Quoi que l'on puisse penser de l'Eglise Catholique Française de Mgr Chatel, la structure de la nouvelle Eglise Gallicane qui se met en place après 1870 est constituée par certaines familles issues de l'Eglise de Mgr Chatel.

D'où viennent-elles? De milieux extrêmement différents: Petite Eglise Anticoncordataire (d'où seront issus les futurs Mgr Vilatte et Mgr Giraud), fidèles de communautés nées sous la Révolution de 1789, reste des Assemblées jansénistes, nouveaux mouvements religieux.

Cela explique, me semble-t-il, certaines imprécisions doctrinales apparues dans l'Eglise de Mgr Chatel. Le désir d'être soutenu par les Eglises unitariennes (sorte d'arianisme moderne), l'adhésion un temps aux idées bizarres du Léviticon (publié en 1831), le désir de se démarquer à tout prix du romanisme, le désir également de rallier à soi des communautés issues des théophilantropes et autres mouvements issus de la Révolution, tout cela bouleversa à plusieurs reprises l'Eglise de Mgr Chatel et la fit dériver vers l'arianisme (nie la divinité du Christ, Jésus est regardé seulement comme un homme). De nombreuses influences cohabitaient donc au sein de l'Eglise de Mgr Chatel.

Mais, à l'intérieur de son clergé et de ses fidèles se maintint un autre courant, pleinement catholique et gallican.

De nombreuses polémiques ont existé dans le passé au sujet du caractère catholique ou non de l'Eglise de Mgr Chatel. Mgr Truchemotte avait répondu une fois en 1985:

- "Il est impossible de répondre abruptement par oui ou par non à une telle question. Je me souviens - étant jeune prêtre - avoir en 1954 feuilleté chez Mgr Jalbert-Ville des eucologues et autres manuels de l'Eglise Française. Ils différaient tous... A une année près ils passaient d'idées panthéistes à une copie servile du missel romain.

Tout cela ne volait pas très haut. Mais c'était la résistance du courant gallican à travers la persécution et la confusion doctrinale.

Chatel avait plus d'éloquence que de doctrine, plus de ténacité que de souplesse, il était de la race qui fait les martyrs plus que les pères de l'Eglise.

D'autres ne le suivirent pas dans ses errements, mais ne quittèrent pas l'Eglise Catholique Française. Où seraient-ils allés ?

Un courant plus traditionnel fut certainement représenté par des prêtres comme les abbés Auzou, Vinot et surtout par Mgr Alexandre Montferrier."

Après Vatican Un

Une importante partie des catholiques qui refusent le double dogme de l'infaillibilité et primauté universelle de droit divin du pape défini par le concile romain de Vatican 1 en 1870 se tourne vers le siège apostolique d'Utrecht, séparé de Rome au moment de la bulle Ugenitus (XVIIIème siècle). C'est ainsi que naissent l'une après l'autre les Eglises Vieilles-Catholiques qui forment encore actuellement l'Union d'Utrecht, soit une dizaine d'Eglises répartis à travers le monde: Eglise Vieille-Catholique d'Allemagne, de Suisse, d'Autriche, etc.

Mais l'Union d'Utrecht échoue dans d'autres pays et principalement en France, nous allons essayer de comprendre pourquoi ?

La chapelle Saint Jean-Baptiste de Bordeaux

D'abord il nous faut braquer les projecteurs de l'Histoire sur Bordeaux où résident des familles de fidèles de Mgr Chatel (il y eut une paroisse à Bordeaux).

Là va se condenser le noyau de ce qui va devenir le mouvement de Gazinet. Installé dans la chapelle Saint Jean-Baptiste de la rue de Verteuil le mouvement reçoit un double appui: celui de familles venues de l'Eglise de Mgr Chatel, mais aussi celles qui continuent la tradition janséniste. Il faut se souvenir, en effet, que Bordeaux fut un haut-lieu de l'opposition au jésuitisme. De nombreuses familles bordelaises et girondines se considéraient comme les héritières de la tradition de Port-Royal, elles furent pourtant très peu favorables au mouvement d'Utrecht. En effet, ces familles étaient surtout gallicanes dans le sens ou l'entendait Bossuet, leur "jansénisme" se bornait à la lecture préférentielle de Saint Augustin, des Messieurs de Port Royal, de la "Défense de l'Eglise Gallicane" de Bossuet et à l'abonnement à "La Revue Ecclésiastique", à "L'Observateur Catholique", au "Catholique Français" et au "Réveil Catholique".

Ces Port-Royalistes bordelais soutinrent l'Abbé Junqua et des prêtres qui l'épaulaient (Abbés Mouls et Michon), mais en considérant leur action plus comme une "ormée", une fronde provisoire que comme un schisme définitif. En fait ils considéraient "Vatican Un" comme un accès de folie - comme l'Eglise en avait parfois connu - et comptaient sur un retour au bon sens un jour ou l'autre. Et puis, à leurs yeux, Utrecht et Genève, en se rapprochant de l'anglicanisme altéraient le dépôt de la Foi catholique.

Il faut encore souligner que l'Abbé Pierre-François Junqua, docteur en théologie était aussi le directeur du journal "Le Rosier de Marie", qu'il fut un témoin et un défenseur de Bernadette Soubiroux, sorte d'avocat des Apparitions de Lourdes. Rien qui puisse beaucoup plaire au mouvement d'Utrecht. C'est sur des questions de reliques, de culte des saints, de piété mariale que le catholicisme gallican s'éloignera petit à petit du mouvement d'Utrecht pour se rapprocher d'autres Eglises Vieilles-Catholiques comme la Old Catholic American Church (dont l'un des représentants en Europe, Mgr Bonnet, fut le consécrateur principal - avec Mgr Laurent - de Mgr Truchemotte en 1970) ou de certaines Eglises Orientales qui soutiendront ensuite Mgr Vilatte puis Mgr Giraud lors du mouvement des cultuelles en 1907-1908, et même longtemps après: Mgr Kibarian de l'Eglise Arménienne est souvent cité dans la collection du journal Le Gallican - période 1921-1950.

La Paroisse Parisienne du Père Loyson

Il est important de rappeler à nos lecteur l'existence de la paroisse parisienne du Père Hyacinthe Loyson. Ce religieux carme, célèbre par sa déclaration fracassante contre "le prétendu dogme de l'infaillibilité" (1870) fonda à Paris en 1879 une paroisse qui fut reconnue sous le nom d'Eglise Catholique Gallicane par décret du président de la République le 3 décembre 1883. La notoriété du Père Hyacinthe, illustre prédicateur, attirait les foules dans son église de la rue d'Arras et, grâce à certaines protections, les plus hautes autorités de l'Etat se montraient bienveillantes.

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Mais l'arrivée en 1887 d'un vicaire ordonné par la Suisse (Abbé Volet) poussa le Père Hyacinthe vers la sortie. On lui reprocha son mariage contracté en 1872, ses idées oecuméniques un peu trop en avance sur son époque. On oubliait pourtant que ces mêmes idées généreuses attiraient les foules dans son église.

Le 3 mars 1893 le Père Hyacinthe fut obligé de démissionner. Le 1er mai, Mgr Gul, archevêque de l'Eglise Vieille-Catholique de Hollande prit possession de la paroisse parisienne ex-gallicane au nom de l'Union d'Utrecht. Mais des divergences naquirent parmi les fidèles. La communauté se scinda en deux blocs. Une moitié accepta la tutelle hollandaise, emmenée par les Abbés Volet et Van Thiel; l'autre moitié conduite par l'Abbé Bouland refusa de se soumettre au siège hollandais. Il y eut alors rupture et constitution de deux paroisses distinctes à Paris: l'une vieille-catholique, soumise à Utrecht; l'autre gallicane, sous la direction spirituelle de l'abbé Bouland. Cependant, ni l'une ni l'autre n'auront l'impact charismatique du Père Hyacinthe. Elles se désagrégeront lentement.

Force est de constater dans cet épisode, et même plus tard, que les catholiques gallicans n'avaient pas quitté Rome pour se placer sous l'autorité d'un siège étranger: Utrecht, Canterbury, Patriarcats orthodoxes ou ailleurs...

Le catholicisme gallican a toujours voulu rester libre et administrer lui-même sa propre Eglise Gallicane. C'est ce que put réaliser Mgr Giraud par la suite, notamment en créant le siège patriarcal de Gazinet en 1928.


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