Le non de certains catholiques français au dogme de l’infaillibilité du pape, défini à Rome en 1870, marque traditionnellement le début du renouveau gallican dans notre pays.

L’opposition des Abbé Mouls et Junqua en Aquitaine, la naissance de la chapelle Saint Jean-Baptiste à Bordeaux vers 1872, puis celle du Père Loyson à Paris en 1879 font partie des mouvements de résistance gallicane bien connus de nos lecteurs.

Ce qui l’est moins en revanche, ce sont les tentatives de réformes religieuses apparues en plein XIXème siècle. Celle de Monseigneur Chatel, fondateur d’une l’Eglise Catholique Française indépendante de Rome vers 1830 est certainement la plus intéressante. Nous allons essayer de nous y arrêter quelques instants.

Le Contexte

Ferdinand-François Chatel naît à Gannat dans l’Allier, en 1795, dans une humble famille de paysans. D’une intelligence vive, il est remarqué par un prêtre qui lui donne des leçons et le fait entrer au petit séminaire de Clermont-Ferrand. Elève doué, sur les conseils de ses professeurs il fait sa théologie au grand séminaire de cette ville.

Ordonné prêtre en 1818, il devient successivement vicaire de la cathédrale de Moulins (Allier), curé à Montoy sur Loire puis aumônier au 23ème régiment de ligne. Il le quitte en 1823 pour le 2ème régiment de grenadiers à cheval de la garde royale. Déjà vers cette époque il se fait remarquer par un caractère indépendant et des idées libérales. Lors d’un sermon dans une église de Paris, un dimanche, il fait en chaire l’apologie de la liberté et surtout de la liberté religieuse...

Cela déclenche une vive agitation et certains journaux le signalent. A partir de ce moment le clergé de Paris le tient sous étroite surveillance. Un peu avant la Révolution de juillet 1830 il signe dans le journal "Le Réformateur, écho de la Religion et du Siècle", des articles en faveur de la tolérance et de toutes les libertés. Il se présente en démocrate convaincu, revendique avec énergie tous les droits du peuple et dénonce certains abus de l’Eglise romaine.

Ses positions religieuses libérales et gallicanes lui valent d'être "frappé d'interdit" par sa hiérarchie. Mais c’est un homme de caractère, il ne se laisse pas impressionner. Il ouvre une chapelle au n° 18 de la rue des Sept-Voies à Paris et s’attache à développer son projet d’une Eglise Française complètement indépendante de Rome.

La petite Révolution de 1830 (les "Trois Glorieuses") lui donne l’occasion de faire connaître ses idées de réforme. Le vote de la "Charte rénovée" (9 août) autorise la liberté de la presse et l'abolition de la censure. La religion catholique (lisez "romaine") n'est plus "religion d'Etat" comme sous Charles X. Elle devient seulement celle de la majorité des français. "Chacun professe sa religion" proclame la Charte appliquée sous Louis-Philippe.

L’Essor

La révolution de juillet fait affluer les auditeurs dans la chapelle de la rue des Sept-Voies qui devient vite trop étroite. L’abbé Chatel officie ensuite salle Valentino, dans la rue Saint Honoré, puis s’installe au n° 23 de la rue de la Sourdière en janvier 1831. En juin de la même année il célèbre les offices rue de Cléry, salle Lebrun, puis en novembre rue du Faubourg Saint Martin au n°29.

La foule se presse aux portes de la chapelle de l’Eglise Catholique Française, un mouvement enthousiaste accompagne les auditeurs de plus en plus nombreux. Le clergé romain lutte contre les idées de la Révolution de 1830, l’abbé Chatel lui en est un partisan convaincu.

Et puis Ferdinand Chatel est doté d’une éloquence rare, c’est un don fort utile dans la position où il se trouve. Avant la Révolution il avait prêché dans toutes les grandes églises de Paris. Orateur célèbre, "il ne tenait qu’à lui de prendre une place prépondérante dans le clergé romain ; il attirait aux pieds de la chaire de Notre Dame tout ce que Paris comptait de distingué", déclara l’un de ses adversaires. Le clergé de Paris l’appréciait et le regardait comme l’orateur des grandes solennités religieuses. Il n’en fut que plus effrayé lorsque l’abbé développa ses projets de réforme...

C’est pour le peuple que Chatel s’engage. Dans le journal "Le Réformateur" il se pose comme son défenseur : "Force vive d’un Etat ; depuis des siècles, il n’a tenu qu ‘une petite place dans la société, on l’a abusé, trompé, exploité ; enfin il a pris conscience de sa force, mais sa revanche n’est pas encore complète, qu’il élève encore la voix et tout se taira devant lui, car la voix du peuple, c’est la voix de Dieu."

On comprend qu’avec de tels arguments l’abbé Chatel bénéficie d’un large soutien populaire. Les évènements de la Révolution servent sa personne et ses idées. Sur le plan religieux quelles sont-elles ?

Le journal "L’Echo de la Fabrique" dans son édition du 7 octobre 1832 les présente :

Il rejette l’infaillibilité du pape et des conciles et n’accorde ce don qu’à Dieu seul : "C’est une insulte à Dieu," déclare Chatel, "que de proclamer l’infaillibilité d’un homme ; il ne peut y avoir de liberté religieuse là où règne un pouvoir qui se croit infaillible."

Il rejette aussi le droit divin, ou pour mieux dire, il n’en connaît qu’un, le droit du peuple, selon cette maxime : "vox populi, vox dei", la voix du peuple est la voix de Dieu.

Suivant les usages de l’église primitive, il permet aux prêtres le mariage. Plus tolérant que l’église de Rome il accorde la sépulture ecclésiastique à tous ceux dont les dépouilles mortelles lui sont présentées, ne se reconnaissant pas le pouvoir de l’excommunication.

Il supprime le jeûne, et les dispenses de temps et de parenté pour le mariage, s’en rapportant pour les dispenses légales à l’autorité civile.

Enfin, il célèbre les offices en français à une époque où le latin est omniprésent. Il est important de souligner que l’on retrouve ces positions dans la Profession de Foi de l’Eglise Gallicane éditée sous le patriarcat de Mgr Giraud à Gazinet, en 1930... Ferdinand Chatel est un précurseur en bien des domaines.

Ces positions doctrinales, si novatrices pour l’époque, trouvent un écho favorable auprès du peuple. Le nombre de ses fidèles s’accroît très vite jusqu’en 1833 ; en 1830, l’Eglise Française célébre un baptême et quatre mariage à Paris, en 1831 onze enterrements, cent sept baptêmes et cent quatre-vingt mariages ; en 1832, deux cents enterrements, deux cent vingt-cinq baptêmes et deux cent cinquante et un mariages.

L’essor est considérable, autour de lui se regroupent d'ailleurs un certains nombre d'ecclésiastiques qui apprécient sa réforme. Ils participent à la création de cette Eglise catholique indépendante de Rome.

Mgr Chatel 1795-1857
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Elu évêque par le clergé qui le seconde, l’abbé Chatel devient en 1831 Mgr Chatel, évêque-primat de l’Eglise Catholique Française. Il est consacré par Mgr Machault de l’Eglise Johannite des Chrétiens Primitifs, lequel avait été lui-même consacré en 1810 par Mgr Mauviel, évêque constitutionnel des Cayes (Saint Domingue), lui-même consacré en 1800 par l'évêque constitutionnel de Paris Mgr Royer assisté du célèbre Abbé Grégoire, l'évêque constitutionnel de Blois (dont les cendres reposent aujourd’hui au Panthéon des grands hommes de la Nation, à Paris).

Plusieurs journaux s’intéressent à l’œuvre de Chatel, les rédacteurs du "Constitutionnel", Annie et Cauchois Lemaire, lui sont favorables. Mgr Chatel espère même un moment obtenir une aide du Gouvernement, mais celui-ci, tout en reconnaissant que la constitution de l’Eglise Catholique Française ne présente rien qui puisse troubler l’ordre public et la paix civile refuse tout appui.

En 1835 l'Eglise Catholique Française de Mgr Chatel possède des écoles et pensionnats, un séminaire, édite un almanach, des eucologes. De la discipline de l'ancienne Eglise Constitutionnelle (1790-1801) elle a gardé le mariage des prêtres, la participation des fidèles à la gestion des paroisses. Ses journaux sont: - Le Catholique Français et le Bon Pasteur.

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A un moment donné l’Eglise est représentée dans plus de trente départements, avec ses lieux de culte à Nantes, Montrouge, Boulogne sur Seine, Clichy, Gournay sur Seine, Bordeaux, Pétosse en Vendée, Foy et quelques paroisses en Vendée, en Haute Vienne et dans les Hautes Pyrénées, les chapelles de Saint Prix et Ormont, près de Montmorency, Chatenay-Voltaire près de Sceaux, chapelle Saint Sépulcre dans le Loiret, Agy, près de Bayeux, même Bruxelles, en Belgique.

L’église de Nantes est longtemps florissante, les prêtres Saudron et Bonnet qui lui succède font preuve de beaucoup de zèle et de dévouement.

Dans la Haute-Marne, le vicaire général Marche, homme digne et actif dessert les églises de Roches sur Rognon et Bettaincourt. Lorsque viendra le temps des épreuves Mgr Chatel écrira d’elles dans "Le Réformateur" : "Ces églises n’ont pas fléchi sous la persécution ; elles ont dû céder à la force comme à Paris, mais ont gardé, comme la primatie leur mère, la foi."

Dans les Hautes-Pyrénnées les paroisses sont : Lannecorbin, Burg, Sinzos et Lhez. Le premier vicaire général s’appelle Trescazes, il est secondé par le prêtre Rousselin.

En Vendée, l’Eglise Catholique Française est présente dans vingt-deux communes. Les centres les plus importants sont à Pouillé et Puyraveault. Mais le prêtre Guicheteau aura à souffrir d’une grande hostilité de la part du clergé romain, à tel point qu’au moment des persécutions il devra passer en Angleterre pour se sauver.

La Persécution

Nous venons de le voir, l’Eglise de Mgr Chatel s’était rapidement implantée en France, mais son projet de réforme mettait en péril l’influence du pape... Le clergé inféodé au Vatican le voyait et c’était une menace perpétuelle pour un évêque romain que de compter dans son diocèse une paroisse catholique française. Malgré quelques imprécisions doctrinales, l’Eglise Catholique Française aurait pu finir par créer une Eglise majoritaire en France, le Gouvernement de Louis-Philippe ne lui en laissa pas la possibilité. Sous la pression des autorités romaines il prononça la dissolution de l'Eglise et la confiscation de ses biens en 1842, puis la renouvela en 1844.

On fit revivre certaines lois intolérantes oubliées, on en créa de nouvelles, on interpréta les anciennes afin de donner satisfaction à Rome et d’arrêter ce "mouvement d’hérésie" qui grandissait. On appliqua la loi du 18 germinal an II, dont un article stipulait : "On ne peut ouvrir un lieu de culte nouveau, ni faire des réunions sans la permission du Gouvernement." Et aux demandes des prêtres de l’Eglise Française on refusait systématiquement, ou il n’y avait pas de réponse. Les pétitions des fidèles subissaient le même sort.

Ainsi quand le prêtre catholique-français de Gournay en Bray dans la Seine Inférieure (Maritime aujourd’hui), dut partir, ses fidèles adressèrent une pétition à la chambre des députés, forte de 180 signatures, représentant 550 membres. Ils protestaient au nom du principe de liberté religieuse et finissaient par ces mots : "On peut fermer nos temples, on ne nous arrachera pas notre foi."

Malgré la promesse du ministre des cultes de ne jamais se servir contre les réunions religieuses de la loi de 1834 sur les associations, les prêtres de Mgr Chatel furent souvent condamnés en vertu de cette loi. Il suffisait de la mauvaise volonté d’un procureur du roi ou d’un maire pour dissoudre les associations religieuses. On limita le nombre des personnes autorisées à y participer et même, à une certaine heure, elles étaient interdites. Les distributions de brochures à caractère religieux sur la voie publique étaient formellement interdites. On établissait des contraventions pour "distribution illicite d’imprimés sur la voie publique". Enfin les tribunaux exigeaient toujours une autorisation préalable que les autorités ne donnaient pas lorsqu’on leur la demandait.

Cette période de tracasseries et de persécutions de tous ordres contre le clergé et les fidèles de Mgr Chatel va sonner le glas de la fin. L'Eglise survit dans la clandestinité, continuant ses cultes entre deux descentes de police. Un soir de 1842 la police intervient et fait fermer l’église primatiale du Faubourg Saint Martin à Paris pour cause "d’outrage à la morale publique". L’évêque catholique français dépose aussitôt un recours à la chambre des députés invoquant l’article cinq de la Charte votée par les députés lors de la Révolution de 1830 : "Chacun professe sa propre religion avec une égale liberté et obtient pour son culte la même protection." Hélas, cette protestation est vaine.

En 1843 Mgr Chatel fonde un nouveau journal de combat intitulé : "Le Réformateur Religieux" ou "L’Echo de l’Eglise Française". Le premier numéro paraît le 2 avril 1843 et porte comme devise : "Dans les choses nécessaires, unité, dans les choses douteuses, liberté, en toutes, charité."

En parallèle, malgré l’interdit et les scellés placés sur son église, le chef de l’Eglise Catholique Française continue de réunir le noyau dur de ses fidèles à son domicile pour la célébration des offices. Mais le 23 avril 1843, trois commissaires se présentent chez lui, ils trouvent seize personnes assemblées et dressent contravention malgré les contestations.

Mgr Chatel proteste dans son journal contre cette violation de domicile au nom de l’article 76 de la loi constitutionnelle de l’an VIII proclamant tout domicile particulier inviolable. Cet article attire l’attention des autorités sur le "Réformateur".

Celui-ci est saisi et son directeur-fondateur Chatel condamné à un mois de prison et 200 francs d’amende (somme importante pour l’époque) pour avoir "publié le Réformateur religieux, journal traitant de matières politiques, sans avoir satisfait à la formalité du cautionnement."

Les autres églises et chapelles dépendant de la juridiction de Mgr Chatel connaissent les mêmes difficultés et disparaissent peu à peu.

Découragé, l’évêque réformateur passe la frontière et s’établit à Mons, en Belgique. Il tente d’y faire connaître ses idées de réforme, mais sans succès. En même temps il adresse des lettres pastorales en France à ses fidèles et sympathisants.

Il revient ensuite à Paris et, lors de la Révolution de 1848, s’efforce dans une nouvelle tentative de reconstituer son Eglise. Il donne des conférences, prononce dans des clubs des discours contre le célibat des prêtres, l’esclavage, les abus de la confession, l’éducation antinationale des séminaires, pour la souveraineté du peuple, l’amour de la patrie, l’émancipation de la femme, mais les temps ont changé. Surtout, les campagnes de calomnies savamment orchestrées pour discréditer son Eglise ont porté leurs fruits. Sans ressources et sans audience réelle auprès de la population, il ne peut plus faire connaître ses idées de réforme.

En 1850 il est condamné à un an de prison et 500 francs d’amende pour "avoir poussé des soldats à l’insubordination". Dès lors il mène une vie précaire et tombe dans le dénuement. Il essaye de survivre en donnant des leçons de grammaire et de français. On le retrouve ensuite épicier, rue Mouffetard à Paris. Il meurt en 1857 à l’âge de 62 ans, dans l’indigence et la misère.

"Qu'il meure ! criaient-ils, répétant les paroles anciennes, qu'il meure ! Car nous avons trouvé que cet homme est une peste, et que par toute la terre il excite une sédition parmi les Juifs, et qu'il est le chef de l'hérésie des Nazaréens. Il a même tenté de profaner le temple. Alors nous l'avons saisi et nous avons voulu le juger selon notre loi." (Actes des Apôtres 24, 5-6)

Survivance de l'Eglise de Mgr Chatel


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