Le culte de Mithra était célébré dans les Gaules bien avant l'invasion des romains. Mithra-Nhs: "Le but présagé" en phénicien...
Tel est le sens du nom de Mithra.

Nous savons de plus en plus par les progrès de l'archéologie que Bordeaux était l'un des hauts-lieux du paganisme où se rencontraient les autels de nombreuses religions.

Tous ces cultes se supportaient dans un assez curieux mélange de luttes et de syncrétisme. En fait nous pouvons les différencier en deux blocs:
Cultes populaires suivis par la grande masse venant offrir des sacrifices pour se concilier ses dieux d'origines diverses, et cultes initiatiques où l'on révélait plus ou moins sous le sceau du secret divers mystères.

Dans la religion de Mithra les initiés se nommaient selon leurs grades corbeaux, lions, etc. Comme les chrétiens, ils se désignaient entre eux sous le nom de frères. En haut de la hiérarchie, formant un sacerdoce, il y avait les Pères et les Pères des Pères dont le rôle était relativement semblable à celui des évêques chrétiens.

Fort était-il un Père des Pères dans le culte de Mithra ? Officia-t-il dans le Mithreum (temple dédié à Mithra) bordelais découvert en 1986 lors de la démolition du magasin Parunis (cours Victor Hugo, à deux pas des Halles Lagrue) ?
La chose ne semble pas impossible. Saint Augustin nous rapporte qu'il fut frappé de voir que l'un de ces Pères des Pères convint qu'ils servaient tous deux le même Dieu.

Sans vouloir trop insister sur les analogies entre les deux cultes, notons l'idée commune d'un médiateur entre la Trinité et l'être humain... Tertullien, qui n'aime pas la religion mithraïque note cependant que ses sacratis (initiés) ont des "sacrements" (il emploie le mot): baptême, onctions de miel, usage eucharistique de pain, de vin et d'eau consacrés par les Pères.

Tertullien qui écrit vers 200 ap. J.-C. juge que ces ressemblances sont les artifices du diable. Mais l'épisode de Fort se passe avant le combat épistolaire de Tertullien, à une époque où l'Apôtre Paul n'a pas craint d'identifier le Dieu inconnu des athéniens et le Dieu des chrétiens, et où un autre porteur de l'Evangile va identifier Isis (la Vierge qui doit enfanter) et Marie (la Vierge qui a enfanté).

En fait il semble bien que le message prophétique ne se soit pas restreint au seul peuple Juif, mais que la venue du Christ ait été annoncée par des courants différents.
Les Rois mages, la Sibylle de Cumes sont les témoins affirmés par l'Eglise que le messianisme fut universel.

Et s'il conserva avec un Fort, de la religion de Mithra, Martial, formé dans les écoles d'Israël, s'il regarda les bornes serpentines du symbolisme mithraïque leur trouva, sans nul doute, un certain cousinage avec celui que Moïse fit élever dans le désert sur une croix de bois pour combattre les morsures de serpents... Similia Similibus.
Jésus lui-même s'était comparé au serpent d'airain que Moïse fit élever... Et les Pères de l'Eglise sont souvent revenus sur ce symbole...
Devant Pharaon les magiciens ont transformé leurs bâtons en serpents comme vient de le faire Moïse ... Mais le serpent de Moïse va dévorer ceux des magiciens.

L'on peut se plaire à imaginer ce que put être la fusion entre les deux groupes, penser que certaines particularités des rites gallicans purent venir du culte de Mithra de la même façon que l'on retrouve des traces du paganisme romano-grec dans la liturgie romaine ou des vestiges de la synagogue en certains rites orthodoxes.

Porteurs d'un message, les Apôtres ne détruisent pas ce qui leur semblait bon dans les formes religieuses qu'ils abordaient.
"Juifs avec les Juifs et Païens avec les Païens..." Selon l'expression de Saint Paul, ils apportèrent ce que le Christ leur avait transmis.
Sans doute (dans notre hypothèse) Martial pensa-t-il qu'il fallait respecter certaines coutumes de cette communauté qui se convertissait.
Dans le culte de Mithra l'on prie les bras en croix (Orphéus - S. Reinach 1930). Laissons cette coutume au moment du Notre Père.
Le morcellement en neuf parts des pains consacrés ? Pourquoi pas... Chaque parcelle représentera un passage de la vie du Christ.
La tête d'âne est symbole de Mithra, emblème de la fin de l'initiation. Dans un graffiti des catacombes on montre une croix surmontée de cette tête (étrange union qui semble nous confirmer la possibilité d'une fusion de certaines communautés du rite de Mithra dans le christianisme).
Dans une influence du rite de Mithra ne pouvons-nous pas inscrire cette insolite fête de l'âne qui subsistait en plein Moyen-Age et où l'on dansait autour d'un âne ? Le conte initiatique de Peau d'Ane, repris par Perrault, mais bien antérieur, va nous montrer l'initiée revêtir tour à tour des robes de différentes couleurs pour finir par la peau d'âne... Dernière étape. Zoroastre, le Prophète Balaam ont un âne pour monture; dans l'antiquité il est la monture des sages et Jésus en chevauche un dans sa marche triomphale sur Jérusalem.
Certains auteurs ont avancé que la présence de l'âne et le boeuf à la crèche (l'un et l'autre n'étant pas formellement indiqués dans les Ecritures) seraient un des vestiges de l'âne et du taureau de Mithra. Après tout Strabon ne donne-t-il pas le nom d'un certain Moschus (Moïse) comme fondateur du rite mithriaque...

Si ce courant de pensée, important à Burdigala, venait de l'initiation mosaïque, quoi de plus naturel de penser qu'il adhéra facilement à la prédication de Saint Martial.

Du Burdigala gallo-romain il ne nous reste que bien peu... L'ignorance a laissé détruire de nombreux vestiges de ce grand passé.
Quelques ruines au Palais-Gallien, quelques pierres au musée Lapidaire...
Bien plus, l'étude de la tradition des origines de l'Eglise de Bordeaux se situe dans le contexte d'une symbiose spirituelle avec des villes aujourd'hui disparues.

Où est Noviomagus d'où venait Martial et d'où il envoya son bâton à Fort ? Aux environs de Brion comme le pensait Camille Julian, au nord ou au sud de Soulac, sous le banc des Olives ?

En l'an 580 cette cité et beaucoup d'autres furent recouvertes par un gigantesque raz de marée...

Englouties, ensablées les cités d'Aquitaine où Martial et Fort créèrent des communautés. Le matérialisme historique a beau jeu de nier toute vérité à la "légende" de Sainte Véronique, Saint Amadour et Saint Martial.
Qui ira chercher sous les dunes la ville et l'église de Notre-Dame de Buze où en 1565 le chroniqueur Elie Vinet entre par le toit dans l'édifice ensablé... Maintenant les sables ont tout recouvert: Cité perdue !

Chronos, le serpent de Mithra, c'est le temps qui s'enroule, le mystère de l'histoire, qui va dérouler ses anneaux... Le Christ, Verbe Incarné, est le Maître incontestable de ce temps. Fera-t-il resurgir de sous les sables les 12 villes englouties du Sud-Ouest ? Peut-être alors apprendrons-nous que la tradition ne mentait pas.


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