"Pieux, juste, savant, charitable, fidèle,
De toutes les vertus quel plus parfait modèle !"

C'est ainsi que nous trouvons présenté Robert le Pieux aux Ecoliers de 1825 dans l'Histoire de France de Le Raguois... C'est ainsi qu'il fut durant des siècles donné en exemple pour la droiture de sa vie, pour la générosité de son coeur, pour sa Foi sans faille. Et l'un des documents les plus précieux de son époque nous confirme en cette optique.

Qui a lu "l'Epitome Vitae Roberti Regis," le très louangeur travail du moine Helgaud, de l'Abbaye de Saint Benoît sur Loire, ne peut douter de la sainteté du Roi Très-Chrétien de l'an mil. Comme tous ses contemporains l'érudit bénédictin n'aurait jamais pensé mettre en doute que ce Robert dont la vie avait mérité le beau surnom de "pius" ne serait béatifié par l'Eglise Gallicane au même titre que les deux autres Saints Robert de l'An Millième:
Saint Robert d'Aurillac qui fonda l'Abbaye de la Chaise Dieu et Saint Robert de Citeaux qui fonda l'Abbaye de la Réforme Cistercienne.

Longuement Helgaud compare la vie édifiante de Robert le Pieux à celle du Roi David: Que de traits communs ! Quelle Foi soeur et quelle mutuelle inspiration !
Pourtant les Ecoliers de notre XXème Siècle ont une toute autre vision de Robert le Pieux... Un tableau en est la cause, peint par Jean-Paul Laurens (1838-1921), il se retrouve dans les dictionnaires et les manuels d'Histoire de France; il montre avec un indiscutable talent, avec une incomparable maîtrise du pinceau, une scène qui n'a jamais eu lieu: "l'excommunication de Robert le Pieux". Le Roi effondré par la sentence serre contre lui sa très belle et très émouvante complice: la Reine Berthe. Le romantisme de la scène fait qu'elle se grave dans tous les coeurs...

De quoi s'agit-il donc ? A l'âge de seize ans Robert avait reçu d'Hugues Capet, son père, la Reine Rozala en mariage... La raison d'Etat commandait - il faut le dire - cette union... Rozala prit en devenant Reine de France le prénom de Suzanne, elle plut à Robert et n'eut qu'un défaut, celui de rester stérile... Un roi de France à l'époque pouvait-il rester sans un héritier ? Les conseillers de la Cour ne le pensaient pas et s'appuyant tant sur les exemples des Rois de la Bible que sur ceux des précédents Rois de France ils préconisèrent un second mariage.

Certes il suffit de feuilleter l'Ancien Testament et l'Histoire des Mérovingiens pour voir y pulluler épouses et concubines et l'Eglise de l'époque de Robert le Pieux n'aurait pas sourcillé à l'idée d'un remariage. La Reine Suzanne fut répudiée sans problème ecclésiastique, Robert, pour autant, ne l'abandonna pas...
Ce fut un incident sans brouille, un consentement mutuel dans l'intérêt du Royaume. Ce comportement peut nous surprendre.

Qu'il ne soit jamais perdu de vue par nous que chaque siècle a ses vérités et ses exigences... L'on ne peut porter un jugement historique qu'à la condition de connaître intimement les us et la morale d'une époque.

Robert prit donc une seconde épouse. Assisté de nombreux prélats l'archevêque de Tours procéda très publiquement à la bénédiction de ce nouveau mariage avec la Reine Berthe. Mais ce mariage offrait - pour l'époque - deux irrégularités qualifiées d'inceste:
le cousinage et le commérage.
Etre cousins, même à un degré très éloigné... Etre compères, c'est à dire avoir tenu le même enfant sur les fonts baptismaux était alors qualifié de crime d'inceste par l'Eglise.

Comme nous l'écrivions tout à l'heure chaque époque a ses tabous et l'Eglise de l'an Mil qui ne voyait pas malice au concubinage, au divorce, au mariage des prêtres et des évêques était - hélas - intraitable dès que le mot inceste était prononcé.

Les dispenses accordées par les uns étaient contestées par les autres et nous connaissons bien des cas où des mariages furent cassés parce que le cousin d'un tel avait tenu sur les fonts baptismaux un enfant présentant un lointain cousinage avec la personne qu'il venait d'épouser.

Bien entendu, en ce qui concerne le mariage de Robert le Pieux, cette affaire avait des tenants et des aboutissants politiques...
Sommés par deux conciles (997 et 998) de rompre cette union, les Evêques qui venaient de la bénir tinrent bon sur leurs positions. Robert fit d'autres concessions mais ne céda pas sur la validité de son mariage...
Bien au contraire il obtint du Légat Pontifical promesse de confirmation de son nouveau mariage. Nous sommes loin du tableau de Laurens où de récits assez modernes ou l'on voit des serviteurs terrorisés oser à peine toucher la nourriture du "Roi Maudit"...

Cette légende sera pourtant assez tenace pour enlever, peu a peu, l'auréole du Roi Robert sur les vitraux de France. Donc pas d'excommunication fulminée... Mais - cinq ans plus tard - la seconde Reine se montrant aussi stérile que la première - Robert le Pieux se décide à en épouser une troisième.

Et comme là il ne se trouve ni cousine, ni commère, aucune opposition ne se fait, ni en France, ni a Rome, ni nulle autre part ailleurs pour son mariage religieux avec Constance.
Puis en 1008, il va de nouveau tenter de faire accepter par l'Eglise la validité de son mariage religieux avec Berthe.
En fait, en l'an 1000, Robert le Pieux avait trois épouses vivantes... Trois mariages religieusement bénis. Répétons-le ce n'était pas un cas d'exception en l'an mil.

Il est catastrophique de juger la vie d'un homme d'après les articles d'un Droit Canon fabriqué par le Vatican des siècles après lui. L'Eglise de l'an mil est loin de voir dans le mariage le type de sacrement indissoluble fabriqué par la suite. Certes elle définit les devoirs et les droits du couple, mais sous l'optique des Pères de l'Eglise et des Ecritures.
Saint Jérôme, le sévère Saint Jérôme, ne conseillait-il pas à la pieuse Fabiola d'abandonner son mari impie et débauché et de chercher un bon compagnon de vie vertueux et craignant Dieu.

C'est pourquoi ne nous étonnons pas si le Chroniqueur de Robert le Pieux ne s'attarde pas à ces questions de remariage... Robert succède à toute une dynastie de Rois dont certains furent qualifiés de Saints en ayant plusieurs femmes et concubines et le bénédictin n'oublie pas de citer David et Salomon.
La Vie des Chrétiens, dit-il, est "secret entre leur conscience et Dieu..." Nous touchons là à un impératif Christique souvent mis en exergue par l'Ordre de Saint Benoît: Ne jugeons pas !

Et, à l'appui de cette affirmation, l'indulgent Abbé de Saint Benoît sur Loire raconte qu'un matin le père de Robert le Pieux se rendait de bonne heure à l'Eglise quand dans la pénombre apparut sur le bord du chemin la tâche claire de deux corps nus se livrant à l'union charnelle... Hugues jeta un furtif regard sur le couple, puis détachant sa cape il la jeta sur lui et continua son chemin suivi de son escorte. D'autres auraient crié au scandale ou plaisanté... Le manteau des fils de Noé, celui d'Hugues Capet c'est - au fond - le comportement souhaité par le CHRIST. Ne jugez pas !

Si ce commandement était la ligne de conduite prêchée à l'époque, il ne faut pas oublier que Robert le Pieux le vécut au maximum et c'est en cela surtout que sa sainteté paraît.
Je ne prendrai qu'un exemple au florilège de sa vie. Mais quel exemple !

Une conspiration s'est ourdie contre lui. Un groupe d'assassins est recruté, armé... Au rendez-vous de la haine le voici présent... prêt à tuer; mais le complot est découvert, les meurtriers arrêtés avant d'agir. On prévient le Roi. On jette les coupables au cachot. Porter la main sur l'oint de la Sainte Ampoule est plus grave - aux yeux de l'époque - que le parricide;
la mort après la torture est tout ce que peuvent attendre les rebelles.

Et leur peur est grande quand une torche illumine leur cachot, plus grande encore quand devant eux ils voient le roi Robert. Celui-ci fait enlever leurs fers... "Suivez-moi !"
Il les conduit à son palais, les fait asseoir à sa table, leur fait partager son repas, parle de la pluie et du beau temps et puis, à la fin tout de même - interroge:
- " Bon ! Maintenant, dites-moi, pourquoi vouliez-vous me tuer ? Suis-je donc un si mauvais Roi ? En quoi ai-je mal fait ? Que feriez-vous donc a ma place ? ".

Longuement il converse avec eux... Le vin aidant, sa bonhomie facilitant aussi le déliement des langues on s'explique: Robert donne les raisons de telle de ses attitudes, précise tel de ses projets, promet de s'amender sur tel travers. Puis il fait appeler son chapelain. Maintenant apportez-nous la Communion. Le Corps et le Sang du Christ sont posés sur la table.
Si vous le voulez bien nous allons communier ensemble. Après la Communion il appelle les juges:
- " Vous ne pouvez faire mourir ceux que Jésus-Christ a admis a sa table".

L'on conte que par la suite le groupe des comploteurs devint l'élite de ses partisans sa plus fidèle garde du corps.
Ce seul événement de sa vie - n'en doutons pas - suffirait à faire pencher la balance de Saint Michel, le peseur d'âmes, du côté de sa sainteté et de son salut.

Sous une gravure représentant Robert le Pieux je lis cette devise: "Omnigenoe virtutis alumnus". L'an mil tout entier me paraît dans le pays de France rassasié de vertus. Ce que Robert le Pieux y édifie, c'est vraiment une autre façon de concevoir et de penser... Il serait trop long de citer tous les faits qui prouvent combien le Roi sut non seulement pratiquer la Charité, mais en contaminer son entourage.

Les prêtres qui assistèrent à ses derniers instants ne manquent pas de dire que: "Sa très sainte mort lui a ouvert les Portes du Ciel".
De son vivant même il a reçu plus qu'un autre le don de guérison. Certes, de par l'onction de la Sainte Ampoule, depuis que Clovis a été par son Saint Chrême oint par le Saint évêque Rémi comme Patrice et Roi du Peuple Gallican, tous ses successeurs ont reçu le pouvoir de guérir les écrouelles en les touchant...
Mais le charisme de Robert le Pieux est bien plus étendu, c'est, nous disent ses contemporains, toutes sortes de maladies qui s'effacent sous ses paumes.

Au début de la nouvelle dynastie c'est un grand réconfort pour chacun de constater cela. Ce que Clovis avait reçu du Ciel à Reims était-il transmissible hors de son sang, hors de la race de Mérovée ? Question tourmentante pour tous ces gens épris de mysticisme.
Notre siècle, là encore, a du mal à comprendre.

Si Robert n'est pas l'héritier de Clovis par le sang, ne peut-il l'être par l'onction de la Sainte Ampoule: Le Ciel répond Oui, par la guérison des écrouelles et, en Robert, il fait surabonder ce don. Charles X, à peine sacré, voulut vérifier ce pouvoir de la Sainte Ampoule et quand l'Eglise Gallicane sacra Sa Béatitude Monseigneur Louis-Marie-François Giraud comme Patriarche de France, après l'onction de la Sainte Ampoule le clergé fit venir des écroueux pour vérifier si le Haut Pouvoir continuait.

Ce n'était pas tant le don de guérir qui importait aux théologiens contemporains de Robert le Pieux que ce qui y était indiqué... La Volonté du Ciel d'une Ecclesia Francorum... La Présence de l'Ange de la Nation sur la personne de son Oint.

Le Raguois nous dit que Robert était: "pieux, sage, prudent et très instruit" et qu'il "nourrissait jusqu'à mille pauvres par jour..." Il vivait saintement. Mais la Sainteté pour un Roi n'est-ce pas d'abord de gouverner ?

En effet si l'Eglise a gardé de Robert le Pieux quelques hymnes que l'on chante encore de nos jours, elle lui sait surtout grâce du bien fondé de ses lois. Le Palais de Justice qu'il fit construire est le symbole de l'une de ses préoccupations fondamentales:
donner a ses sujets une Justice inspirée de la vie de Salomon, des exemples de David et des préceptes de clémence de Jésus-Christ.

Nul ne peut comprendre la façon de penser de l'époque qui va de Clovis à Robert le Pieux s'il ne tient pas compte du fossé qui s'est créé sous Saint Louis avec l'apparition de la "Somme Théologique."
Avant le thomisme l'Eglise et sa pensée s'épanouissaient en de nombreux courants, mais toujours revenaient par les Pères aux sources des Ecritures Saintes.

Robert toute sa vie veut être David et Salomon retransposés dans la pensée chrétienne... Plus qu'un chef politique il se sent le Pasteur de l'Eglise de France, l'oint de la Sainte Ampoule, le Patrice. Pour lui la France est un Nouvel Israël dont il est le Pontife Roi. Sur sa harpe il retrouve l'inspiration prophétique et compose un monceau d'hymnes et de cantiques. David par les Chants, il veut être Salomon par la justice et, bien souvent, on le voit trancher quelque litige en tentant de s'inspirer de la Sagesse Sapientielle venue d'En-Haut.

Dans sa pensée le Palais de Justice doit être un sanctuaire de la clémence Christique aux galeries imprégnées de la méditation des galeries conventuelles, aux tours lançant vers le Ciel un perpétuel appel à l'inspiration divine...
C'est en l'an Mil que ces galeries et ces tours commencent à s'édifier.

L'on a beaucoup parlé de la grande peur de l'an Mil...
Ce fut peut-être l'affaire de quelques sectes...
Je n'en trouve trace ni en France, ni dans le coeur de Robert.

Ce qu'il attend ce n'est pas la fin du monde, c'est une ère de paix et d'amour.
L'on ne bâtit pas quand le monde finit... Robert fait beaucoup bâtir...

L'on prie beaucoup, mais dans une joie confiante; le dimanche à la Cour la liturgie gallicane est longue, mais on en sort par un repas égayé par les bouffons et les danseurs du Roi. Une petite guerre, la seule, qui lui permet de faire preuve de courage et de clémence. Est-ce là une vie de Saint ? Les bénédictins en jugèrent ainsi à une époque où chaque diocèse dressait librement la liste de ses saints.

Mgr Patrick Truchemotte


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