L'histoire ecclésiastique nous rapporte que Léonce, fils d'un sénateur romain né en Aquitaine, ne songea pas en premier au sacerdoce. C'est vers la carrière des armes qu'il se dirigea en s'engageant parmi les soldats du Roi Childebert. Il se fit remarquer par son courage mais, très vite, il va rencontrer celle qui va donner à sa vie un nouveau tournant.

Fille du Sénateur Arcadius, Placidine a laissé dans le souvenir aquitain une image remarquable de finesse, de beauté, de charme féminin allié à des qualités d'intelligence et de bonté, de tendresse et de modestie ainsi qu'à une Foi et une piété toute particulière.

Nous en avons l'écho par le poète Fortunat, évêque de Poitiers qui se fit le chantre de Placidine et de Léonce. Cela aurait pu être la simple histoire d'amour d'un jeune soldat et d'une jolie fillette, mais Placidine ne voulait pas de cette voie, son christianisme plein d'enthousiasme la projetait vers les pauvres et les affligés.
Elle fit partager cet élan à Léonce et tous deux se mirent activement à servir l'Evangile. La Providence qui guide la vie des hommes plaça sur le Saint Siège de Bordeaux l'oncle de Léonce, il fut pour le jeune couple un guide et un conseiller, il bénit leur union et guida Léonce vers les degrés du sacerdoce; il lui conféra la prêtrise.

Au VIème siècle comme aux siècles précédents, aucun tabou n'existait contre le mariage du clergé. A l'exemple des Apôtres les premiers évêques de Bordeaux étaient mariés et pères de famille. Le cas du couple sacerdotal Léonce et Placidine ne constitue donc pas une exception, mais il faut certainement remonter à l'union de Saint Fort, premier évêque de Bordeaux et de Sainte Bénédicte pour retrouver un tel exemple de piété, de charité et de dévouement.

A cette époque également, les évêques étaient élus par le peuple chrétien et c'est ce qu'il advint à Léonce lors du décès de son oncle. Désormais Léonce sera l'évêque titulaire du Siège Apostolique remontant par Saint Fort à Saint Martial et à Saint André, Apôtre.
Les raisons de cette élection sont nombreuses: d'abord le souvenir de l'oncle de Léonce qui laissait derrière lui une odeur de sainteté, ensuite le fait que le jeune prêtre faisait figure de héros populaire... En 531 il s'était distingué dans un combat contre le Roi d'Espagne lorsqu'il était soldat de Childebert, enfin et surtout sa réputation d'homme de Dieu n'était plus à faire. De jour et de nuit l'on voyait dans le Burdigala antique Léonce et Placidine aller au chevet des malades, au secours des pauvres, à l'instruction des enfants.
"La Religion" a dit l'Apôtre "consiste à visiter les veuves et les orphelins".
Il est bien certain que tous les auteurs sont unanimes pour nous préciser combien Léonce et Placidine suivirent l'enseignement du Christ en ce qui concerne l'Amour du Prochain.

L'amour que ces deux êtres d'exception se portaient l'un pour l'autre n'avait rien d'égoïste... Ils s'aimaient, dit le poète Fortunat, d'un "amour sans borne", mais c'était bien là l'amour du couple chrétien chanté plus tard par les troubadours, l'amour qui ne replie pas deux êtres l'un sur l'autre mais les fait trouver dans le couple voulu de Dieu les prémices de l'Union du Christ et de l'Eglise...
Ils vivaient le Cantique des Cantiques charnellement et spirituellement donnant à tous un magnifique exemple.

Quel était le couple le plus aimant ? Celui de l'évêque le plus charitable ? Celui de l'évêque le meilleur père de famille ? Placidine la meilleure des mères ? Heureux voyage que celui d'un navire qui a de tels pilotes à la barre et l'épiscopat de Léonce entraîna une période de croissance spirituelle pour l'Eglise d'Aquitaine.

Plus encore que les auteurs de l'époque, nous en avons des témoins dans la constellation d'Eglises qui furent bâties par les fidèles sous cet épiscopat. Ce furent la basilique Saint Martin, l'église de Saint Vincent sur Garonne, l'église de Saint Vincent de Vernemetis, l'église Saint Eutrope, l'église Saint Vivien et Saint Amand de Preignac et tant d'autres construites dans la joie et dans la prière.
Et, près de l'océan, là où selon la tradition Véronique, emportant sur son voile et dans son coeur l'image de Jésus, la marque de la Sainte Face s'était réfugiée, le couple de Léonce et Placidine priant devant la grandeur des flots, rêve d'une Eglise à Notre Dame, et, passant du rêve à l'action, fait jaillir de sa prédication qui mobilise toute les énergies l'église Notre-Dame de Soulac.
Mais il ne suffit pas d'ériger des lieux de culte, il faut encore les pourvoir de tout ce qui est nécessaire à la célébration de la liturgie. Placidine eut l'idée de rassembler autour d'elle de jeunes travailleuses qui apprendraient sous sa direction à tisser, à filer la soie et le lin, à coudre, à broder, peindre, décorer, confectionner des ornements pour les églises:
"Fidèle imitatrice de son mari", nous dit le Gallia Christiana (t. II p.146), "elle se chargeait de l'ameublement des églises: la laine, la soie, le lin prenaient entre ses doigts des formes sacrées".

Premiers Ouvroirs d'Aquitaine sous la direction de Placidine: On y prie, on y travaille, on s'y récrée, on s'y instruit. Diaconat féminin, si précieux à l'Eglise des premiers siècles. A Bordeaux d'abord, puis à Bourg, Lormont et Preignac Placidine crée de telles institutions...

L'art sacré est en ces temps vraiment une forme de la prière:
En DIEU est la source de toute beauté et l'homme veut remonter à cette source par la musique, la peinture, la poésie... Le Christianisme se présente comme une incitation à la Fête... L'on danse dans les Eglises, l'on y fait pleuvoir des roses les jours de Pentecôte, à la Saint Jean Léonce et Placidine dansent avec le peuple et, main dans la main, sautent le traditionnel Feu Nouveau.

"Personne ne vous ravira votre joie" a dit Jésus et Léonce ne fera pas de son épiscopat une période triste, austère et puritaine.

Parlant de son apostolat dans ses poèmes qui ne forment pas moins de onze livres infiniment précieux pour l'histoire de ce temps Venance Fortunat, l'ami et le célébrateur de Sainte Radegonde écrit:
"Ce fameux archevêque de Bordeaux, Léonce le jeune, fut la gloire de cette ville. Il passait autant les évêques de son temps par l'honneur et la dignité que cette ville était élevée entre les autres villes..."

En effet Bordeaux avait à cette époque un rang primatial incontesté. En 553 se tint à Saintes un Concile fort important pour l'histoire de l'Eglise Gallicane et ce fut Léonce qui présida cette assemblée épiscopale... Un différent opposant le concile à Caribert, Léonce envoya au roi une délégation qu'il fit présider par un prêtre de l'Eglise de Bordeaux, chargé de le représenter. Ce prêtre se présenta au nom du Siège de Bordeaux en ces termes: "Sire, le Siège Apostolique salue votre majesté."
Il rappelait ainsi que le Saint Siège de Bordeaux remonte à Saint Martial, Apôtre qui, selon la tradition, fut l'enfant qui tendit à Jésus les poissons à multiplier et qui sacra évêque de Bordeaux Saint Fort.
En cette qualité Léonce portait d'ailleurs le pallium et ce droit fut confirmé aux évêques de Bordeaux par plusieurs Papes.
Mais le différent qui opposait Léonce et Caribert s'envenima et une véritable persécution s'établit contre l'évêque que le Roi ordonna d'arrêter. C'était compter sans le secours des bordelais qui le cachèrent un temps, puis le firent fuir. D'après une note du Chanoine Blanchet, qui fut curé gallican de La Mine, le couple Léonce et Placidine, déguisés en bûcherons, serait sorti de Bordeaux, aurait remonté jusqu'à Cestas, puis jusqu'à la forêt de Lège où il aurait gagné la plage et se serait embarqué pour une destination inconnue.
Un usurpateur fit courir dans Bordeaux le bruit que le couple n'avait pu s'embarquer, qu'il avait été rejoint et exécuté... Dans Bordeaux en deuil ce fut un grand chagrin... Au bout de quelques mois l'imposteur crut bon, appuyé par les soldats de Caribert qui occupaient la ville, de se faire élire évêque... Mais au moment où l'on allait procéder à cette élection deux chevaux foncent à grand galop dans les rues de la cité d'Ausone: c'est Léonce et son épouse qui n'ont pu supporter plus longtemps le ciel étranger. A la vue du couple aimé le peuple bordelais ne se contient plus, c'est le soulèvement général, la ville et la province se libèrent, on porte l'évêque en triomphe jusqu'à la cathédrale. Et désormais Caribert n'ose plus s'y frotter.

Léonce et Placidine reprennent leurs activités apostoliques et sociales. Quand Léonce termina ses jours tous les fidèles le pleurèrent et, à Poitiers le poète Fortunat écrivit une épitaphe célèbre en six distiques latins. Il inscrivit aussi ces lignes:
"Pour consoler son amour sans borne Placidine n'a rien épargné pour tes funérailles et tes cendres seront douces à sa mémoire".


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