulation sera semblable à la personne sur laquelle a été prélevée la cellule. Mais il n'y aura pas création d'un patrimoine génétique original puisque pas de fusion entre un spermatozoïde et un ovule.

La cellule initiale du clone est-elle un embryon ? Faut-il appeler embryon le fruit du clonage, alors que l'oeuf ainsi obtenu n'est pas issu de la fusion de deux cellules sexuelles au patrimoine génétique distinct ?

Si l'on implante cette cellule de départ dans un utérus, elle donnera naissance à un être humain. Alors qu'est-ce qui empêche de lui donner le nom d'embryon ?

Pourquoi Faire ?

Les experts nomment "clonage à visée thérapeutique" la technique visant à obtenir un embryon qui ne sera pas être implanté dans l'utérus d'une femme, mais dont les cellules seront cultivées pour former des tissus, voire des organes à greffer sur une personne malade, sur laquelle on aura prélevé la cellule de départ en vue du clonage.

Le gouvernement anglais de Tony Blair a fait voter une loi admettant ce principe en janvier 2001.

Par contre le projet de loi française adopté en première lecture le 22 janvier 2001 n'aborde pas en clair le clonage à visée thérapeutique. Il interdirait pour l'instant de concevoir "in vitro", c'est à dire en éprouvette, des embryons à des fins de recherche. Néanmoins cela serait autorisé sur des embryons déjà existant, ce qui revient sensiblement au même, puisque la France dispose d'environ trois mille embryons dits "surnuméraires".

On appelle "embryons surnuméraires" (en France actuellement) quelques trois mille embryons congelés dans l'azote liquide au C.H.U. de Montpellier. Ils proviennent de la technique appelée "fécondation in vitro" qui consiste à mêler, dans une éprouvette, un ovule et des spermatozoïdes pour concevoir un embryon. De nombreux couples stériles ont recours à cette technique - depuis 1985 - pour avoir un enfant. Comme l'implantation d'un embryon dans l'utérus d'une femme est aléatoire, les médecins conçoivent en éprouvette plusieurs embryons pour un couple. La plupart du temps, lorsque la grossesse arrive enfin, il reste des embryons qui n'ont pas été utilisés. Ils dorment ensuite dans l'azote liquide. Mille-six-cent-soixante-quatorze d'entre eux ont ainsi été définitivement abandonnés par leurs géniteurs. Si la loi française sur la bioéthique est votée prochainement, ces embryons pourront être utilisés par la recherche, avec l'accord de leurs géniteurs, puis seront détruits.

On le voit, toutes ces technologies posent de sérieux problèmes d'éthique.

Le "clonage à visée thérapeutique", tout d'abord; a-t'on le droit de "produire" un être humain comme on produit un médicament pour servir de "matière première" à un autre être humain ? Quel est le prix de la guérison, celui d'un homme ?

La recherche sur les "embryons surnuméraires"; expression technocratique qui cache une redoutable réalité. Il y aurait d'un côté les embryons "normaux", avec un "projet parental", c'est à dire destinés à devenir des enfants au sein d'une famille; de l'autre il y aurait les "embryons surnuméraires", déclarés comme tels pour servir à la recherche, avec l'étiquette voulue pour justifier toutes les expériences; de quel droit ? Dans ce nouvel apartheid, dans cette ségrégation d'un genre nouveau on est en droit de se poser d'inquiétantes questions.

Pour quels bénéficiaires ?

C'est peut-être le fond du problème. Dans le projet de loi française, une majorité des députés semble d'accord pour voter la recherche sur les "embryons surnuméraires" - "par souci de ne pas se priver des progrès pour le traitement des maladies incurables qui pourraient résulter de recherches menées à partir de cellules souches embryonnaires" - a déclaré le gouvernement. La fin justifie-t'elle les moyens ? Inévitablement ces recherches condamneront à mort des embryons. Même si elles profitent à d'autres embryons dans l'éventualité où les expériences médicales fassent progresser la recherche, quel monde veut-on pour demain ?

Un monde où l'être humain sera traité comme de la matière première vivante, un instrument, une chose animée ? En allant au bout de cette logique, jusqu'où ira-t'on, et au nom de quel principe ? Dans dix ans, dans vingt ans, trente ans, cinquante ans, etc, quel monde pour demain, quels repères pour les générations futures ? Que devient la valeur de la vie ?

Pour quel Projet de Société ?

On pourrait avoir l'impression que nos sociétés savent où elles s'engagent, parce qu'une majorité de pays refusent le principe du "clonage reproductif".

Tout d'abord qu'est-ce que le "clonage reproductif "? Un "clonage thérapeutique" qui ne serait pas "interrompu", c'est à dire un clonage qui irait à terme, avec une personne qui pourrait bien un jour, les yeux dans les yeux, nous demander pourquoi ? Pour que nous rendions compte de nos expériences.

Le projet de loi française interdirait le principe du clonage reproductif, il serait puni de vingt ans de prison.

Le Conseil de l'Europe a également ajouté un protocole à la convention pour la protection des droits de l'homme et de la dignité de l'être humain. Ce protocole, élaboré en janvier 1998 interdit "toute intervention ayant pour but de créer un être humain génétiquement identique à un autre être humain."

Il reste à souhaiter que dans la pratique et dans les faits, la société humaine, en tous lieux et en tous pays, tienne bon sur ces principes.

Un sondage américain indique que 7% de personnes aimeraient se faire cloner, pour diverses raisons: - disposer d'une réserve d'organes en cas de besoin, avoir l'impression d'exister après la mort, cloner des génies ou des sportifs de haut niveau, faire revivre un être cher. Passons également sur les personnes désireuses de cloner leur chien ou leur chat préféré.

Tout cela esquisse un stupéfiant projet de société. Voulons-nous réellement bâtir ce monde là ?

Ajoutons aussi qu'il se greffe des intérêts économiques derrière le clonage. La recherche médicale coûte cher, des sommes considérables sont mises en jeu. Qui seront les principaux bénéficiaires, sinon ceux ou celles qui pourront payer largement le laboratoire ?

Il s'agit donc de savoir quel monde veut-on pour demain ?

Un monde où sans méconnaître le désir de guérir et de soigner on respecte la vie, on aille pas au-delà de certaines limites. On s'en tiendrait donc aux recherches sur les "cellules souches adultes" de notre organisme, ces cellules que chacun d'entre nous possède et qui peuvent fabriquer un grand nombre d'autres cellules; par exemple les cellules nerveuses de notre corps peuvent engendrer des neurones ou même se métamorphoser en cellules musculaires.

Où bien l'on est prêt, mais au nom de quels principes et de quel droit, à traiter l'être humain comme de la matière première vivante, un instrument, une chose animée ?


En parcourant cet article vous avez pu vous faire une idée des enjeux et des questions soulevées par ces nouvelles techniques, en particulier le clonage et tout ce que cela implique.

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** L'adresse d'un excellent site spécialisé pour en savoir plus:

http://www.genethique.org

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