Le nom de Monseigneur Guilbert demeure peu connu à Bordeaux. Il est pourtant juste et bon de venir déposer la gerbe du souvenir gallican sur sa mémoire.

Cet évêque marqua l'Eglise d'Aquitaine d'un véritable souffle de bonté et de tolérance au sortir d'une période dure à l'encontre du courant gallican.

Ces pages d'histoire girondine seront précieuses à tous ceux qui ont du mal à saisir ce qui se passa en Aquitaine à partir de 1883.

Au Temps du Cardinal Donnet

Pour bien cerner la silhouette de Monseigneur Guilbert il faut obligatoirement la comparer à celle de son prédécesseur, et dire que nous avons là les deux contraires absolus.

Parlant de la venue dans la cité d'Ausone de Monseigneur Guilbert un historien bordelais écrit:

- "Quel trouble profond dans la vie diocésaine n'allait pas apporter une aussi étrange succession : un prélat gallican succédant à deux ultramontains convaincus dont l'intervention avait été dominante dans la définition du dogme de l'infaillibilité".

Ces lignes sont extraites du Bordeaux du XIXème siècle édité en 1969 par la Fédération Historique du Sud-Ouest sous la direction de Louis Desgraves, conservateur en chef de la bibliothèque municipale de Bordeaux. Nous citerons plusieurs fois ce livre au cours de cette étude.

Le prélat gallican cité par l'auteur c'est, bien entendu, Monseigneur Guilbert ; et les deux ultramontains sont le cardinal Donnet et son coadjuteur Monseigneur de la Bouillerie.

En ce qui concerne le premier, nous avons déjà écrit dans plusieurs études sur les abbés Mouls et Junqua combien il fut l'évêque d'une classe et d'un parti. Fait sénateur par l'Empire, il fut l'homme de Napoléon III et fit bloc avec lui contre tous ceux qui espéraient une Eglise à visage humain. Peu de figures ecclésiastiques symbolisent autant que la sienne ceux que Victor Hugo fustigeait dans les Châtiments.

Il dépassa les limites de l'odieux dans sa persécution des prêtres fidèles à la doctrine gallicane de Bossuet. Il suffit de lire le journal "l'Aquitaine" de 1872 accusant l'Abbé Mouls : "chanoine et ancien courtier électoral du juif Péreire" (23 mars) - "l'Aquitaine" était l'organe officiel de l'archevêché du cardinal Donnet - pour mesurer le ton d'une campagne diffamatoire où l'on peut relever les mots de : "compères, illettrés, incultes, saltimbanques, défroqués, enjuivés, hérésie gasconne", concernant les abbés Mouls, Junqua, Michon et d'autres, dont le seul tort était d'avoir refusé les idées du concile Vatican Un.

"L'Aquitaine", "L'Avenir", "Le Temps" tiraient à boulets rouges sur les prêtres gallicans où l'on relève ces lignes : "les fidèles qui assistent à ces jongleries sont des commis-voyageurs, des bourgeois philosophes, des communeux, quelques juifs, un rabbin".

Il faut bien réaliser cela pour comprendre la bouffée d'air pur représentée par l'arrivée à Bordeaux de Monseigneur Guilbert.

Au Temps de l'évêque de Perga

Mais avant la venue de Monseigneur Guilbert les girondins connurent pire encore. La santé du cardinal Donnet était devenue défaillante et son autorité finit par passer entre les mains d'un coadjuteur encore plus intolérant que lui. La présence de Monseigneur de la Bouillerie, archevêque titulaire de Perga, aux rênes de l'Eglise de Bordeaux acheva de creuser le fossé entre la masse des fidèles catholiques profondément imprégnée de gallicanisme et les tenants du pouvoir imposant un catholicisme ultramontain et politisé.

Déjà au temps du cardinal Donnet il fallait soigneusement protéger ce dernier de la proximité de "ses fidèles".

Pour qui penserait que ceci est une exagération voici - rapporté par "La Guienne" - la procession de la Fête-Dieu en 1872 :

"Un peloton de dragons ouvrait la marche, puis venaient, selon l'habitude, les écoles des frères, le grand et le petit séminaire, le clergé des diverses paroisses, les chanoines de la primatiale, enfin le dais.

"Le cortège, qui avait un kilomètre de développement, était escorté à droite et à gauche par les soldats du 57ème et du 123ème. Leur attitude, tout à la fois respectueuse et décidée, annonçait que la répression ne se serait pas fait attendre, s'il eût pris fantaisie aux communards de troubler cette pieuse manifestation...

"Le dais, sous lequel marchait Son Excellence le cardinal Donnet, était escorté par des gendarmes à la taille élevée, à l'oeil martial, à la fière tenue qui, eux non plus, n'auraient pas reculé devant une sévère répression."

Sévère répression, c'est un leitmotiv au service de celui qui fut : "une manière de roi plébéien"… Telle est la définition du livre que nous citions plus haut : "Histoire de Bordeaux au XIXème siècle".

Cette police, ces dragons, ces gendarmes au service de l'archevêque et de son coadjuteur ne se contentent pas d'escorter, ils passent à l'offensive contre tout ce qui déplaît au cardinal… Perquisition au 7, rue d'Albret, au domicile de l'abbé Mouls ; perquisition au 11, rue de Vertheuil, chez le chanoine Junqua ; deux ans de prison à chacun pour avoir critiqué le cardinal Donnet dans le journal "La Tribune" - l'archevêque n'était pas nommé, mais il s'était reconnu dans "l'archétype du restaurant Robinson qui buvait du champagne en évangélisant sa maîtresse" - six mois de plus à l'abbé Junqua pour avoir continué à porter la soutane malgré l'interdit du cardinal Donnet.

Cependant, alors que la Bouillerie va durcir son attitude, inciter les ultramontains à de véritables pogroms contre les foyers de culte du gallicanisme en Gironde les dernières années du cardinal Donnet seront tempérées par l'opposition qui le dresse contre son coadjuteur. La rivalité des deux hommes est de plus en plus implacable et elle amène assez bizarrement le cardinal à mettre de côté son ultramontanisme de choc. Citons encore l'Histoire de Bordeaux au XIXème siècle, page 316 :

- "Les relations entre les deux prélats devinrent vite assez délicates pour des raisons d'ordre pastoral. En effet, quand Mgr de Perga arriva à Bordeaux le cardinal ne pensait plus exactement comme au temps du concile du Vatican, où il s'était montré partisan convaincu de l'infaillibilité pontificale. Il commençait à prendre ses distances vis à vis d'un ultramontanisme dont il jugeait les positions excessives et contraires à une longue tradition. Il se rapprochait de mois en mois de Monseigneur Dupanloup".

Que Monseigneur Donnet sentant la mort s'approcher ait eu quelques regrets et quelques remords, pourquoi pas ? Qu'il ait fini par écouter la voix gallicane de Monseigneur Dupanloup ? Qui sait ! En tout cas il était trop tard pour réparer les désastres d'un pontificat de gloriole et d'abandon de tout ce qui fit la grandeur de l'Eglise de Bordeaux ; déjà Monseigneur de la Bouillerie se voyait comme le véritable primat d'Aquitaine de fait.

Mais Dieu en avait décidé autrement.

Le Double Coup de Théâtre à Bordeaux

Qu'ils soient gallicans ou romains, les fidèles catholiques de Bordeaux devaient avoir coup sur coup deux surprises. La première fut le décès presque simultané des deux évêques, le successeur désigné précédant le cardinal dans sa tombe : la Bouillerie le 8 juillet 1882 et Donnet le 23 décembre. La seconde fut la désignation par décret du 5 juin 1883 de Monseigneur Guilbert, l'un des évêques réputés en France comme libéral et gallicanisant.

Surprise et colère dans les milieux romains. On pensait que la mort du cardinal Donnet allait durcir le camp catholique et mettre un "évêque à la crosse de fer" à la tête de l'Eglise d'Aquitaine. On découvrait tout d'un coup le contraire.

Surprise et désarroi dans les milieux gallicans… Là aussi on attendait un la Bouillerie et - il faut le dire - on l'attendait de pied ferme. Après les périodes de persécution déjà évoquées plus haut les familles gallicanes de la Gironde venaient tout juste de relever la tête.

Le changement politique avait permis cette chose impensable : l'on pouvait pratiquer librement le culte gallican. Les catholiques gallicans avaient leur Eglise officielle… Et pas depuis longtemps !

Comparons ces deux dates :

3 décembre 1883 : décret du Président de la République autorisant la célébration du culte catholique-gallican pour la chapelle parisienne du Père Hyacinthe Loyson, ancien définiteur provincial des Carmes au Broussey en Gironde.

23 décembre 1883 : décès de Monseigneur Donnet.

Les mauvais plaisants disaient qu'il n'avait pu survivre plus de vingt jours à la nouvelle.

Arrivée Difficile

C'est un Bordeaux en pleine effervescence que devait trouver en y arrivant Monseigneur Guilbert. Les attaques contre lui se succèdent. Elles s'engagent non seulement dans la presse politique anti-démocrate et anti-sociale, mais dans les organes même de l'archevêché ou les donnettistes n'ont pas désarmé. La première action de Monseigneur Guilbert est un acte de remaniement. A la suite d'un article particulièrement hostile il décide de remplacer l'ultramontain et virulent abbé Bertrand, homme du cardinal Donnet par l'érudit chanoine Callen qui - assisté de son confrère et ami le chanoine Allain - donne au bulletin diocésain un ton résolument nouveau.

Quand il prit la direction du diocèse de Bordeaux Monseigneur Guilbert avait 71 ans. Ses opinions étaient connues, elles allaient dans le sens d'une ouverture au social et à la démocratie.

Disciple de Monseigneur Maret, il ne pouvait admettre que l'Eglise reste une féodalité où le service d'une caste de profiteurs passe au dessus du service de Dieu.

Quand le cardinal Donnet était parvenu dans la chaire apostolique de Saint André, son prédécesseur assez somnolent avait laissé 175 paroisses sans curé. Pour remplacer ce clergé, pour remplacer aussi les prêtres suspects de gallicanisme qu'il fit interdire ou déplacer après 1870 il fit appel à l'Ordre des jésuites, à l'époque particulièrement politisé et fanatisé. Ce clergé fit - jusqu'à l'arrivée de Monseigneur Guilbert - régner un climat aux antipodes de l'Evangile.

C'est une période de l'histoire religieuse bordelaise que nous pouvons suivre à travers les quelques exemplaires restants d'un groupe de livres de combats signés de trois étoiles et qui couvraient les noms des prêtres restés fidèles au gallicanisme sous Donnet : Le Maudit (1864), La Religieuse (1864), Le Jésuite (1865), Le Moine(1865), Le Curé de Campagne (1867), Les Odeurs Ultramontaines (1867), Les Mystiques (1869), Les Mystères d'un Evêché (1872). Autant de témoignages tant du sabotage de l'Eglise par le clergé du cardinal Donnet que des efforts accomplis par un groupe de prêtres résistants afin de tenter de sauver ce qui pouvait l'être encore.

Pour voir la photo en plein écran cliquer ici.

Monseigneur Guilbert semble avoir mesuré pleinement l'état de faillite spirituelle du diocèse. Très tôt il prit les choses en main et dessina une action de renouveau catholique dans les paroisses d'Aquitaine. Son premier soin fut d'abord de restaurer les conférences ecclésiastiques abolies par le cardinal Donnet, puis de faire rédiger par le chanoine Allain un plan d'études pour le clergé harmonisant les connaissances religieuses avec les nouveaux progrès de la science.

Un cercle Ozanam fut créé pour faire face au cercle Fénelon qui continuait à diffuser les idées de Donnet.

Les Familles Gallicanes et Monseigneur Guilbert

Pour les familles qui à l'appel du Père Loyson, du chanoine Mouls et de tout le clergé opposant à Vatican Un avaient rompu avec l'archevêché de Bordeaux tout était simple dans le comportement à tenir du vivant du cardinal Donnet. Il était l'adversaire absolu.

Il n'en fut pas de même sous Monseigneur Guilbert. Nombre de familles catholiques gallicanes se sentirent proche de cet ecclésiastique qui sur nombre de points reprenait leur combat.

Si Monseigneur de la Bouillerie avait vécu il aurait pris la suite du cardinal Donnet et, les catholiques gallicans se seraient certainement unis dans la riposte. Paradoxalement, la présence de Monseigneur Guilbert les démobilisa.

La République également en votant en 1882 les lois contre les congrégations avait mis le holà à l'absolutisme religieux. C'était un autre point positif. Puis en 1885 parut un livre de Monseigneur Guilbert intitulé : "La Démocratie et Son Avenir Social et Religieux ." Son audience fut très importante. La trilogie - justice, liberté, paix - était la contre-offensive aux idées d'un Donnet. On la retrouvait d'un bout à l'autre du livre et chacun se répétait les paroles du nouvel archevêque de Bordeaux :

- "La démocratie est juste. Dieu nous sauvera par le suffrage universel lorsque nous saurons en bien comprendre les devoirs chrétiens."

Monseigneur Guilbert sut également ne pas se compromettre dans la basse politique des partis. Il se contenta de rappeler les voies de l'Evangile tout en refusant en 1885 l'offre proposée par le comte Albert de Mun de fonder un grand parti unique catholique. Il faut lire sa réponse à l'amiral Gicquel des Touches dans "l'Aquitaine" du 20 novembre 1885 :

- "L'Eglise n'est pas un parti politique, elle doit se tenir dans le domaine spirituel".

Sur ce plan là les familles gallicanes se sentaient rassurées par Monseigneur Guilbert. Il existait cependant un mouvement gallican indépendant qui cherchait les moyens de restaurer l'Eglise de France sans passer par les solutions romaines… L'abbé Junqua tint à Bordeaux clandestinement ou publiquement selon les circonstances ses lieux de culte ouverts, principalement la chapelle Saint Jean-Baptiste.

Les Racines Jansénistes et Gallicanes

Pour expliquer la vitalité et l'importance du catholicisme gallican en Gironde il faut remonter à ses sources, aux grandes époques du jansénisme où Bordeaux fut un haut-lieu d'opposition au jésuitisme. Nous avons déjà évoqué dans une étude consacrée à l'Eglise de Mgr Chatel et à sa continuité comment de nombreuses familles bordelaises se considéraient héritières du mouvement de Port-Royal et du gallicanisme dans le sens où l'entendait Bossuet.

Ces port-royalistes bordelais soutinrent les positions des prêtres opposants à Vatican Un, mais ils considérèrent leur action plus à la façon d'une fronde provisoire que d'un schisme définitif.

En fait ils considéraient Vatican Un comme un vent de folie qui sous diverses formes avait maintes fois secoué l'Eglise. L'attitude était de rester dans la Foi catholique, de suivre la messe du prêtre qui ne s'écartait pas trop de Saint Augustin, de défendre la mémoire de ceux qui avaient jadis soutenu Port-Royal et de continuer à résister.

Le cardinal Donnet avait tout fait pour réduire ces foyers de maintenance port-royaliste, en allant même jusqu'à installer un collège de jésuites dans le haut-lieu spirituel de la Sauve-Majeure. Jusqu'à Donnet les bordelais avaient espéré que l'Eglise relèverait cette abbaye gallicane qui fut celle des bénédictins de Saint Maur, adversaires des jésuites. Sur cette congrégation citons un nom, celui de Dom Gabriel Gerberon qui, de sa prison continuait lors de l'affaire de Port-Royal à écrire contre le néo-pélagianisme des jésuites.

Le cardinal Donnet en faisant construire avec les pierres même de l'antique abbaye un collège de jésuites faisait à la fois œuvre de vandale archéologique et d'insulteur du passé bénédictin. Il ne réussit pas à faire de la Sauve-Majeure ce qu'il espérait et finalement le domaine de Tivoli finit par lui succéder en tant que base de formation du néo-thomisme (mot cher à Monseigneur de la Bouillerie).

La Prudence de Monseigneur Guilbert

Nous avons fait remarquer plus haut que Monseigneur Guilbert refusa de s'engager dans la politique comme l'avait fait son prédécesseur. Il eut la même prudence vis à vis d'autres engagements tout aussi compromettants. Ainsi il refusa d'apporter l'appui de sa présence dans les salons bordelais où soit Monseigneur Donnet, soit Monseigneur de la Bouillerie cautionnaient entre deux petits fours les familles les plus en vue de Bordeaux.

Le cardinal Donnet a-t-il créé par son comportement et celui de son clergé l'anticléricalisme qui n'existait pas à Bordeaux avant lui ? L'attitude modeste et réservée de Monseigneur Guilbert fit beaucoup pour diminuer la colère bordelaise. Appliquant une formule qui avait porté ses fruits lorsqu'il était évêque d'Amiens il fit savoir qu'il n'accepterait aucune invitation de laïques, mais se tiendrait toujours à la disposition de ceux qui voudraient l'entretenir.

Ce fut le summum de la consternation dans certains milieux "bien pensants" habitués à la façon de faire des évêques épinglés par les abbés Mouls et Junqua dans le journal "La Tribune" ; fini les parades épiscopales au milieu des courbettes et des baise-mains ; fini les demandes de dispenses entre deux coupes de champagne ; fini les conversations d'abbés de cour accompagnant Son Excellence. Il faudrait faire antichambre dans les couloirs de l'archevêché pour être reçu à son tour, même si l'on était riche et titré.

Monseigneur Guilbert tint bon et, peu à peu, regagna les sympathies perdues. Il n'avait plus besoin de l'escorte policière et martiale de son prédécesseur pour visiter ses ouailles.

Enfin il fit rouvrir les Ecritures. La Bible reprend sa place dans les lectures saintes. Plus haut que les discussions d'écoles et de partis le Livre des Livres doit rayonner. Dans l'ouvrage "Bordeaux au XIXème siècle" l'auteur cite une phrase de Imbat de la Tour dans une lettre au chanoine Pailhès ; évoquant Monseigneur Guilbert Imbat de la Tour écrit :

- "Il aura sa place dans l'histoire religieuse de notre temps ; tous les hommes sincères lui sauront gré d'avoir rappelé que le Livre Eternel devait être placé bien en dehors de nos discussions et de nos querelles de partis."

Homme de conciliation et de bon sens, Monseigneur Guilbert va laisser derrière lui un sillage de paix.

Les communautés de l'Abbé Junqua du vivant de Monseigneur Guilbert

Les adversaires de l'Eglise Gallicane se sont livrés durant l'occupation nazie d'une part à faire interdire cette Eglise (décret numéro 1918 paru au journal officiel du 15 juillet 1944 et aboli par le Général de Gaulle à la Libération), d'autres part à en détruire systématiquement les documents.

Des hommes comme le docteur Fleury, président de la société scientifique d'Arcachon ont dénoncé, au sujet de la vie de l'Abbé Mouls, l'odieux de cette campagne de mutilation de l'Histoire. Sur la période qui va depuis le 5 juin 1883 jusqu'au 15 août 1890 les documents manquent pour dresser un tableau exact de la présence et de l'activité des catholiques gallicans.

Ce qui est incontestable, c'est que la vie religieuse farouchement persécutée sous le cardinal Donnet devint plus facile. Dès 1877 l'Abbé Junqua avait repris la direction des familles et des prêtres fermement opposés à Vatican Un. Il l'avait fait avec assez d'appuis pour pouvoir d'une part rééditer son livre : "Réponses aux Calomnies Ultramontaines", imprimé une première fois à Bordeaux en 1872 ; et en publier un second intitulé : "L'Eglise Démocratique et Sociale de la Liberté".

Pour voir la photo en plein écran cliquer ici.

Eglise démocratique et sociale… Sur de nombreux points les idées de Monseigneur Guilbert et celles de l'Abbé Junqua se rejoignaient. Aurions-nous vécu dans un siècle d'œcuménisme, il est possible que les communautés romaines et gallicanes aient trouvé là un terrain d'entente et d'intercommunion. Hélas ! Nous n'en étions pas là.

C'est rue de Vertheuil que fonctionne la chapelle Saint Jean-Baptiste de l'Abbé Junqua en 1883. Nous ignorons si elle se trouvait au lieu de l'ancien domicile de l'Abbé, c'est à dire au 11, là où la police perquisitionna en 1872 pour saisir les écrits gallicans de ce dernier. Il semble probable - vu le peu de moyens de l'Abbé - qu'il fit transformer quelque remise ou quelque chai de la rue de Vertheuil plus ou moins attenant à sa maison pour y établir la chapelle Saint Jean-Baptiste.

Les noms de plusieurs familles qui fréquentèrent entre 1883 et 1890 le lieu de culte nous sont restés, soit par les quelques documents de l'époque qui restent, soit par les souvenirs des familles appartenant encore au gallicanisme.

Des membres de la famille du député Billaudel (qui écrivit une vie de Saint Jean Gerson dont il démontra qu'il avait écrit "L'Imitation de Notre Seigneur Jésus-Christ" - Billaudel avait été maire de Bordeaux), des membres des familles Darthial, Martin, Arman, Sauret, Coustère, Isnard, Hostein, Loiseau, Mouls, Laveau fréquentaient la messe de l'Abbé Junqua.

L'on retrouve plusieurs de ces noms sur les listes de l'association cultuelle Saint Louis entre 1916 et 1928. Il ne semble pas qu'il y ait eu rupture dans ces familles puisqu'à l'époque où mourut l'Abbé Junqua à Bordeaux (1899) les communautés de fidèles qu'il avait rassemblé n'eurent que sept ans avant de trouver l'appui du mouvement des cultuelles et de la loi de 1905.

Rappelons que près de 200 associations cultuelles catholiques non romaines furent et déclarées en France vers 1907. Elles se regroupèrent et s'organisèrent au sein de la "Ligue des Catholiques de France", dirigée par le journaliste Henri des Houx, puis au sein du "Secrétariat des Associations Cultuelles Catholiques" dirigé par l'abbé Félix Meillon et l'avocat Bonzon. Elles firent appel à un archevêque non romain venu d'Amérique du Nord pour structurer le mouvement : Monseigneur Joseph-René Vilatte.

L'Arrivée de Monseigneur Lecot

Après la mort de Monseigneur Guilbert (1890), un ami de la famille du président Sadi Carnot déjà nommé évêque de Dijon en 1886 et fortement soutenu par les milieux ultramontains fut installé sur le siège épiscopal de Bordeaux.

Le cardinal Rampolla, secrétaire d'Etat du pape Léon XIII venait d'approuver publiquement le "toast d'Alger" par lequel l'Eglise de Rome allait transformer son attitude envers la République. Le ralliement de Monseigneur Lecot lui valut un chapeau de cardinal.

Sur le plan purement religieux il reprit la politique "dure" du cardinal Donnet. Suscitant un mouvement assez paradoxal il réussit à allier une farouche défense des privilèges de classe et de fortune à des idées se revendiquant de la justice sociale. "Justice Sociale" fut justement le nom de l'hebdomadaire fondé avec son approbation par l'Abbé Naudet.

Les familles gallicanes de la Gironde se retrouvèrent dans la même opposition au cardinal Lecot qu'au cardinal Donnet et appuyèrent la loi de 1901 sur les associations. A sa faveur plusieurs groupes de catholiques gallicans purent se déclarer en Gironde sous des noms divers.

Des feuilles sans grande diffusion firent le lien entre les familles, elles préparaient le mouvement des cultuelles de 1906 et 1907. La loi de séparation de 1905 qui voulait permettre aux catholiques de gérer, eux mêmes, les lieux de culte fut refusée par le Vatican et, à Bordeaux, par Monseigneur Lecot. L'encyclique Gravissimo du pape Pie X s'opposa à toute association cultuelle. De véritables batailles rangées opposèrent gallicans et ultramontains devant Saint Louis, Saint Martial et Notre-Dame de Talence. Refusant la loi sur les cultuelles l'Eglise Catholique Romaine se trouvait, en France, sans statut légal.

La loi de séparation, en chassant Monseigneur Lecot du princier archevêché de la rue Vital Carles ramenait l'Eglise Romaine sur Bordeaux à des positions moins privilégiées. Mais la tentative d'établissement de plusieurs centaines de cultuelles catholiques non romaines, les réussites et les échecs qui s'ensuivirent forment l'élément d'une tout autre étude que celle d'aujourd'hui.

Conclusion

La période durant laquelle Monseigneur Guilbert exerça son épiscopat à Bordeaux marque indiscutablement une halte dans la querelle opposant les partisans de Vatican Un et ceux du gallicanisme. Doit-on considérer cette période comme bienfaisante par son esprit apaisant ou néfaste par son côté démobilisateur ? Il ne nous appartient pas de trancher. En tout cas la figure de Monseigneur Guilbert mérite de figurer au vitrail gallican par son ouverture et sa bonté.


Sommaire