Il savait la magie des mots et, de sa chaire de Notre-Dame de Paris, l'éloquence sacrée déferlant en tempête noyait les coeurs sous des torrents d'émotion; "C'est ma pierre précieuse, disait de lui Pie IX, c'est le meilleur de mes fils, ce sera la fleur de l'Eglise", et la foule se pressait pour entendre la voix célèbre du Bossuet des temps modernes.

Prédicateur !... Oui, mais mieux que cela : prophète, il était celui qui secoue l'apathie d'une génération, celui qui a reçu le don de crier à la face des grands de ce monde la protestation évangélique, celui dont la Semaine Religieuse écrivait: "La Doctrine sort de sa bouche avec la précision du dogme".


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Mais ce jour là ce n'est pas dans une église que le Père Hyacinthe allait parler, l'auditoire était le plus divers que l'on puisse concevoir: chrétiens de toutes confessions, juifs, musulmans ou athées... Tous réunis dans un seul but: La Paix.

Le sujet était à la taille de l'orateur et chacun se sentait impatient d'entendre le disciple d'Elie dont le symbolique manteau blanc couvrait la silhouette brune; lui, contemplait en silence cette immensité d'yeux rivés sur lui et, peut-être, pensait-il comme son Maître Divin: "J'ai pitié de cette foule".

Et sa voix tonna soudain dans le silence attentif: "Tu ne tueras point !":
l'orateur remontait aux sources mêmes de sa Foi, au commandement du Dieu Très Haut qu'adoraient Catholiques et Protestants, Juifs et Musulmans et dont la Parole ne restait jamais sans écho, même au coeur de l'incroyant.

"Tu ne tueras point, dit le commandement éternel ! mais condamne-t'il seulement l'homme lâche et cruel qui suit sa victime dans l'ombre et lui enfonce un couteau dans le coeur ou lui brûle la cervelle avec un pistolet ? Le meurtre n'est-il plus un crime quand il se commet en grand et qu'il est le fait d'un prince ou d'une assemblée délibérante ? "

En posant cette question le Carme semblait s'adresser à toutes les nations du monde et dans son verbe semblait vibrer et retentir le Verbe de l'Eternel: "Quoi, vous pourrez sans violer la loi de Dieu, sans soulever la conscience de l'homme, sans porter à votre front le signe de Caïn et sans amasser sur votre tête de charbons ardents, vous pourrez ouvrir au soleil de l'Histoire ces vastes champs de carnage et y faire broyer par la mitraille, pour vos caprices ou pour vos calculs, des centaines de créatures humaines !... Caïn ! Caïn ! qu'as-tu fait de ton frère Abel !"

Enfin un prêtre tenait le langage que l'Eglise aurait dû tenir toujours, enfin un prêtre se dressait face à la guerre et osait dire "Non" à toutes ces tueries: "Non ! Depuis que le rayon céleste a gravé la croix sur le labarum, plus de guerres si ce n'est la guerre juste", le Carme parlait comme il n'avait jamais encore parlé, les bravos auxquels il n'était pas habitué (on n'applaudit pas dans une église) semblaient stimuler son ardeur et le public accroché à ses lèvres saluait chacune de ses périodes par de fervents applaudissements qui s'amplifièrent encore quand il s'écria: "Vous n'avez qu'à appliquer aux peuples la morale des individus et à renverser cette barrière du mensonge: une morale pour la vie privée et une morale pour la vie publique."

Ainsi parla le Père Hyacinthe LOYSON, définiteur provincial des Carmes et supérieur du couvent de Paris, le 24 juin 1869.

Ce discours souleva l'indignation des milieux "bien-pensants" et l'Univers écrivit par la plume de Louis Veuillot: "Qu'importent des milliers de vies humaines si les âmes ne meurent pas !"

L'orateur fut blâmé par Rome et par les ultramontains, fut mis par son supérieur dans l'alternative de se soumettre ou se démettre; alors le 20 septembre, dans une lettre pleine de dignité, il fit part à ses chefs de sa décision de rester envers et contre tous fidèle à la cause de la paix: "Je ne resterai pas comme ces chiens muets d'Israël dont parle le prophète."

Ayant rompu toute attache avec l'Eglise de Rome, le Carme adhéra à l'Eglise Gallicane et devint curé d'une paroisse rue d'Arras; par humilité il refusa toujours l'épiscopat comme il l'avait auparavant refusé de l'Eglise Romaine.

Son souvenir demeure vivace dans l'Eglise Gallicane et ce n'est jamais sans une certaine émotion qu'après avoir dit ma messe je récite, au bas de l'autel, la profession pacifique de l'Eglise que reprend l'assistance: "Nous voulons que la paix de Dieu règne sur la Terre parmi tous les hommes... Eternellement qu'il en soit ainsi."


NOTE: - Cet article écrit par le Père Patrick (le futur Monseigneur Truchemotte) en 1955, et paru à l'époque dans l'hebdomadaire indépendant Rolet témoigne de la profonde valeur chrétienne du Rev. Père LOYSON, prophète et précurseur en bien des domaines.


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