Jeudi 27 septembre 2012, cela faisait très exactement 100 ans que l’évêque Julien-Ernest Houssaye, plus connu sous le pseudonyme d’Abbé Julio, fut rappelé à Dieu.

Ce sont ses livres de prières qui l’ont rendu célèbre. Réédités en permanence depuis sa mort, ils sont utilisés dans de nombreuses familles qui les apprécient pour leur simplicité et leur bon sens. C’est sans doute la première chose à souligner pour rendre hommage à la personnalité de l’Abbé Julio : le succès de ses livres. Pasteur authentique, il avait compris qu’il fallait donner aux chrétiens des livres de prières leur permettant d’exprimer leur foi simplement et directement. Il sut avec une grande justesse aborder les vrais problèmes de la foi populaire. Sans cette qualité, ses livres n’auraient eu aucun succès.

Pour voir la photo en plein écran cliquer ici

Mais il y a plus à dire sur le personnage. D’abord c’était un homme courageux. Dans sa jeunesse il fut un aumônier héroïque lors de la guerre de 1870 opposant la France à l’Allemagne. Il a sauvé de nombreuses vies. Plus tard cette nature combative lui a permis de se battre contre les injustices et les pharisiens de son époque, dénonçant des scandales qui salissaient l’institution religieuse. Il a aussi été journaliste, précepteur, comptable, écrivain. Mais il fut par-dessus tout pasteur et homme de prière. Le mystique n’est jamais loin chez lui. C’est cette qualité visionnaire qui l’a conduit à écrire les livres qui ont fait son succès. C’est encore cette qualité qui a fait de lui le premier évêque de l’Eglise catholique libre de France en 1904, la première Eglise Gallicane moderne en quelque sorte, juste après la paroisse parisienne du Père Hyacinthe Loyson. Ce caractère épiscopal allait changer bien des choses au sein du courant gallican. En effet, c’est Mgr Julien-Ernest Houssaye, « l’Abbé Julio », qui conférait l’épiscopat en 1911 à Mgr Giraud. Devenu évêque, Mgr Giraud allait établir cinq ans plus tard l’Eglise Gallicane à Gazinet, en Gironde. Soutenu et aidé par de nombreuses familles, il créait l’association cultuelle Saint Louis le 15 février 1916. Six ans plus tard il fondait le journal « Le Gallican ». Pour toutes ces raisons, il est normal de rendre hommage à « l’Abbé Julio ». Notre Eglise lui doit beaucoup. C’est un grand ancêtre.

Sa Jeunesse

Né le 3 mars 1844 à Cossé le Vivien, en Mayenne, fils d’un ouvrier du bâtiment, il eut pour devenir prêtre les difficultés que l’on rencontrait à cette époque quand on appartenait au milieu populaire.

En 1870 nous le retrouvons vicaire du Grand Oisseau, mais quand la guerre éclate il se porte volontaire et devient aumônier des Volontaires de l’Ouest du Général Cathelineau. Et l’Abbé Julio devient un héros national, non par des succès militaires, mais par un dévouement merveilleux auprès des blessés: en un seul jour il ramène dix blessés sous les balles ennemies; dans la nuit qui suit il conduit dans la forêt vingt soldats égarés. Dans ses mémoires le Général Cathelineau ne marchande pas ses éloges sur le « brave Abbé Houssaye ».

Un Homme Juste et Combatif

Après la guerre l’Abbé Julio est nommé au vicariat de Juvigné, puis de Javron; mais sa santé est gravement altérée par les fatigues de cette dure campagne et il devra être admis en hôpital militaire. Il en sort pour se voir confier un vicariat en l’église Saint Joseph de Paris. Là, ses idées sociales et son bon sens religieux sont plus appréciées des fidèles qui le chérissent que de son évêque le Cardinal Richard qui fait régner la terreur ultramontaine sur son clergé. Le 28 février 1885, il est alors nommé par disgrâce à la paroisse Sainte Marguerite, ayant eu le front de poursuivre en justice, pour escroquerie, deux protégés laïques de l’évêché.

Vocation à Ecrire

L’Abbé Julio fonde alors un journal à tendance gallicane « La Tribune du Clergé » et publie plusieurs livres de combat qui finissent de le perdre auprès du pouvoir ecclésiastique romain. En 1888, nous le trouvons collaborant au journal « L’Ami de l’Humanité ». De 1888 à 1889, il crée et anime une petite feuille périodique : « La Tribune Populaire », organe de la démocratie religieuse et de la défense du clergé. Ses ressources financières et matérielles sont plus que limitées. Il survit en donnant des leçons, puis, un jour, fait la connaissance d’un guérisseur mystique extraordinaire opérant par la seule prière : Jean Sempé. Celui-ci lui démontre que le Christ a donné à ses disciples le pouvoir d’imposer les mains aux malades, et à l’Eglise, des charismes de guérison qu’elle délaisse.

A partir de ce moment le mérite de l’Abbé Julio sera de passer une partie importante de son temps à fouiller les anciens rituels de l’Eglise pour y chercher les textes antiques de réconfort et d’intercession. Surtout, il dégage une doctrine de la guérison qu’il expose autour de lui: il prie, il impose les mains et fait constater à tous le pouvoir gigantesque de la prière de Foi. A partir du très classique Bénédictional Romain, il écrit le « Livre des Secrets Merveilleux » qui connaît un succès sans précédent.

Le Sacre Episcopal

Vers 1901, alors qu’il résidait à Fontenay sous Bois, l’Abbé Julio reçoit la visite de Monseigneur René Vilatte dont il deviendra par la suite un des successeurs dans l’épiscopat.

Le 4 décembre 1904 il est consacré évêque comme chef de l’Eglise catholique libre de France par Mgr Paolo Miraglia, lui-même évêque de l’Eglise catholique indépendante d’Italie et consacré le 6 mai 1900 par Mgr Vilatte.

L’Etincelle et le Mouvement des Cultuelles

Il fonde encore une revue: « L’Etincelle Religieuse, Libérale et Sociale », organe de l’union des Eglises. Elle sera publiée régulièrement durant plus de dix années. Parmi les collaborateurs de cette revue qui signent des articles on trouve les noms de F. Appy, l’Abbé Michon (le fondateur de la graphologie), le RP Tyrrel (cité à plusieurs reprises dans le troisième livre d’Albert Houtin consacré au Père Hyacinthe Loyson), Gaston Bourgeat, l’Abbé Poulain ou encore l’Abbé Thers, qui participe au mouvement des cultuelles en 1908 avec le futur Mgr Giraud.

Dans le numéro de juin 1907 l’Abbé Julio (Mgr Houssaye) publie le programme d’une nouvelle Eglise Catholique Française dirigée par Mgr Vilatte, qui tente de s’organiser indépendamment du Vatican, avec une profession de foi où figure le nom du journaliste Henri des Houx. Mais dans celui de janvier 1908 il se désole de voir que le mouvement des cultuelles, torpillé de partout, est en perte de vitesse.

Son rêve d’une Eglise catholique vraiment libre, affranchie des servitudes que lui imposent depuis des siècles une caste et une oligarchie ultra-réactionnaire ne s’éteindra pas après sa mort, survenue en 1912. Il est poursuivi par Monseigneur Giraud, son successeur direct dans l’épiscopat qu’il consacre providentiellement le 21 juin 1911.

Notion de Charisme

Au sein de l’Eglise Gallicane « l’Abbé Julio » (Mgr Houssaye), Mgr Giraud, Mgr Lescouzères, le Père Jean Brouillet ou encore Mgr Truchemotte ont fait des merveilles. Leur secret, c’était d’abord de posséder la Foi. Sans elle, et l’Abbé Julio l’explique bien dans la préface de ses ouvrages, la prière est peu efficace. Mais la Foi ne fait pas tout, même si elle peut parfois « soulever les montagnes » nous dit Jésus. Elle a besoin de la charité, ce que l’Apôtre Paul nous explique dans le texte inspiré de l’épître aux Corinthiens :

- « Même si je parle toutes les langues des hommes et des anges... si je n’ai pas l’amour, je ne suis plus qu’un cuivre qui résonne ou une cymbale qui retentit... Même si j’ai le don de prophétie et si je connais tous les mystères et toutes les sciences... même si j’ai la plénitude de la foi, une foi à transporter les montagnes... si je n’ai pas l’amour, je ne suis rien... Même si je distribue tous mes biens en aumône et si je livre mon corps aux flammes... si je n’ai pas l’amour, celà ne me sert à rien... L’amour sait prendre patience... l’amour est serviable... il n’est pas envieux... il ne se gonfle pas... ne fanfaronne pas... ne fait rien de malhonnête... ne cherche pas son intérêt... ne s’irrite pas... ne tient pas compte du mal... il ne se réjouit pas de l’injustice, mais met sa joie dans la Vérité. Il excuse tout, croit tout, espère tout... supporte tout ! L’amour ne passe jamais. » (1 Corinthiens 13)

Le secret de l’Abbé Julio et de ses successeurs tient dans ce qu’exprime ici l’Apôtre Paul. Si un prêtre ou un fidèle a ses qualités, il est leur successeur. C’est aussi simple que cela. S’il est humble, il recevra les mêmes charismes, et ceux-ci agiront sur le prochain. La voie de sainteté, c’est en quelque sorte le chemin décrit par Saint Paul pour favoriser l’éclosion des charismes : avoir la foi qui soulève les montagnes, mais surtout déborder de charité pour tous ceux et celles qui ont besoin d’aide. Enfin il est légitime de croire que la foi, l’espérance et l’amour sont les trois facettes d’un seul et même sentiment, car selon Saint Paul, la foi engendre l’espérance qui elle-même engendre l’amour.

Dans son « Histoire de l’Eglise Gallicane » publiée vers 1730, le Père Jacques Longueval écrit page 53 de son premier tome : « Ceux qui sont véritablement les disciples de Jésus-Christ opèrent des miracles pour l’utilité des hommes selon le don que chacun d’eux a reçu de lui. Les uns chassent si efficacement les démons que très souvent ceux qui en ont été délivrés embrassent la foi et demeurent dans l’Eglise. Les autres prédisent l’avenir et guérissent les malades par l’imposition des mains. Il y a même des morts qui sont ressuscités comme nous l’avons dit et qui ont encore vécu plusieurs années parmi nous ». Cette citation provient du deuxième livre de Saint Irénée de Lyon, un des Pères de l’Eglise du deuxième siècle, grand théologien vénéré autant par les catholiques que par les orthodoxes (Contre les Hérésies - Livre 2 - Chapitre 56).

Ce témoignage de Saint Irénée - repris par le Père de Longueval - révèle que l’Eglise Gallicane de la fin du deuxième siècle était riche de nombreux charismes, signe de la vitalité de sa foi. Pour le comprendre, il faut se souvenir que la primitive Eglise, celle née de la Pentecôte à Jérusalem vécut dès l’origine dans l’esprit d’enthousiasme qui suscitait le miracle. La transmission de cette influence spirituelle s’est ensuite perpétuée au sein des Eglises nouvelles. Seules quelques générations séparaient Saint Irénée de ceux qui avaient connu le Christ. Poussées sur le rameau originel de la Pentecôte, les Eglises nouvelles prospéraient autour de la Méditerranée. Elles se développaient dans l’enthousiasme et le souvenir des grands ancêtres. Saint Irénée à la fin du deuxième siècle par exemple est un disciple de Saint Polycarpe de Smyrne, lui même formé par l’Apôtre Jean qui avait connu le Christ.

Cette éclosion des charismes, promis à l’Eglise par Jésus, dans la puissance et la force de l’Esprit-Saint, est l’expression de la force mystique des Eglises. Elle est liée au rayonnement de la bonté et de la sagesse, car il faut une force d’équilibre et de maturité pour que naissent et grandissent les charismes spéciaux de l’Esprit-Saint.

Une Eglise qui ne croirait plus aux charismes de l’Esprit-Saint, dont les prêtres ne voudraient plus bénir et imposer les mains aux affligés, une Eglise qui nierait la possibilité du secours divin ne serait qu’une caricature de la véritable Eglise du Christ.

C’est ce qu’avait compris « l’Abbé Julio » (Mgr Houssaye), ce qu’il a tenté d’exprimer dans ses livres de prières. Ceux qui l’ont critiqué n’ont jamais compris que la prière est une force immense et de nature vitale pour le croyant. « Ils ont des yeux mais ils ne voient point » déclarait Jésus à son époque. Il faut voir avec les yeux de la foi et du cœur, c’est la le grand secret de le prière.

L’Apôtre Paul dans sa première épître aux Corinthiens (12,1-11) va définir pour la jeune Eglise de Corinthe, ce qu’il appelle si justement les dons spirituels : « A chacun la manifestation de l’Esprit est donnée en vue du bien commun » - et d’énumérer par la suite cette multiplicité des charismes : « A l’un c’est un discours de sagesse, à tel autre, un discours de science, un autre la foi, un autre encore, le don de guérison. A tel autre la puissance d’opérer des miracles, à tel autre la prophétie, à tel autre le discernement des esprits, à tel autre la diversité des langues, à tel autre le don de les interpréter, etc ». Et pour bien faire connaître la voie qui conduit à ces dons spirituels, l’apôtre nous fait comprendre dans la suite de l’épître aux Corinthiens, que l’exercice de ces charismes ne peut s’exercer sans la charité.

Sur cette notion de charité qui ouvre la porte des charismes je tiens à apporter une précision qui me semble très importante. Jeune prêtre, formé et ordonné par Mgr Truchemotte que je respectais pour de multiples raisons, je l’interrogeais parfois sur le prêtre qui l’avait lui même formé dans sa jeunesse, et dont il avait été le vicaire, le Père Jean Brouillet. Ce qui me frappait le plus dans son témoignage était le trait de caractère suivant : « nul ne l’a jamais entendu critiquer quelqu’un !» Avec le recul des années je me dis que ce Père Brouillet a certainement eu, comme tout être humain, des avis très éclairés sur telle ou telle personne. Comme pasteur des âmes, il connaissait la nature humaine, « ce qu’il y a dans l’homme » nous dit Jésus. Et si le Christ nous demande ne pas juger dans l’Evangile, il ne nous interdit pas d’avoir un avis. Par contre, du témoignage de Mgr Truchemotte, j’ai reçu que ce Père Brouillet ne colportait pas des ragots, ne disait pas du mal des uns ou des autres. Cet état d’esprit lui était étranger, comme l’envie ou la jalousie. Il avait certainement ce « supplément d’âme » qui fait la différence, celui qui conduit au chemin des charismes et de la sainteté. Il laissa derrière lui un souvenir merveilleux de bonté, de sagesse et de force mystique. Avec Mgr Truchemotte, il faisait partie de ces êtres d’exception auxquels on s’attache, parce qu’il y a beaucoup de bon en eux.

On peut supposer que « l’Abbé Julio » (Mgr Houssaye) s’était lui aussi attaché à Jean Sempé, ce thaumaturge mystique qui agissait par la seule prière. De cette rencontre nous l’avons vu était née la vocation d’écrivain mystique de l’Abbé Julio, son désir d’écrire des livres de prières pour guider les croyants sur le chemin de la foi.

Oui les secours divins existent, mais il faut y croire. Et il est difficile d’y arriver tout seul ! La rencontre de Jean Sempé et de l’Abbé Julio avait permis la transmission de cette influence spirituelle, elle avait permis que Dieu fasse s’ouvrir la limite fixée par lui au possible. D’une certaine façon, on peut parler de la transmission d’un don.

Monseigneur Thierry Teyssot


Sommaire